Daria / Impossible Colours
[Arctic Rodeo Recordings / 3C Tour]

Daria - Impossible ColoursTout le monde se souvient de Daria Morgendorffer, la bonne copine acerbe et cynique des trublions Beavis & Butt-Head ; et avec elle, fatalement, une époque où la chaîne MTV s’habillait en chemises à carreaux, se laissait pousser les cheveux gras et ne jurait que par l’alternatif. Même Dave Gahan, alors en plein trip dévotion et Speedball, arborait la tignasse du martyr barbu. Pourtant, derrière les guitares bûcheronnes et les yeux globuleux, tout n’incitait qu’à la tragédie. La suite est connue : suicide, overdose, dépression, désertion ! Pas un hasard si de nombreux ados, en ces 90’s réellement cafardeuses, bazardèrent leurs icônes Iron Maiden, Sepultura et Metallica pour soudainement trouver matière à catharsis chez Soundgarden, Pearl Jam ou, bien sûr, Nirvana – ces mêmes ados qui sont aujourd’hui directeurs bancaires et doivent tout au plus tendre une oreille égotique vers les derniers U2 et Muse.

Heureusement, d’autres teenagers of the year n’ont jamais oublié le pouvoir évocateur d’un ampli branché à burne ou d’un chant éraillé, incommode, déchiré ; et avec cela toute la nécessité qui obligea les Cobain et Vedder à monter, une nuit sans lendemain, un groupe de rock’n’roll basique, sale et primitif.

Il y a peu, les Parisiens Meredith, en trois disques mûrement instinctifs, nous rappelaient que, oui, certes : au mitan des années quatre-vingt dix, l’Inrockuptible au teint blafard qui ne jurait que par les Smiths et Joy Division s’était néanmoins procuré (en cachette) les albums Dirt et Ten. À l’époque pourtant, dans le genre grattes concassées, Sonic Youth et les Pixies (puis Pavement) nous semblaient plus aptes à retranscrire l’intimité recherchée dans un disque, cette idée (très égoïste, voire délicieusement naïve) d’une collection de chansons n’appartenant à personne d’autre qu’à soi-même. Mais certains titres de Pearl Jam et d’Alice in Chains (pour ne citer que les gros vendeurs d’antan) attiraient, intriguaient, et finalement se partageaient avec des individus dont-on refuserait aujourd’hui la moindre demande sur Facebook.

Les Angevins Daria (pas un hasard, ce prénom) devaient certainement, durant leurs fières jeunesses (qu’importe la période), tromper l’ennui urbain en ne jurant que par le rock bruitiste. Un rock bruitiste moins dépendant des écorchures nirvanesques qu’au regain de vitalité affiché par Dave Grohl au moment de lancer son étape rédemptrice baptisée Foo Fighters, en 95, avec un premier LP qui peut éventuellement se réécouter, nowadays, sous le joug du plaisir attendri.

Car chez Daria, le rock a bien conscience que les 90’s appartiennent à un passé qu’il ne vaut mieux pas déterrer. L’état d’esprit contemporain, plus futile et léger, préfère le discours flouté aux mises en garde suicidaires, le chic clinquant à la haine de soi. Question de mentalités et d’environnement social… Daria, ainsi, refuse de paraître autrement que ce qu’il est : révérencieux dans la forme, primitivement et simplement rock’n’roll – de la pure éclate consistant à enregistrer live tout un album qui déchire (A Quiet Anarchy, clame le groupe). Il serait légitime de déplorer ici la prédominance du fun au sein d’une musique qui, dans ses origines dites grunge, fonctionnait tout de même au mortuaire (malgré, faut-il le redire ?, l’exploitation du mal-être adolescent par un grand nombre de gentils pessimistes ayant bien senti venir un filon « teen spirit » et ne s’exprimant que par les mots « destruction », « chaos » ou l’inénarrable mais direct « suicide »). En même temps, comment reprocher à Daria le souhait de ne pas proposer du bullshit sentencieux ou du négativisme déconnecté des actuelles attentes rock ? (Franchement, il y a aujourd’hui suffisamment de quoi se lamenter pour s’épargner quelconques discours pseudo prophétiques nous parlant de « la fin d’une ère » ou d’un « horizon funèbre » – merci mais non.)

Plutôt que d’appartenir au présent, Daria s’y adapte en prônant son amour des 90’s. Et sans doute avons-nous actuellement besoin de cela. Reste qu’il faudra bien, lorsque le recul autorisera à nouveau l’introspection, sentir des groupes hargneux en phase avec l’effarement et la peur nous conduisant actuellement vers un hédonisme un brin forcé, aussi rassurant qu’éphémère.

Tracklist
01. Past/Simple
02. Margins
03. February
04. A Quiet Anarchy
05. Impossible Colours
06. A Tired Hand
07. Suspension Of Disbelief
08. The Ghost in the Machine
09. Inner Dialogue
10. I Live in a Scottish Castle
11. Coup de Grâce
12. Empirical Dismay
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