Editors / Violence
[PIAS]

6.4 Note de l'auteur
6.4

Editors - ViolenceOn a sacrément bien fait de ne pas se jeter dans cette critique trop tôt. Quelques semaines après sa sortie, et un bon mois et demi depuis sa découverte, ce sixième album de Editors, Violence, a fait du chemin et a su nous inspirer autre chose que de présenter, peut-être, le dernier stade d’évolution d’un groupe qu’on aura beaucoup aimé mais aussi appris à délaisser avec le temps. In Dreams, leur précédent album, nous avait abandonné dans une zone d’ombres, sans qu’on sache vraiment si l’album était bon ou mauvais, mais surtout sans qu’on sache vraiment pourquoi on fréquentait encore le groupe.

D’une certaine façon, on n’avait jamais fait le deuil des espoirs soulevés par The Back Room (2005) lorsqu’il s’agissait de tenir avec ce groupe de Birmingham la relève d’Interpol et un vrai espoir post-punk pour les années futures. Il nous aura fallu dix ans et au moins trois albums pour comprendre que Tom Smith avait fait un pas de côté définitif et ne serait jamais le nouveau Ian Curtis. In dreams sonnait pour nous comme la rencontre un peu foireuse de U2, Coldplay et Depeche Mode (des références pas si redoutables finalement). Violence noircit et durcit le propos, sans se soustraire à la quête d’un son mainstream et taillé pour les stades qui anime maintenant le groupe. Le résultat est plus sombre et plus consistant qu’on aurait pu le penser sur une première écoute, avec des chansons certes calibrées pour « bien fonctionner » mais qui sont efficaces, bien écrites, denses, nourries par une vraie vision et témoignent d’un engagement total du groupe dans sa nouvelle direction. De quel droit reprocherait-on à Editors de voir plus grand et de se donner les moyens de faire respirer sa musique au grand air ? De quel droit reprocherait-on à Editors de ne pas suivre la feuille de route qu’on lui avait assignée trop vite ?

Violence est un album audacieux, affamé et pétri de bonnes chansons. Ca démarre d’emblée sur un hymne magnifique et à la sobriété qui ferait presque passer le morceau pour une chanson de The National.  Le titre se développe autour de la voix placée du chanteur, virtuose dans les modulations et sa capacité à créer l’intimité, souple aussi dans sa façon d’aller chercher les notes plus haut et d’incorporer un air de soul dans sa plainte. L’instrumentation vient souligner le crescendo émotionnel autour du refrain : « Be a ghost tonight. Dont you be so cold….« . Aux chœurs bizarres près (« yeah« ) qui renvoient la complainte d’une manière douteuse, Cold est une entrée en matière parfaite. Hallelujah (So Cold), dans un registre plus attrape-tout, montre les muscles. Le son est puissant, faussement vénéneux comme un Coldplay qui s’encanaille ou se prend pour Nine Inch Nails. Le résultat est toutefois convaincant et étrangement séduisant. On a plus de mal avec le morceau Violence qui suit, électro pop vaguement claustrophobe, qui nous donne l’impression d’être prisonnier dans une back room à l’heure de grande affluence. Passées les deux premières minutes magnifiques, le morceau s’étire en longueur et n’arrive pas à dire quoi que ce soit. Ce ton « variétés » manque emporter aussi Darkness At The Door, chanson qui s’avère dans son genre assez irrésistible. Le morceau ressemble à l’un de ces bons tubes des années 80 qu’on pouvait entonner à la cool en regardant le Top 50. La production est vintage, très U2 sur les bords, pour un mélange de divertissement et de poésie romantique. Editors excelle désormais dans ce registre où se côtoient une intension ténébreuse prononcée et un son accessible et dynamique.

Après la balade des années 80, Nothingness est la chanson émotionnelle et « pleine conscience » de l’album. On peut éprouver une certaine gêne devant ce son plein de certitudes et de recettes (les guitares sont redoutables en ce sens) mais aussi trouver un certain charme à l’entreprise. Le reste de l’album est à l’image de ce morceau : brillant mais précisément codifié pour séduire. Magazine est un excellent single, puissant et noir. Violence donne envie de racheter un Perfecto, de se laisser pousser les cheveux bas sur la nuque et peut-être de louer une moto pour traverser le pays avec une fille racée à l’arrière, ses nichons pressés contre notre dos et le vent dans le cuir.  No Sound But The Wind est magnifique et belle à pleurer. On a beau savoir qu’elle a été écrite pour ça (la BO de Twilight), la chanson désarçonne par sa justesse au point qu’on sort tout seul (là dans notre chambre) un briquet du tiroir pour accompagner la plainte. La voix de Smith est craquante et justifie qu’on se trouve là pour les dix années qui viennent. Matt Berninger peut aller se rhabiller avec ses grands airs. Editors fait du vrai rock populaire de qualité et le distribue à prix accessible (et dans les grandes surfaces), sans qu’on soit obligé de se fader des légions de hipsters, du tofu et des conneries engagées. Below clôt la donne comme on pouvait s’y attendre : avec élégance et juste ce qu’il faut d’emphase pour qu’on ait l’impression d’avoir assisté à un spectacle pour adultes.

Violence n’est ni un chef d’œuvre, ni une foirade. C’est un album de rock dense et bien charpenté qui s’adresse à tous ceux qui pensent que le rock « à l’ancienne » a encore un avenir. On peut se gausser du devenir d’Editors mais aussi se laisser séduire par cette solide collection de chansons. Il faut sans doute que cela existe pour que des choses plus radicales prospèrent dans les culottes du diable.

Tracklist
01. Cold
02. Hallelujah (So Low)
03. Violence
04. Darkness At The Door
05. Nothingness
06. Magazine
07. No Sound But The Wind
08. Counting Spooks
09. Belong
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