Al’Tarba / La Nuit Se Lève
[I.O.T. Records]

8.8 Note de l'auteur
8.8

Al'Tarba - La nuit se lèveArchitecte du grandiose Projet Ludovico pour sa Droogz Brigade kubrickienne l’an dernier, Al’Tarba revient en 2017 avec un nouvel album solo très attendu et qui confirme haut la main sa place de maître artificier du beatmaking français. La discipline n’est pas encore reconnue par le Comité International Olympique et c’est bien dommage. La France compte son lot de diggers et de metteurs en sons de renom parmi lesquels le Toulousain, qui officie depuis Paris depuis quelques années, incarne la voie crade et cinématographique de la force.

La nuit se lève (I.O.T. Records) est une pure merveille et une réussite époustouflante pour qui s’intéresse à ces bandes sons imaginaires tendues entre le hip hop rentre-dedans et crépusculaire à la Gravediggaz, les films de gangsters américains (Taxi Driver, ici) et le cinéma (français) à papa ou à papy. Al’Tarba avait annoncé, quelques mois avant la sortie de l’album, sur les réseaux sociaux que celui-ci ne ferait pas les choses à moitié et le présenterait sous un jour plutôt hardcore. Il faut dire que le gaillard avait pris l’habitude, tel un Janus à platine, de naviguer entre deux publics étrangers l’un à l’autre : celui d’une scène rap plutôt directe et agressive (représentée par la Brigade) et une version solo orientée intelligent techno, estampillée (à tort) intello et précieuse. La nuit se lève, et c’est probablement sa première qualité, prend le meilleur des deux mondes : l’ultradynamisme et le caractère incisif du rap hardcore, la science de la méthode et les approches référencées de l’intelligent hip-hop. Le résultat s’énonce comme la bande son fantasmée d’une escapade new-yorkaise (ou jamaïquaine) d’un aventurier old school dans une cité des ombres qui rappelle à la fois le New York hanté de De Niro et Scorsese, la zone frontière poisseuse et humide de la Soif du Mal, le Sin City de Miller et une aventure de San Antonio. D’emblée (Welcome To Fear City), l’ambiance est menaçante et lourde en basses. On pense à une entrée en matière de Carpenter, version uranium enrichie, avec des synthés en rafale, des sirènes de police et des cris de bête à l’arrière-plan. Cela dure 2 minutes et la mise en place est faite, prolongée d’emblée par une immersion assez surréaliste (Ripped Eye) qui renvoie autant à l’Année du Dragon qu’à une virée à la Nouvelle Orléans. Le génie d’Al’Tarba tient à la précision des enchaînements et à la fluidité des liaisons entre les samples, les compositions et les dialogues. On imagine à peine le temps qu’il faut pour arriver à une telle science du beat et des dynamiques.

La nuit se lève incorpore (deuxième atout majeur) des interludes structurants qui ont été entièrement écrits et joués (par Virus, dont on reparlera plus bas) et interprétés pour l’album. Autant dire que la bande son imaginaire invente elle-même le film qu’elle illustre. C’est une pratique peu courante et qui témoigne de l’assurance du bonhomme, comme si la musique ne se contentait pas de souligner une vision mais la produisait littéralement. On suit ainsi au fil des séquences un type qui s’exprime comme un gangster français à l’ancienne, mi-Depardieu, mi-Blier, explose la tête d’un taxi impertinent, manque se faire sucer par une pute façon Arletty avant d’aller batailler contre un videur de boîte de nuit. Ces séquences (au nombre de quatre sur seize plages) sont décisives. Les textes sont splendides et raviront les amateurs d’Audiard. L’impression qu’elles laissent est étrange car, tandis que les instrumentaux évoluent plutôt en terre d’influence américaine, elles ramènent l’album dans un environnement européen et très français. Ce décentrage peut perturber les premières écoutes et donner le sentiment que l’immersion américaine n’est pas pleinement réussie. C’est tout le contraire au final : Al’Tarba donne naissance grâce à elles à un univers original et complètement cohérent où l’ont peut croiser, dans le même espace-temps, Lino Ventura, Frédéric Dard, Harvey Keitel ou Al Pacino.

Cette idée d’une grande synthèse sonore et cinématographique est évidemment renforcée par l’intensité des séquences musicales. La nuit se lève est une tuerie à l’efficacité redoutable qui marque l’aboutissement d’un travail immense de fusion culturelle des référentiels rap/hip-hop, de l’imagerie gangstériste et horrifique de toute une génération. La pochette de l’album, splendide, évoque Ghostbusters mais aussi des films fantastiques tels que le Blob (référencé aussi sur l’album de la Brigade). Now More Fighting, l’un des gros morceaux du LP, renvoie à Fight Club par son clip et à une approche vitaminée de la violence. Le titre (Now More qui remplace No More) en dit long sur les intentions d’Al’Tarba. Ce qui n’empêche pas le morceau de se déverser dans l’ultradansant (et en apparence utralight) Starship Loopers emmené par un DJ Nix’on (le comparse de scène d’Al Tarba) à son meilleur. Le titre est imparable et d’une allégresse folle, signe qu’Al’Tarba peut exceller dans tous les registres et faire mieux que n’importe quel Smokey Joe & The Kid pour séduire les foules en mode rétrofuturiste.

La nuit se lève est une leçon de choses admirable qui passe de l’horreur (le génial Infested Streets qui foutrait la frousse à l’ami Umberto), à la soul (avec le suave She’s Endorphin) en passant par l’électro acoustique et cérébral Turn Me On ou l’ambiant Malevolent Park, avec une aisance et une détermination invraisemblables. Les quelques morceaux chantés ou rappés emmènent l’album à des niveaux d’intensité incroyables, à l’image du classique immédiat Guillotine, chanté impeccablement par Little Vic. Al’Tarba fait de l’œil au meilleur RZA ou à des types comme Jedi Mind Tricks. Impossible de passer sous silence le dernier morceau qui donne son titre au tout et qui conclut magnifiquement cet album en forme de montagne russe émotionnelle. Virus, le rappeur rouennais et l’une des meilleures plumes du genre depuis quelques années, livre un texte à la fois émouvant et poétique, qui referme une boucle soyeuse tout en nostalgie et en espoir tenus. Virus est évidemment, entre les interludes et cette intervention, le deuxième grand bonhomme de cet album et celui qui contribue à lui donner cette texture si particulière, entre les mondes et les époques. La Nuit Se Lève vaut, grâce à lui, autant pour ses qualités intrinsèques que pour sa prise de risque et son originalité.

La nuit se lève n’a peut-être pas la cohésion et la grâce de Let The Ghosts Sing, le précédent album d’Al’Tarba, mais il propulse l’artiste dans un registre d’ambition et de savoir-faire beaucoup plus vaste et impressionnant : un univers urbain, singulier et luxuriant où le soleil ne se lève jamais.

Al’Tarba – Now more Fighting

Tracklist
01. Welcome to fear city
02. Ripped Eye
03. Interlude I
04. Now More Fighting
05. Starship Loopers feat DJ Nix’on
06. Interlude II
07. Infested streets
08. She’s Endorphin’s feat Bonnie Li
09. Interlude III
10. Turn me on
11. Guillotine feat Little Vic
12. Dans le vide
13. On the prowl feat Max
14. Malevolent Park
15. Interlude IV
16. La nuit se lève feat Virus
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