Bedhead / 1992-1998
[Numero Group]

Bedhead 1992-1998Paris, 1994 : en sortant de la fac, avec vingt-cinq francs en poche, on dévalait les escaliers de Jussieu Music dans l’espoir d’être le premier à mettre la main sur un trésor abandonné au deuxième sous-sol du magasin. C’était là qu’on trouvait les « maxis » que, la plupart du temps, des journalistes peu scrupuleux avaient revendu pour arrondir leurs piges. Inutile de s’arrêter au rez-de-chaussée, nos très modestes budgets ne nous autorisaient guère à acheter un album. C’est comme ça que Bedhead est entré dans ma vie, grâce à 4 Song EP 19:10 acquis car le nom du groupe avait été mentionné dans un fanzine (probablement Hyacinthe) et que figurait une reprise de Joy Division parmi les quatre titres. Pour un groupe de Texans, reprendre Disorder n’était alors pas une évidence, loin s’en faut, alors que c’est devenu aujourd’hui un passage quasi obligé désormais pour tout groupe à guitares. Cela révélait l’appartenance à une certaine esthétique – du même acabit que la reprise de New Order par Sr. Chinarro sur son premier album en cette même année. Et grâce à ce manifeste – qui reste parmi les meilleures reprises jamais faites de Disorder, voire la plus poignante et sincère -, l’univers si singulier de Bedhead est devenu nôtre.

Alors que nombre de groupe de la même période avaient récemment bénéficié d’un regain d’intérêt aussi inespéré que réjouissant à l’occasion de rééditions – à l’instar des voisins de pallier, Codeine et Slint -, Bedhead semblait promis à jouer à jamais les seconds rôles, ce qui conférait, il faut bien l’admettre aussi, un attrait supplémentaires pour les « happy few » dont on se compte. Mais par miracle, Numero Group, label spécialisée dans les rééditions, a réussi à convaincre les membres du groupe à clôturer de belle façon ce chapitre remarquable un certain rock américain. Comme son nom l’indique, on retrouvera dans ce coffret d’un blanc immaculé (qui ressemble grandement au Box Set de Ride), les trois albums remastérisés initialement parus entre 1992-1998 et un disque compilant EP’s et raretés, comme cette reprise des Stranglers (Golden Brown). Toutefois, on déplorera que la collaboration du groupe avec leur ami Mischo McKay (Bedhead Loved Macha) ne soit pas présente quand bien même elle est parue deux ans après la fin officielle du groupe, en 2000. Mais l’important est ailleurs.

L’important, c’est cette musique imaginée par les frères Kadane et leurs trois amis (chose rare, le line-up n’a jamais changé). Et au-delà de ces morceaux d’une incroyable puissance sous-jacente, la démarche du groupe. Pour apprécier à sa juste valeur la musique de Bedhead, il faut appréhender l’esthétique développée par le groupe durant ces quelques années, ne laissant à personne d’autres le soin de réaliser vidéos, films, visuels (pochettes, affiches) avec un souci intransigeant de l’épure (que le copieux livret de 80 pages signé Matthew Gallaway permet de mieux apprécier). Le groupe de Dallas n’a a contrario jamais cédé à l’appel mercantile et le fan aura cherché en vain le stand merchandising lors de leurs tournées marathon. Les frères Kadane, sous leurs airs renfrognés, ont également assumé l’intégralité des productions, ne se faisant épaulés que ponctuellement : par Adam Wiltzie (Stars Of The Lid et ses projets connexes) pour le mixage de Beheaded ou le temps de la version single de Lepidoptera par Steve Albini. Mais il suffira de réécouter les trois albums pour comprendre que Bedhead n’avait pas besoin d’un gourou ni même dans technicien et que chaque œuvre est minutieusement pensée, construite pour ménager la mise en perspective, la tension. Car, même avec un nom qui les a souvent desservi auprès des médias de l’époque qui voulaient toujours les assimiler à une soit disant scène slowcore, la tension est l’essence même de ces compositions qui ne respectent aucune structure pour mieux asséner un coup de boutoir ou s’effondrer de façon impromptue. On retiendra en exemple le prodigieux The Rest Of The Day, incroyable sommet de colère contrariée ou encore les véloces Liferaft, ou Beside Table (sur WhatFunLifeWas). Et même sur Transaction De Novo qui passe pour être l’album le plus apaisé, la paire Trini Martinez – Kris Wheat imprime un rythme vif à la plupart des chansons et Tench Coxe fait ronfler son ampli comme sur le mantra Extramundane dont la structure reste un incroyable chausse-trappe à la première écoute comme seize après. Et que dire de la furie de Psychosomatica, porté par un riff heavy redoutable ? En contrepoint, chacun des trois albums comprend son lot de morceaux poignants, entre rage étranglée et sanglots jugulés avec dignité. Comme quoi, Bedhead était bien plus qu’un groupe de cul-terreux qui pleurait sur ses guitares.

Malheureusement, il ne connut pas le succès de certains de ses contemporains hors de ses bases, et les membres du groupe étant éparpillés entre trois villes, la messe fut dite à l’été 1998. Si certains semblent avoir décroché depuis lors, de leur côté, Matt et Budda Kadane se sont vite investis dans The New Year, dans la droite lignée de leur précédent groupe : Gazoline, présent sur Newness Ends, était déjà interprété lors des derniers concerts de Bedhead. Récemment, ils se sont aussi acoquinés avec David Bazan (Pedro The Lion) pour un album sous le nom d’Overseas. C’est là qu’on ira retrouver la flamme jamais éteinte de ce groupe intransigeant et que cette indispensable rétrospective ne manquera pas de raviver.

Tracklist
WhatFunLifeWas

01. Liferaft
02. Haywire
03. Bedside Table
04. The Unpredictable Landlord
05. Crushing
06. Unfinished
07. Powder
08. Foaming Love
09. To The Ground
10. Living Well
11. Wind Down

Beheaded

01. Beheaded
02. The Rest Of the Day
03. Left Behind
04. What’s Missing
05. Smoke
06. Burned Out
07. Roman Candle
08. Withdraw
09. Felo De Se
10. Lares and Penates
11. Losing Memories

Transaction De Novo

01. Exhume
02. More Than Ever
03. Parade
04. Half-Thought
05. Extramundane
06. Forgetting
07. Lepidoptera
08. Psychosomatica
09. The Present

Singles / B-Sides / Etc

01. Heizahobit
02. Dead Language
03. What I’m Here For
04. Disorder
05. The Dark Ages
06. Inhume
07. Any Life
08. Bedside Table (7″ version)
09. Living Well (7″ version)
10. The Rest Of The Day (7″ version)
11. I’m Not Here
12. Intents and Purposes
13. Golden Brown
14. Leper

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2 Comments

  1. says: Roger Chuchard

    Très bel hommage à Bedhead et à Jussieu Music !
    Sans oublier le très bon single « The dark ages », avec son impeccable crescendo final à rallonge, la grande spécialité du groupe étant d’exceller dans l’exercice des mouvements simples et le gravissement des longs faux-plats montants. Ou encore le panthéonesque « More than ever », véritable manifeste slow-core livré sur le dernier album, avec le tambour imperturbable de Trini Martinez et les entrelacements de guitares des frères Kadane . Bedhead est un authentique groupe culte, et comme dirait Pascal Bouaziz, qui en connaît un rayon, un groupe culte n’est somme toute rien de plus qu’un groupe qui n’a jamais trop bien marché.

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