Aim & QNC / The Habit of A Life Time (And How To Kick It)
[Atic Records]

the habit of a lifetime Aim QNCLe trop plein d’enthousiasme est la pire plaie du monde pour un chroniqueur musical qui se veut sérieux mais il y a des fois où il n’est pas plus mal d’abandonner tout principe de modération pour clamer haut et fort son amour, son admiration et son infini respect pour un disque. Et alors les choses s’éclairent. Andy Turner est l’homme qui se tient derrière le nom de Aim, le grand architecte de Atic Records et une sorte de petite légende depuis qu’il a donné à l’Angleterre et au monde quelques-uns des plus chouettes morceaux et albums post-trip hop de la toute fin des années 90. A l’époque, sa popularité avait frissonné jusque dans les revues branchées et non corruptibles, sur la foi d’un amour revendiqué pour The Smiths et parce que ce type, blanc par ailleurs, venait autant du rock et de la pop que du hip hop. Andy Turner n’a pas forcément chercher à faire fructifier son petit patrimoine, n’ayant pas l’âme d’un gourou et il est devenu quasiment invisible en tant qu’artiste pendant ce qui a pu sembler une éternité. Son dernier album instrumental (magnifique) remonte à 7 ou 8 ans et son implication artistique directe dans les sorties de son label n’a jamais figuré sur l’étiquette. Cette fois, AIM est bien de retour et ce disque témoigne, sur chaque morceau, du génie qui est le sien pour produire, mixer des sons et des atmosphères dans une veine hip hop classique intemporelle et envoûtante.

English version below.

Le nouvel album est pratiquement la seule chose que vous avez à retenir dans le domaine hip hop cette année. Achetez cet album et The Emperor’s Clothes de Scalper et vous avez fait le tour de la question. Oubliez Dr Dre même et tous ces types qu’on présente régulièrement comme les phares de la discipline. Fermez les yeux, ouvrez les oreilles et contentez-vous d’écouter. Aim fait équipe ici avec ses vieux amis QNC, un duo composé de deux rappeurs Q-Ball et Curt Cazal, et qui auront été quasiment de toutes ses aventures discographiques depuis les débuts. Ils ont joué ensemble par le passé, depuis un featuring sur le premier album jusqu’à une chouette chanson sur le Birchwood ep de 2007. Le duo est incroyable et cosigne la plupart des morceaux. Leurs textes sont excellents, précis et généralement assez drôles. Ils ont surtout un sens du groove, un flow chaleureux, élégant, et une attitude cool qui n’enlèvent rien à leur gravité et à leur côté incisif. Autant dire que leurs voix collent parfaitement à l’atmosphère variée et très profonde du disque.
The Habit of A Life Time (And How to Kick It) démarre avec l’un de ses morceaux phare. We don’t Play (avec Grand Puba et Sean Price) navigue en eaux lourdes. La production est sombre, construite autour d’une ligne de basse puissante et caverneuse qui suggère un climat de peur et d’angoisse. C’est du AIM en mode horreur ou anticipation mais avec le sourire aux lèvres. Et puis suit The More I Get (The More I Want) qui est un autre titre incontournable. Niko, l’égérie chanteuse du label, fait des vocalises sucrées à l’arrière-plan tandis qu’on découvre un écheveau sonore inimitable et caractéristique de ce que réussit de mieux le producteur. On ne sait jamais vraiment à quoi on a à faire, si ce n’est que la suggestion est totale : est-ce de la soul (northern bien sûr), du hip hop, de la musique atmosphérique. Le ton est froid mais sexy, le rythme est intelligent et simple, il y a une profondeur de champ insensée et en même temps une chaleur immédiate. Certains avaient tenté à un moment donné de baptiser cela du hip hop « true school ». Ni old, ni cool, ni hype. Ca peut faire l’affaire. L’essence du hip-hop est là : naviguer entre les genres. Et la musique d’Aim marche sur l’air. Ce n’est pas gangsta, ce n’est pas daisy age. C’est une musique qui repose sur un sens inné de l’histoire et sur une capacité à mettre celle-ci en perspective pour en faire toujours quelque chose de vigoureux et de follement excitant.

Le principal talent de Aim est probablement d’articuler les influences qui sont les siennes venant des Etats-Unis et du Nord de l’Angleterre en une vision synthétique et presque syncrétique de ce que doit être le hip hop en tant que musique et que musique populaire. On n’en passera pas à l’analyse titre à titre même si l’album le mériterait. Ecoutez juste la piste 4, 1000 reasons, et vous saurez exactement pourquoi ce disque est indispensable. C’est probablement le meilleur titre hip hop de l’année, le genre de morceau que même De La Soul n’est plus en mesure de produire avec cette efficacité, cette densité et cette légèreté. Le rappeur parle de manière comique des 1001 raisons de ne pas remettre le couvert avec une rencontre d’un soir. C’est un morceau incroyable et qui donne et dégage une énergie insensée. Un modèle du genre. La seconde moitié du disque est peut-être moins surprenante. Les beats sont servis en mode downtempo mais il y a une telle richesse et une telle variété des sons et des textures qu’on ne perd jamais d’intérêt pour ce qui se trame. Gangstarr (the tribute) est, par exemple, un titre fascinant. Aim recycle des séquences, des scratches qu’on a le sentiment d’avoir déjà entendus sur d’autres de ses pièces et les malaxe d’une manière complètement originale pour créer un nouvel écrin minimaliste où le texte se déploie. On The Block est impressionnant et sec comme un coup de trique. C’est du jansénisme hip hop exemplaire.Taking Shots est élégant et brillant pour sa virtuosité synth-prog. On s’amuse avec l’imagerie rap (l’herbe,…), on espère, on jongle avec les thèmes avec curiosité, surprise et un plaisir immense. La dernière plage She Ain’t You est une conclusion parfaite pour un tel album. Le morceau démarre sur le sample d’un discours qui dit ceci : « Hip hop is a voice. To me it is like a voice of God who speak to everybody. Back to the day, it was not about money”. Difficile de ne pas prendre cela pour argent comptant ou le manifeste du producteur.

D’une certaine manière, ce dernier morceau pourrait être LE titre de hip hop qu’on choisirait de graver sur une K7 ou un CD pour être expédié au bout d’une rocket en direction de la Lune ou des Extraterrestres. Cela montrerait exactement ce qui inspire les musiciens d’ici. C’est une musique généreuse, profondément amicale et humaine, pleine de révérence et d’amour pour ce qui la reçoivent. Toute cette affaire de disques, de hip hop ou de rock se réduit à étaler des bonnes intentions sous un grand dessein et à mâtiner le tout d’une couche de nostalgie nous permettant de tromper la mort. C’est à la fois une petite et une immense affaire. Et à ce jeu- là, dans son registre, Aim est au sommet de la chaîne créative.

Enthusiasm is a pain in the arse for any serious music reviewers but there are times when you need to abdicate any principles to proclaim your intimate love, admiration and respect for a record, then you can see things differently. Andy Turner is Aim, the Atic Records architect and somekind of a legend since at the end of the 1990s he gave England and the world a few decisive post trip-hop whatever it was called masterpieces. At the time, people used to know this guy loved the Smiths and had a white skin. Andy Turner was no guru and he mostly became invisible as a solo artist for what seemed to us an eternity (though there were intense signs of activity on the label front and an instrumental LP 7 or 8 years ago). He is back on his own and he is still an absolute genius mixing sounds and producing classical hip hop tracks and moods.
This new LP is all should know about hip-hop this year. Get Scalper’s The Emperor’s Clothes, and The Habit of A Life Time, and you’re done. Forget Dr Dre or anyone who is said to run the game. Close your eyes, open your ears and just listen. Aim teams up here with old pals rap duo QnC, aka Q-Ball and Curt Cazal. They had played together in the past and since Turner’s early beginnings to a track on the remarkable Birchwood ep in 2007, they are part of his wonderful world. The duo is amazing here. Lyrics are sharp, precise, very funny mostly, and they have a perfect groove, one of those glamourous, relaxed, elegant and really cool attitude which perfectly sticks to the mood of the LP. The Lp starts with one of its best tracks. We Don’t Play (featuring Grand Puba and Sean Price) treads heavy water. Production is dark, bass driven and a bit frightening. It is Aim in horror mode with a smile on his face. Then we have The More I Get (The More I Want) which is another highpoint. There is Atic Records’s muse Niko taking backvocals duties and we have a typical Aim sound here which is to say we don’t know exactly what it is : soul mode, hip-hop, atmospheric music. It is cold but sexy, intelligent and simple, it has depth and it brings warmth to the heart. Some call this kind of music “True School”, it is nor old, or cool, or hype. That’s what it should be: the essence of hip-hop is to navigate between genres. Aim’s music is walking on air. It is no gangsta, or daisy age type of music. It relies on its own sense of history and the way to make this history and memories vivid and exciting.

Aim’s talent is to mix different influences from US and England and probably to be intelligent enough to have a perfect synthesis (somewhere in his head) of what popular music should sound. We won’t do a track by track review though this album would definitely deserve it. Just have a listen to track 4, 1000 reasons, and you’ll instantly know how you must buy this LP. It is probably the best track we’ve heard this year. Even De La Soul can’t do it anylonger. It is the perfect number, someone talking in a hilarious way about the 1001 reasons he shouldn’t date his former (one-night) girlfriend again. It is simply amazing and it will bring a large smile on your face.
The second half of the LP is maybe less surprising than the first one. It is more into downtempo mode but there is such a sound richness on any track we never lose interest. Gangstarr (the tribute) is for example fascinating. Aim uses sounds he used before, scratches to create a completely original shrine for lyrics to develop. On The Block is impressive and tight to the joint. Taking Shots is immensely elegant and glitters with synth-prog virtuosity. We have hope, fun about rap imagery (weed etc), addictive dance beats (Aint Nuthin) and then we are back to something more tensed and crepuscular with Igotchu. The last track She Aint You is a perfect conclusion to such a great record. It starts with a speech sample saying : “Hip hop is a voice. To me it is like a voice of God who speak to everybody. Back to the day, it was not about money”. It is difficult not to take it for granted and a kind of manifesto.

This last track could be the hip hop track we’d put on a secret underground tape to the Moon or Outerspace to show how good and inspired musicians used to be on Earth. It is highly humane, generous and full of love for music. Music is about good intentions, great design and nostalgia. Aim is at the top of the game.

Tracklist
01. We Dont Play feat Grand Puba & Sean Price
02. The More I Get (The More I Want) feat. Niko
03. The Reunion (feat B-Luv)
04. 1000 Reasons
05. How It All Got Started
06. Gangstarr (the tribute)
07. On the Block
08. Takin Shots (feat Dimes)
09. Igotchu
10. Aint Nuthin
11. She Aint You
Ecouter Aim & QNC - The Habit of A Life Time (And How To Kick It)

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4 Comments

  1. says: Sébastien

    Bonjour,

    Merci beaucoup pour la (re)découverte, je garde une excellent souvenir des albums de Aim à la fin des 90’s. Andy Turner est aussi (surtout ?) la moitié de Plaid, groupe légendaire d’electronica sur le label Warp, et à ce titre il a quand même été tout sauf inactif ces dernières années.

  2. says: benjamin

    Salut Sébastien,

    L’Andy Turner (Andrew Turner) de Aim et celui de Plaid sont 2 personnes différentes. On les confond souvent mais ils n’ont rien à voir. Celui dont on parle ici n’a jamais bossé pour Warp. Il n’est pas de Londres mais du Nord Ouest de l’Angleterre. Il a commencé comme DJ après avoir fréquenté en tant qu’ado l’Hacienda avant d’être « découvert » par Mark Rae qui l’a signé d’abord sur le label mancunien Grand Central. L’histoire du Andy Turner de Plaid est très différente.
    On aura très bientôt ici une interview de l’Andy Turner de Aim d’ailleurs, ce qui sera l’occasion de le présenter plus amplement.
    BB

  3. says: Sébastien

    Salut Benjamin,

    Au temps pour moi, j’étais persuadé qu’il s’agissait d’une seule et même personne, quand bien même je connaissais la connection avec Grand Central et Mark Rae.
    (je me souviens avoir vérifié l’homonymie sur discogs il y a quelques années, visiblement la correction a bien été apportée là-bas aussi).

    Merci d’avoir pris le temps de me répondre. Quoi qu’il en soit, je suis vraiment impatient d’écouter ce nouveau disque.

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