Anderson .Paak / Malibu
[Steel Wool]

Anderson .Paak - MalibuLe troisième album d’Anderson .Paak, Malibu, a fait l’objet dans la presse nationale et internationale de critiques dithyrambiques depuis quelques semaines, comme si cet encore jeune chanteur qui aura 30 ans la semaine prochaine déboulait de nulle part et en était encore à ses débuts. Les superlatifs ont volé, dépassant allègrement les frontières des magazines spécialisés pour investir ceux qui d’ordinaire parlent de soul ou Rnb en se bouchant le nez. La plupart des critiques l’ont, en fait, découvert quelques mois auparavant avec le Compton de Dr Dre, album sur lequel Brandon Paak Anderson volait la vedette à à peu près tout le monde en alignant six titres de haute volée.
Tandis qu’il officiait chez Dre dans un registre hip-hop (tout en offrant un contre-point féminin aux saillies de rappeurs plus musclés), Anderson . Paak signe avec Malibu un album résolument soul ou RnB, pétri d’influences venues des années 50 et qu’on rapprochera assez aisément de son EP, Cover Art, sorti en 2013 et qui reprenait (pour faire bref) des titres écrits originellement par des artistes noirs et popularisés par des blancs. A titre personnel, nous étions tombés en arrêt devant sa voix plus que devant toute autre chose en 2014 en découvrant son précédent album, Venice, qui n’avait déjà pas grand-chose à envier à ce Malibu. Etrangement, peu de journalistes se sont engouffrés, parlant de .Paak, dans la veine biographique, à croire que sa seule présence sur le disque de Dre suffisait à lui valoir le titre de « nouveau phénomène soul » et qu’il n’était dès lors plus vraiment la peine d’écouter sa musique et ses textes ou de rattacher le travail de .Paak à l’histoire du genre. Le problème avec les « musiques de noir » est que personne n’y connaît rien et qu’on finit par ranger dans la même catégorie des choux et des steaks hachés.

Dans le milieu hip-hop soul, Anderson .Paak a pourtant une histoire assez incroyable. Originaire de Compton, le garçon est un métis noir-coréen dont la mère travaillait dans une entreprise de production de fraises. Son père était un homme tout à fait comme il faut avant de sombrer dans l’alcoolisme et la drogue et de finir plombé pour voie de faits par une condamnation à une quinzaine d’années de prison. Le bonhomme disparaît du tableau de famille alors que Brandon a 7 ans et celui-ci se retranche dans la foi et la musique. L’histoire est plus ou moins contée dans The Bird, le premier morceau de l’album. Brandon est un jeune homme solitaire, pas du tout impliqué dans les bandes de jeunes qui sillonnent le territoire de cette banlieue ultraviolente de Los Angeles. Elevé par sa mère et auprès de sa sœur, la future star, que la pochette de son album représente assis au piano, apprend en fait à l’Eglise à jouer de la batterie, instrument qui reste son outil de travail n°1 et explique, sur ses morceaux, la prévalence des rythmiques sur l’accompagnement. Malibu a des airs de soul-jazz plus que de toute autre chose. C’est une limite de ce disque qui ne brille pas par le caractère excitant de ses mélodies : la musique est là avant tout pour battre la mesure. La production aura beau convoquer des trésors d’inventivité et en rajouter (parfois) dans tous les coins : Malibu est un disque qui met en scène un chanteur de piano bar accompagné d’un vieil orchestre fifties où un trompettiste en coin joue à contre- temps tandis qu’un batteur ultra-cool propose un tempo sur lequel le chanteur (au piano) tricote des mélodies vocales. Cette construction musicale explique pourquoi la soul de Anderson .Paak n’est pas une soul haute en couleurs, ni particulièrement séduisante au premier abord. Ce n’est pas une musique qui fait danser ou qui est susceptible finalement de plaire au plus grand nombre. Tout ramène ici au chanteur, à ce qu’il raconte, à ce qu’il propose vocalement. On peut aimer cela mais aussi trouver que c’est un peu court. C’est une histoire de goût. Heart Don’t Stand A Chance, le deuxième morceau sucré de Malibu, est un bel exemple de tout ceci dans la mesure où on y voit bien la mise en scène complète d’une musique et d’une production illustrative dont le but est uniquement de mettre en valeur les modulations et les changements de registre somptueux du chanteur.

Comparer Anderson .Paak à Prince, à Stevie Wonder ou à Curtis Mayfield n’a aucun sens à ce stade. Le gars est un chanteur et fait dans ce registre un travail qui est tout bonnement  extraordinaire et qu’on pourrait qualifier de version améliorée de Kendrick Lamar. The Waters est une tuerie, mélange de slam à plat, de rap éraillé et d’exercice soul de haute volée. Les enluminures nous ramènent aux vieilles productions de la Stax, quand des ingénieurs du son ultradoués habillaient les morceaux les plus dingues des castafiores black de Memphis. .Paak n’a pas d’égal contemporain pour raconter des histoires. Il a appris son art dans les églises baptistes du coin, plus que partout ailleurs. Pour ceux que ça intéresse, son arrivée dans le monde de la musique est intervenue en 2011. .Paak travaillait alors dans une ferme de cannabis avant de se faire limoger. Chassé façon Raisins de la Colère, avec sa femme et son fils, le jeune homme a rejoint la ville, totalement dans la dèche, et s’est mis sérieusement à chanter. Rapidement repéré pour ses qualités vocales, il est devenu assistant d’un ponte de studio avant de gravir les échelons vers la gloire. Malibu est, à cet égard, un récit religieux typiquement américain d’une ascension progressive depuis le bas de l’échelle. Les paroles sont œcuméniques et ramènent l’individu aux efforts (de courage, de sincérité) qu’il doit fournir pour franchir les épreuves que lui oppose la vie. Au fil des 16 titres, on peut (si l’on n’aime pas le genre) trouver cela un peu éreintant et rébarbatif. Les textes sont stéréotypés et pleins de bonnes intentions, avec une tendance prononcée au prêchi-prêcha. . Paak n’est pas avare en tableaux de la misère ambiante, ce qui est plutôt une richesse qu’autre chose. Son invitation à s’arracher (Put Me Thru, par exemple) est insistante et sophistiquée. « I believe in fate », chante-t-il sur Am I Wrong, avant de se lancer dans une leçon de vie sur les jeux de l’amour et du hasard.

Ces quelques explications étant données, ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas s’enthousiasmer pour cet album, à l’accès finalement assez difficile. Le manque de morceaux uptempo est contrebalancé par de jolis featurings (The Game, ScHoolboy Q) qui viennent compenser le manque de tranchant de .Paak. Without You est un titre assez cool et on aime les balancements quasi ragga d’un Your Prime. Le dernier tiers de l’album est un bon exemple de lâcher prise qui montre dans quelle direction Anderson .Paak pourrait évoluer à l’avenir, sans trancher tout à fait. Sur Come Down, un titre assez bizarroïde ici, le chanteur lorgne délibérément du côté des incandescentes jam sessions de Prince. La température monte un peu et . Paak s’aventure en dehors de son registre confessionnal ou cajoleur habituel. Sur Celebrate, le gars montre ce qu’il sait faire dans un registre plus mélodique et enjoué, rassurant ceux qui le pensaient incapable d’aller chasser (la foufoune) sur les terres de Marvin Gaye. Ce qui époustoufle ici c’est que le chanteur peut tout faire et dispose d’une palette complète et sans talon d’Achille. Passer de la guimauve au titre social, du rap au slam à la soul des années 50, du Rnb des bouges au chant religieux, c’est ce qu’Anderson .Paak sait faire les doigts dans le nez. Malibu est une démonstration de force remarquable, une mise en scène du prodige en jeune homme qui ressemble autant à un album qu’à un book de présentation des talents de son auteur. Le morceau qui clôt l’album, intitulé The Dreamer, s’appuie sur un sample historique superbe qui évoque l’histoire de Malibu à travers les âges. Anderson y voyage entre les époques et les différentes incarnations du genre en compagnie d’un autre de nos héros étouffés du hip-hop, Talib Kweli.

On peut considérer, à l’écoute de ce titre remarquable, que la soul du XXIème siècle doit proposer une fusion juxtaposition de tous les âges qui ont précédé, ce qui ferait de Malibu un chef d’œuvre sans précédent ou penser (et cette thèse a notre préférence) qu’il reste au jeune homme à trouver un récit qui lui soit propre et une identité qui exprimera l’originalité de son ancrage temporel et social. Dr Dre qui n’est pas un perdreau de l’année a compris qu’il tenait avec ce jeune homme le plus sûr des instruments et un atout exceptionnel. Il n’est pas certain qu’à trente ans, Anderson .Paak ait découvert tout à fait comment (se) jouer de lui-même à la perfection.

Tracklist
01. The Bird
02. Heart Don’t Stand a Chance
03. The Waters (f. BJ the Chicago Kid)
04. The Season / Carry Me
05. Put Me Thru
06. Am I Wrong (f. ScHoolboy Q)
07. Without You (f. Rapsody)
08. Parking Lot
09. Lite Weight (f. The Free Nationals United Fellowship Choir)
10. Room in Here (f. The Game & Sonyae Elise)
11. Water Fall (Interluuube)
12. Your Prime
13. Come Down
14. Silicon Valley
15. Celebrate
16. The Dreamer (f. Talib Kweli & Timan Family Choir)
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