Chain & The Gang / Best of Crime Rock
[In The Red]

7.8 Note de l'auteur
7.8

Chain & The Gang - Best of Crime RockCela fait sept ou huit ans maintenant, et cinq albums, que le meilleur performer du monde évolue sous l’étiquette hautement politique du Chain & The Gang. « Meilleur performer du monde ? » Ceux qui ont vu Ian Svenonius évoluer sur scène ces vingt- cinq dernières années savent de quoi on parle et ne s’étonneront pas de cette formule qui n’est pas que journalistique. Svenonius est le chaînon manquant entre Prince et Mick Jagger, plus précisément entre les artistes funk soul noirs des années 60 et les rockeurs originels à la Jerry Lee Lewis, une tornade sexy et subversive, doublée d’un intellectuel hors pair dont les essais et autres écrits témoignent d’un art certain pour théoriser la subversion, réfléchir sur l’histoire du rock et l’évolution de la société.

Ceci étant dit, cela fait pas mal de temps que plus personne ne se pâme sur les disques du gaillard. Chain & The Gang est pourtant la formation la plus accessible commandée par Svenonius depuis longtemps, une machine pédagogique et incandescente qui résume tout ce qu’il a toujours pensé et tenté de mettre en œuvre depuis l’époque de Nation of Ulysses. La constance avec laquelle Svenonius explore depuis des années la même voie musicale est sans doute à l’origine de la lassitude critique à laquelle il est confronté. Alors qu’il se renouvelle sans cesse, son périmètre d’exploration est si restreint et volontairement limité (disons à une sorte de proto-garage rock funky) que les gens ne mesurent plus le prodige qu’il y a à produire cette musique à un tel niveau d’excellence et d’intensité depuis des décennies. Ainsi lorsqu’il chante un titre ironique comme I See Progress, c’est toute l’histoire du rock qu’il révise en quatre minutes. Une basse, une pulsation, un spoken word minimaliste emmènent le morceau jusqu’à une seconde moitié enflammée et invraisemblable où Svenonius gémit et libère les démons du rock originels. Ce titre devrait s’enseigner dans les écoles tant il concentre sur lui tout ce qu’on peut trouver d’invraisemblablement scandaleux dans les musiques à guitares. C’est le rythme qui fait tout et produit l’érotisme et la rage, le rythme qui produit le chant, les feulements et la libération. Appliqué au progrès, cela donne une étrange conception vitaliste du genre  qui promet des jours meilleurs à travers un mouvement de rétro-invention révolutionnaire.  Best of Crime Rock est le disque le plus sauvage qu’on a croisé cette année et s’énonce en même temps comme une sorte de classique intemporel.

Etrangement, le disque se présente comme un best of réenregistré qui regroupe une douzaine de compositions du groupe, déjà croisées sur ses cinq albums. Svenonius a changé de chanteuse pour l’occasion, trouvant en Anna Nasty, un appui vocal plus punk et rude que l’impeccable Katie Alice Greer des morceaux originels. Ce changement donne une couleur plus punk à l’ensemble des morceaux et contribue à sa patine raw power. L’orchestration est souvent minimaliste, en formation basse-batterie-guitare à trois. Cela fonctionne à merveille et dans une complète économie de moyens à l’image du chouette Why Not ? La plupart des morceaux sont épatants et gagnent en épaisseur au fil des écoutes. On signalera entre autres le magnifique Certain Kinds of Trash qui est une remarquable critique du capitalisme et un éloge des rebuts.  L’entreprise de construction/déconstruction de Svenonius repose sur le retournement des valeurs du monde : mettre le crime en avant, exprimer sa liberté dans les chaînes, préférer l’ordure et le désordre quand tout le monde aime l’épure et la propreté. La partie de guitares sur ce seul titre procure une émotion extraordinaire. Que dire de What Is A Dollar ?, si ce n’est que c’est un titre impeccable, démarré comme aux meilleures heures de Make Up sur un tempo ralenti de vieux blues hillbilly. On ne sait jamais si Svenonius va évoluer dans un registre punk, rock ou funk. Ici il fait tout à la fois et se lance dans un dialogue à deux fois complètement virtuose, conclu par un shriek princier incroyable.

Des chansons comme Mum’s The Word ou Free Will ont beau sembler convenues ou relever d’une sorte de formule, elles ne sont jamais académiques ou reposantes.  Le rock est une forme de répétition incessante des mêmes séquences d’accords, des mêmes mécanismes de défi. C’est ce qu’il faut retenir des anti-discours de Svenonius sur la prison et le bonheur de vivre prisonnier. « I dont want a mother. I dont want a sister. I just want a body to come over. With a body we could play anywhere or just sit here. Take a bus, take a train, take a bike, even hitch-hike. » chante-t’il dans un réflexe primitif sur Come Over.  C’est le corps qui donne la permission. C’est le corps qui donne le mouvement et autorise l’apparition de la musique, en la précédant. Après plus de trois décennies d’activité, Svenonius n’a pas bougé d’un iota. Il est au même point qu’Elvis ou que Mark E. Smith. Il sait que tout ce qu’il y a autour n’est là que pour faire joli et que tout ce cirque repose sur trois fois rien : un genou qui bouge, une corde pincée, un roulement de tambours. Pas étonnant qu’on se termine presque sur un ‘nuff said squelettique ou la basse fait l’essentiel du boulot.

En guise de conclusion, Chain & The Gang revisite sa chanson la plus ambitieuse : l’épique Deathbed Confessions, une narration insensée où se mêlent des pirates, des espions de la CIA et des assassinats politiques. Balancé d’un sous-marin, un type expire sur la plage après avoir avoué le meurtre pour le compte de l’Etat de tous les activistes noirs du pays dont Malcolm X et quelques autres. « It is my time i have to go. Let this be a lesson. This is my deathbed confession ». La scène se répète et Svenonius lève peu à peu le voile sur toute l’histoire clandestine de l’Amérique. Cette chanson est en plus d’être un excellent morceau une ode au rock comme révélateur de réalités cachées. Les amateurs de Twin Peaks et autres bidules complotistes devraient y trouver leur compte. Tout est affaire de légende.

On peut écouter autre chose que Chain & The Gang mais on n’est pas obligé.

Tracklist
01. Devitalize
02. Certain Kinds of Trash
03. Why Not ?
04. The Logic of Night
05. I See Progress
06. What Is A Dollar ?
07. Mum’s The Word
08. Free Will
09. Come Over
10. Living Rough
11. ‘Nuff Said
12. Deathbed Confessions
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