Katy Perry : la femme-enfant

Katy PerryDepuis toujours, il existe deux Katy Perry. Deux personnalités, deux images. Douce schizophrénie bubble-gum.

Asexualité

La Katy première s’adresse aux adolescentes déstabilisées par l’originelle peine de cœur et par les souhaits fleur bleue. Musicalement, sur ce point, la jolie Perry ne lésine guère sur le refrain lacrymal et les sanglots dans la voix. Les thèmes abordés, eux, tournent autour de sujets que n’importe quel fan des Smiths s’amuserait à conspuer : le bonheur apporté aux enfants malades, le souvenir du boy friend décédé dans un accident de voiture, s’enrôler dans l’armée afin d’oublier une déception sentimentale… C’est la Perry concernée qui entonne un gros « je vous comprends » à l’adresse des jeunes filles. Les nièces et les cousines de onze ans adorent, les quarantenaires accros à The Cure préfèrent une autre forme de romantisme.

Cependant, dans cet aspect messianique bien guimauve, Katy Perry ne triche pas. Elle assume totalement son premier degré et refuse d’y apporter un emballage ouvertement féministe ou exagérément provocateur. Car inversement à Miley Cyrus, l’auteur de Part of Me (intitulé qui résume bien la personnalité de la compositrice) n’a jamais besoin de se foutre à poil pour attirer les foules. Pour cause : Katy Perry ne peut concevoir l’érotisation. Elle donne au contraire la sensation d’une précieuse chasteté, voire d’une asexualité qui la transforme en collégienne éternelle. Il serait trop simple de n’y voir qu’un calcul stratégique afin de titiller le cœur sensible des midinettes. En fait, Katy Perry, lorsqu’elle aborde des thématiques aussi mielleuses que les enfants malades, y croit sincèrement – telle une adolescente s’inscrivant bénévolement dans une association caritative.

Fantasmes

La Katy seconde justifie le bigotisme de la première. C’est la Katy autoparodique, guère dupe du star-system, cassant son image pour mieux dévoiler un autre trait de sa personnalité (ne jamais se prendre trop au sérieux sous peine d’afficher un égo assassin) ou une vérité que la plupart de ses comparses féminines préfèrent zapper (comme toutes les filles, Katy n’a pas toujours été belle, elle a probablement porté un appareil dentaire, elle fantasmait en vain sur le beau sportif du collège).

Toute l’histoire de la chanson Last Friday Night découle non d’une référence au teen movies, mais de la nécessité, pour Katy Perry, de se remémorer l’adolescente boutonneuse qu’elle fut un jour. C’est la Perry que l’on adore, celle qui conduit sa barque à l’opposé des autres chanteuses populaires.

Last Friday Night, dont la vidéo s’étale sur huit bonnes minutes, ne rend pas vraiment hommage à Sixteen Candles ou Pretty in Pink (teen movies cultes 80’s) mais replace la figure de Katy Perry dans un environnement adolescent : les parents partis pour le week-end, les copains qui débarquent, la fête à la maison, la beuverie éthylique. En rameutant des figures de sa génération telles que Rebecca Black et le groupe Hanson, puis en confrontant ceux-ci à l’icône has been Corey Feldman (Goonies), Katy Perry s’amuse moins de son image de star qu’elle n’affirme une généalogie avec les filles un peu gauches, un peu larguées, tendres solitaires que l’on croisait chez le cinéaste John Hughes. Katy Perry sait d’où elle provient. Chez elle la référence n’existe pas : ce ne sont que des bribes d’elle-même qui ressortent, des évidences sans aucun lien avec la pop culture. La Perry vit dans un présent pas loin de l’intemporel ou d’un fantasme qui verrait l’adolescence ne jamais prendre fin : passé comme futur se rejoignent pour donner naissance à une femme-enfant qui joue avec sa jeunesse et nie l’évidence du quotidien. Une femme-bulle.

Victimisation

Chaque album de Katy Perry se scinde en deux antagonismes : le sérieux et son pastiche. Une telle insistance démontre surtout que la Perry, selon l’humeur, aime autant aborder des sujets « concernés » que rire un bon coup avec ses copines. Car lorsqu’elle se lâche, Katy Perry (qui est une excellente comédienne, au niveau d’une Mary Elisabeth Winstead) endosse les habits de Sheena (Roar), embrasse des gonzesses (I Kissed a Girl), traque à mort l’enfoiré ayant osé la refuser comme épouse (Hot N Cold) ou délire avec Snoop Dogg dans une forêt peuplée de Bisounours faisant des doigts (California Gurls).

Sauf qu’en fille désinvolte, Katy Perry est la reine des plans foireux : trompée, larguée, ridiculisée, elle se positionne toujours en mode inférieure (le clip de Wide Awake montre explicitement une diva face aux caméras, puis, dans une mise en abyme qui nécessiterait un bon psychanalyste, remodèle la star en créature burtonnienne). Une victimisation propre à la collégienne mal dans sa peau : femme-enfant, la Perry, malgré sa réussite artistique et financière, gravite encore dans les songes et les craintes de ses onze ans.

Réalité et fiction

La structure des clips Last Friday Night et Roar est similaire : dans le premier, Katy est un cageot (lunettes envahissantes, poils sous le nez, appareil dentaire) qui se transforme en pin-up et emballe le playboy du lycée ; dans le second, elle est paumée en pleine jungle suite à un crash d’avion, elle flippe au moindre bruit, pousse des petits cris, puis se métamorphose en amazone qui dompte les lions.

Il y a bien sûr une métaphore explicite du passage de l’enfance à l’étape adulte, mais ce changement, chez Katy Perry, donne l’impression de n’appartenir qu’au royaume du fantasme. La chanteuse semble croire très fort en sa position de fille marginalisée, pas très jolie et sans expérience. En revanche, lorsqu’elle endosse le look séducteur (comme par magie), la réalité devient fiction et vire à l’inconcevable imaginaire (faire tourner la tête des footballeurs, commander les animaux de la jungle). Katy Perry dépeint avec réalisme les affres de l’adolescence (probablement car elle y puise), puis de façon onirique son émancipation en tant que femme (probablement car elle n’a jamais grandi).

Les deux Katy Perry possèdent ainsi une ligne de démarcation : la réalité et sa fiction. Il est troublant de constater que le réel ne renvoie qu’au passé (l’enfance), et la fiction à un présent totalement déconnecté des contingences adultes. D’où, notamment, un univers sans sexe, car les adolescentes romantiques préfèrent rêvasser au prince charmant plutôt qu’aux ébats torrides (là où Britney Spears prit soin de vite se montrer femme dominatrice pour faire oublier ses origines Disney).

Katy « Peter Pan » Perry ? Même pas. Le syndrome Peter Pan exige la foi en une jeunesse éternelle car élégiaque (axe Steven Spielberg). La Perry tendrait plutôt vers le syndrome Edward aux mains d’argent (axe Tim Burton) : s’unir au monde tout en se sentant un peu freak, pas trop adulte car plombé par les cauchemars de l’enfance. Freddy Krueger, sors de ce rêve !


Crédit : capture d’écran du clip de Last Friday Night.

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