[Chanson Culte #14] – Ice Ice Baby, le jour où l’industrie a inventé le hip hop

 

Vanilla Ice

Désuet, anecdotique, négligeable, kitsch. Il n’y a pas grand monde qui est prêt à défendre aujourd’hui le Ice Ice Baby du rappeur Vanilla Ice. Le rappeur de Miami n’a pas fait une carrière immense et a fini complètement essoré au milieu des années 90, accroc à la cocaïne et quasi suicidé après avoir tenté de se recycler dans un groupe grunge Pickin Scbaz. On l’a vu sur un ring de catch au début des années 2000, en animateur télé, en train de pousser la chansonnette avec le batteur de Iron Maiden et la guitariste d’Anthrax, dans une émission de téléréalité puis une autre (Dancing With The Stars, bien sûr, cette lessiveuse insensée pour losers), avant de finalement mener une vie (plutôt douce) d’intermittent du spectacle multitâches, entre tours de chant vintage, apparition en guest star et petit rôle à la télé. Le gars est revenu d’entre les morts et s’est réinventé en mangeant des légumes et en buvant du jus d’herbe.

Robert Van Winkle qui aura 50 ans cette année est pourtant, malgré lui, une pièce majeure de l’histoire du hip-hop : le petit gars qui en 1989/1990 aura réussi à imposer le hip hop comme un objet de consommation mainstream sur la seule force d’une chanson énorme : Ice Ice Baby. Premier single de l’histoire à atteindre le sommet des charts. Premier morceau interprété et porté par un rappeur blanc, d’origine hollandaise, mais à la légitimité irréprochable. Oubliez ce qu’on vous a raconté sur NWA (de la blague), sur les débuts de De La Soul (1988). MC Hammer ? Laissez-moi rire. Le hip hop de cette époque est noir, exclusivement noir et qui dit noir dit marché restreint, en expansion mais limité et bloqué par un plafond de verre racial. Aucun parent blanc qui se respecte ne peut autoriser ses gamins à adorer des noirs en baggy qui parlent de défourailler dans la cité, de louter à tout va et se vantent de leurs exploits mafieux. La mode du rap déferle sur les États-Unis comme une vaguelette menaçante mais, contrairement à ce qu’on a pu raconter, cela reste confidentiel et largement minoritaire. Entre Dallas et Miami, Robert Van Winkle fait ses gammes. Son père biologique a disparu. Sa mère se marie avec un marchand de voitures puis divorce. Le gamin est livré à lui-même et grandit dans un environnement pauvre, ouvrier et black. Il tombe très tôt dans le rap, s’essaie au break dance en parallèle de sa première passion, le motocross, qu’il ne lâchera jamais. C’est à cette époque qu’il hérite du surnom de MC Vanilla, étant le seul blanc à oser s’aligner dans les battles. Son destin est étonnamment similaire à celui d’Eminem qui, paradoxalement, fera l’objet d’un culte des années plus tard alors que tout le monde se paiera la tête de Vanilla Ice. A 16 ans, Van Winkle prend l’habitude de composer des morceaux de hip hop dans sa chambre. Son frère amateur de rock a une sono plus puissante que la sienne et lui pourrit l’exercice en écoutant du rock à outrance. Dans une volonté de compromis, le jeune garçon se met à sampler les disques de son frère et à rapper dessus. C’est ainsi qu’il accouche en 1984 de la première version du morceau qui deviendra Ice Ice Baby.

Cosignée David Bowie et Queen

La ligne de basse caractéristique du morceau est empruntée note pour note à un morceau de Queen qui s’appelle Under The Pressure, chansons qui plus est composée avec David Bowie. Personne autour de lui ne sait vraiment ce qu’est un sample et encore moins pourquoi il faudrait payer le groupe originel pour son emprunt. La pratique n’existe tout simplement pas. La chose se résoudra devant les tribunaux des années plus tard, aboutissant à ce que le morceau soit signé rétroactivement et de manière amusante par Vanilla Ice, son complice Earthquake, Freddie Mercury et… David Bowie (créateur de la mélodie originale). Van Winkle fait son petit bonhomme de chemin dans le monde du rap local. Il a quelques ennuis, tutoie la petite délinquance et a même l’insigne honneur de se faire poignarder alors qu’il a à peine 18 ans. Il arrive à sortir un premier album hip hop en 1989 qui s’appelle Hooked. Le single extrait en 1990 de cet album s’appelle Play That Funky Music, un morceau assez cool mais qui ne rencontre aucun succès. C’est alors qu’un disc-jockey, David Morales, se plante et passe, par erreur, une nuit la face B de ce single maudit et envoie sur la piste Ice Ice Baby. La foule s’arrête net puis se met à danser avec frénésie. Morales vient de découvrir le potentiel instantané du morceau. Il repasse le morceau trois fois dans la même soirée pour s’assurer de son pouvoir extraordinaire.

Stylistiquement, Ice Ice Baby est tenu par l’emprunt à Bowie et Queen. C’est évidemment cette ligne de basse qui donne tout son attrait au morceau. Le rap de Vanilla Ice est à la hauteur. Sa voix un brin nasillarde lui donne du style et son look rassure les jeunes blancs et leurs parents. Son flow est un peu raide et le restera durant toute sa carrière, ce qui lui vaudra des moqueries et des sarcasmes. Vanilla Ice n’en reste pas moins un rappeur authentique et à la crédibilité street incontestée. Ice Ice Baby raconte l’histoire de deux garçons qui font une virée à la recherche (on le suppose) de drogue. Ils essuient une fusillade tandis que le narrateur en profite pour vanter ses talents de rappeur et paonner. Le morceau est propre, peu agressif malgré son contexte narratif et, à la différence de la concurrence, ne s’en prend à personne. C’est un titre gangsta pour les spectateurs passifs. Le rappeur évolue à proximité du danger mais n’y joue aucun rôle majeur. Exactement ce que peut rechercher l’auditeur étranger aux banlieues et qui n’a aucune intention véritable d’y mettre les pieds.

Roi du Monde

Après la découverte de Morales, les DJs se passent le mot et le disque explose jusqu’à se frayer une voie vers la tête du Billboard Hot 100, le graal des tops US. Le single fait une carrière internationale incroyable et déferle sur la planète. Vanilla Ice est instantanément récupéré par l’industrie du disque. Il signe sur une major liée à EMI et ressort le single sur son premier album « national », To The Extreme. S’en suivent trois années mirifiques où, porté par le succès du morceau, Vanilla Ice vit grand train et s’épuise en concerts et en fêtes. L’industrie a trouvé la poule aux œufs d’or : le type qui va transformer une mode noire en un phénomène industriel qui s’adresse autant aux noirs qu’aux blancs. Cela fonctionne au-delà des espérances d’EMI. Le rappeur Eminem regarde cela à Détroit d’un œil ébahi. « Lorsque j’ai entendu Vanilla Ice pour la première fois. J’étais dégoûté au point que j’ai failli arrêter de rapper. Ce gars était si bon. » A bien des égards, on peut considérer que Vanilla Ice aura autorisé au plus haut niveau la carrière des rappeurs blancs qui suivront mais aussi contribué à la reconnaissance du genre. Les clips s’enchaînent. Vanilla Ice intègre le gotha et devient pour six mois le petit ami de Madonna. C’est la consécration. L’ascension sexuelle ultime. Sa maison de disques sort une poupée à son effigie et teste sur lui les possibilités quasi infinies du marketing objet. Des remixes sortent à la pelle, des versions raccourcies pour la radio, des longues pour les clubs. Des aimants de frigo, des tee-shirts, des mugs. L’industrie jubile, consumant Vanilla Ice et son morceau phare jusqu’à ce qu’il n’en reste rien. La chanson est reprise par Alvin and The Chipmunks, par Weird Al Yankovic et le chanteur est parodié de manière éblouissante par Jim Carey qui transforme le refrain en un symbolique « White White Baby. Extremely White ». Cette parodie marque symboliquement le début de la fin pour Vanilla Ice. La cruauté à l’égard du chanteur est totale. Carey est génialement sans pitié. Un deuxième morceau cartonne et sert de titre phare au film Teenage Mutant Ninja Turtles 2 dans lequel le chanteur fait une apparition mégabounga. Clap.

Drug drug baby

Vanilla Ice devient l’objet de critiques de plus en plus acerbes. Sa crédibilité est entamée. L’homme ne refuse rien et incarne la compromission artistique. Alors qu’il n’avait rien à se reprocher, il devient le « jouet du système » et est rejeté avec violence par le monde du rap. Il devient le porte-parole et l’étendard de Nike et Coca Cola en 1992 et joue pour une soirée privée donnée par Boris Yeltsin en Russie. Lorsque sort son deuxième album en 1994, l’heure de Vanilla Ice est passée. L’album se fait étriller. Vanilla Ice s’est perdu en route et livre des chansons un peu connes qui racontent des histoires de fiestas et de fumette. En 1994, il essaie de se suicider en s’injectant de l’héroïne. L’artiste tente de se réinventer, s’échappe dans l’écologie, le végétarisme et le motocross. Il évite le pire mais ne renaîtra jamais complètement en tant qu’artiste, restant pour beaucoup un « one hit wonder » un peu honteux. De manière intéressante, il se reconstruira progressivement une crédibilité rap en frayant notamment avec le producteur Ross Robinson qui travailla notamment avec les Deftones, Morrissey et Limp Bizkit. L’album qui en découle, Hard To Swallow, est un mélange intéressant de rap et de hard rock. Certains prédisent qu’il va retrouver la voie du succès : ses textes redeviennent intéressants et en prise avec l’époque, la musique est originale, mais cela ne fonctionne pas. L’histoire repasse rarement les plats.

Ascension, chute, rédemption. Le reste se passe de commentaires. Vanilla Ice n’avait ni le talent, ni la qualité de plume et de flow d’Eminem. Il avait surtout l’immense désavantage d’être le premier de son espèce à réussir une percée aussi spectaculaire dans le music business. Pris comme un lapin agile dans les phares d’une voiture lancée à pleine vitesse, le pauvre Hollandais s’est fait écrabouiller et a failli rejoindre la belle Loana au rang des pionniers sacrifiés sur l’autel des premières fois. Près de trente ans plus tard, Ice Ice Baby tient toujours la route et gagne clairement à être redécouverte. La chanson a fait avancer à sa manière l’histoire des samples, sensibilisant les artistes à ce qui deviendra plus tard une affaire juteuse pour les avocats spécialisés. Elle a rendu le hip hop plus fréquentable qu’il n’était, ouvrant la voie non seulement à d’autres artistes blancs mais aussi à un véritable rayonnement populaire du genre. Cet aspect n’est pas à négliger. Il ne faut pas croire ce que les gens disent. Il ne faut pas croire ce que nos yeux et nos oreilles d’adolescents nous racontent. La vérité est ailleurs. If there was a problem, i’ll solve it ! Yo ma ; Let’s get out of there ! Word to your mother ! Ice Ice Baby Too Cold. Too Cold.

https://www.youtube.com/watch?v=8zAnDJ5OKHE

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4 Comments

  1. says: Papajoe72

    « Le hip hop de cette époque est noir, exclusivement noir » ???
    C’est mes yeux où les Beastie Boys ont soudainement été rayés de la carte ???
    J’avais le bête souvenir que « Licensed to Ill » (sorti le 15 novembre 1986) avait été le premier album de rap à atteindre la première place des charts américains et était l’album de rap le plus vendu des années 80.
    Et Kurtis Mantronik, Arthur Baker… ?

    Mais ça doit être mes yeux…

  2. says: Benjamin

    Tu as raison, je me suis un peu enflamme. Les beastie boys signent en effet le 1er album hip hop qui domine les charts us (le billboard) tandis que ice ice baby est le 1 er single a decrocher un numero 1. L impact single (par sa duree aussi) est different. Les beastie boys apparaissent comme une franchise transgenre mi rock mi hip hop et, malgre les ventes, sont moins populaires. On est de plus quelques annees plus tard, a une epoque ou les robinets a clip tournent a plein regime et ou l aspect commercial est monte en graine. Mais j aurais pu nuancer. Merci pour ta remarque.

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