Gareth Dickson / Orwell Court
[Discolexique]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Gareth Dickson - Orwell CourtCe n’est pas comme si un type qui grattait seul sa guitare ne jouait vraiment que d’un seul instrument. A un certain niveau de maîtrise, il paraît que chaque corde gagne sa vie propre et contient à sa manière un petit orchestre. C’est cette impression d’une profusion et d’une richesse incroyable atteintes avec très peu de moyens qui caractérisent le mieux le jeu et la musique de Gareth Dickson. L’Ecossais a livré en fin d’année dernière un quatrième album, Orwell Court (Discolexique), dont on a, comme les précédents, assez peu entendu parler. La discrétion ne paie pas, ou du moins pas dans cette vie là. On imagine de toute façon qu’un type qui compose ce genre de musique ne s’attend pas à rouler en limousine et à fumer du crack avec Kanye West au bras de prostituées bulgares. Gareth Dickson se fait photographier (sans la tête), avec une bûche qui ressemble à un phasme géant de caméléon. C’est un autre style : végétarien probablement, modeste (comme l’art du même nom), et pas très porté sur la danse (encore que…). Comparé souvent à Nick Drake pour la finesse de son jeu et sa technicité, Gareth Dickson ne lui arrive pas à la cheville. Là où l’icône anglaise imposait ses mélodies et sa voix poétique en quelques dizaines de secondes, l’écriture de Dickson prend son temps et se développe  plutôt dans la durée. Sa voix module peu et occupe l’espace traditionnellement réservé à la rythmique dans les compositions. Ainsi et paradoxalement, c’est la voix qui sert de point d’appui aux arabesques et aux motifs tissés par la guitare. C’est celle-ci qui fait vivre les morceaux, les étire, les enveloppe et les nappe d’une étrange lumière vive. Là où Drake irradiait instantanément, Dickson réchauffe les cœurs avec la lenteur d’un feu de cheminée, usant de chambres d’écho ambient et d’infra-nappes électro pour doper la mise en abîme.

Guitariste fétiche de la princesse folk psyché Vashti Bunyan, qu’il a accompagnée lors de son grand retour en 2005, Gareth Dickson joue de son instrument comme d’autres respirent sous l’eau ou volent dans les airs, c’est-à-dire avec suffisamment de facilité pour qu’on ne voit ni le travail, ni l’art derrière. On croit parfois entendre une harpe  tant la guitare a de résonances. L’album entier ressemble à une aube qui se lève, à ce moment si particulier où le jour succède à la nuit, où le soleil point et efface un à un les rayons de nuit qui ont composé les ténèbres. L’attention portée à ces instants de relève est permanente, déclinée selon plusieurs acceptions : amoureuse sur le sublime Two Halfs qui ouvre l’album, philosophique sur The Big Lie ou presque politique sur Red Road. A chaque fois, la musique de Dickson semble tapie dans un coin et s’éveiller avec le morceau, s’ébrouer sous les rayons de corde avant de gagner en volume (si peu) pour occuper l’espace disponible et le réchauffer. Là où Nick Drake donnait le sentiment de considérer le monde depuis la fenêtre de sa chambre, Dickson le survole et glisse, dans un long et lent travelogue poétique, en de magnifiques développements atmosphériques. Depuis un train de campagne, un planeur sourd ou un vélo lancé à pleine vitesse, on voit la plaine et les hommes qui s’activent comme des fourmis. Il y a de la cinématographie dans le beau The Hinge of The Year, où l’on entend autant les influences folk que celle de l’école minimaliste, les échos d’un Hood acoustique, la grâce lourde d’un Mark Eitzel, la mélancolie continentale de Motorama. Dans la famille folk, Dickson  ressemble finalement plus à John Martyn qu’à Nick Drake, moins immédiat peut-être mais tout aussi efficace dans la durée. A l’image du bonhomme fil de fer de The Big Lie, on sent que chaque note est gagnée sur le néant et posée l’une après l’autre dans un combat, perdu d’avance, contre le temps et l’âge, répété jour après jour.

Le réconfort apporté par les chansons de Gareth Dickson est immense, à l’image de cette reprise audacieuse de l’Atmosphere de Joy Division qui ferme le disque. Le jeu de guitare y est ralenti à l’extrême et le chant encore plus appliqué que sur les autres morceaux. La lumière et la chaleur s’infiltrent entre les notes, reproduisant avec des moyens différés la prise d’espace insensée et hypnotique du morceau originel. Gareth Dickson n’arrive pas à la cheville de Nick Drake. A l’épaule sûrement comme deux camarades de classe qui se tamponnent le dernier jour d’école, à des décennies de distance, pour se dire à bientôt. Il y des filles qui sont plus importantes que d’autres. Des disques aussi.

Gareth Dickson – Red Road

Gareth Dickson – Snag with the Language

Tracklist
01. Two Halfs
02. the Big Lie
03. Snag with the Language
04. The Hinge of The Year
05. Red Road
06. The Solid World
07. Atmosphere
Ecouter Gareth Dickson - Orwell Court

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