[Loco Pop #2] – Polyrock : le diable danse avec ta belle-mère !

Polyrock par Gavin MulliganEn écoutant religieusement Polyrock (photo : Gavin Mulligan), on se prendrait presque à danser avec la belle-mère les dimanches après-midi après le dessert pour montrer à cette vieille roulure comment le rock’n’roll a évolué même à son époque, et danser et sautiller ensuite non-stop jusqu’à ce qu’elle vous claque magistralement et d’épuisement dans les bras ! Prières vaines bien entendu ! Ça fait belle lurette que le diable a quitté la maison rock, à part peut-être chez les Eagles of Death Metal.

Ainsi soit-il donc, après l’entrée en matière spaghetti mutant italien Chrisma avec le frère de Vangelis, place au combo new-yorkais Polyrock et leur 1er LP éponyme, pièce d’orfèvrerie fabriquée de main de maitre avec cette autre collaboration tout aussi fructueuse et intéressante nommé Philip Glass qui deviendra plus tard le grand compositeur contemporain répétitif mais pas barbant que l’on sait.
Mais alors que toute la planète noctambule tourne encore autour de la boule à facette disco accrochée au plafond des nuits enfiévrées que la lune fait suer – sans déo car pas encore inventé- et en balayant quelque peu le couloir toujours crasseux mais apaisé laissé par le punk, quelques groupes atypiques émergent tant bien que mal. Ils s’émancipent et vont bien au-delà du format attendu jusqu’à s’affranchir irrémédiablement du style anarchique incandescent et déjanté en vigueur. A New-York, une nouvelle génération de groupe voit ainsi le jour emmenée par les emblématiques Television et Talking Heads en tête qui feront leurs premières armes au fameux CBGB, temple du rock underground new-yorkais s’il en est. L’image d’un CBGB centre du monde est un peu excessive comme s’il n’y avait toujours eu qu’un club digne de ce nom dans cette petite bourgade de plusieurs millions d’habitants, ou comme s’il n’y avait eu qu’un seul pépin prêt à germer dans cette grosse pomme.

Les jeunes pousses de Polyrock eux se forment en 1978, composées entre autre des frères Billy et Tommy Robertson aux guitares et Philip Glass au synthé, et viennent un peu déjouer les projections disco punk en échouant presque sur la troisième marche de la reconnaissance, à la plus mauvaise place du temps, anachronique diront certains, mais que pouvait-on espérer d’un visionnaire aussi imprégné que Glass ? Il crée presque à lui tout seul un son original de musique énergisante, répétitive et dansante adapté au format rock band, qui bien entendu n’aura pas le même succès que les groupes plus ou moins évocateurs tels Suburban Lawns ou les Flying Lizards guidés eux par de vrais chanteurs. Car il faut bien l’avouer, Polyrock se revendique presque comme un groupe instrumental saupoudré de voix polyphoniques et d’un chant plutôt fantomatique qui n’est pas leur point fort et expliquer peut-être leur manque de capacité à éveiller la curiosité du public malgré l’énergie juvénile déployée. Sur la vidéo de leur morceau phare Bucket rider, ils ont beau suer comme des éponges et se démener comme des diables, rien n’y fait : le succès Polyrock ne viendra pas, alors à quoi bon en parler si ce n’est crier à l’injustice ? Justement, injustement reconnu hier, légèrement mieux aujourd’hui, leur déhanchement est heureusement arrivé jusqu’à nous, et tout compte fait leur musique se suffit largement à elle-même.

Polyrock, loose & pulsion romantique

Le sextet produit en 1980 leur premier LP Polyrock sorti chez RCA. La basse électrique est éjectée et remplacée par le fameux synthé ms20 conduit par Glass, la vieille rickenbaker déterrée des sixties, domptée par Billy Robertson, rivée au corps, dégaine ses coups de médiators au son si caractéristique et aux gimmicks diablement bien cadencés. Et la mayonnaise prend corps tout de suite dans ce monopoly rock sans passer par la case départ, tout est bon à acheter ou presque. Sur le premier titre Romantic me balade minimaliste au son d’orgue cheesy met l’eau a la bouche de suite, le chant rappelle le chanteur David Byrne ou Silver Apples, le morceau this song aux accords répétés inlassablement rappelle allègrement les B’52s, ensuite c’est un défilé de morceaux plutôt bien maitrisés, jusqu’au fameux bucket rider sorte de boucle électrisante extrêmement efficace et stimulante, l’un des meilleurs morceau de l’album. Dans l’ensemble le disque a peu de déchet, à rendre presque jaloux un Franz Ferdinand qui ne renierait pas certains morceaux.
Leur deuxième LP changing heart toujours chez RCA, dans le sillage du précédent, au style poli et à la production musicale soignée, les guitares fuzzent carrément plus. L’album se veut moins spontané contrairement au premier. On sent la batterie plus tarabiscotée sur certains morceaux avec des pointes de percussions latines en plus. Le chant plus pop, plus sage par moment vient parachever la bonne tenue des morceaux lorgnant de plus en plus vers le style new-wave et, en tout cas, toujours aussi remarquablement efficace, rien à jeter ou presque. Quelle prouesse de réunir une telle densité de morceaux aussi intéressants du début à la fin d’un second disque qui bien souvent, faute d’inspiration ou sous la pression de la maison de disque, sonne souvent le chant du cygne pour pas mal de groupes.

Glass Action

PolyrockEnfin, un mini LP sort en 1982 Above The Fruited Plain et clos la petite histoire de Polyrock, avec 4 morceaux peu engageants à part indian song, LP qui s’enlise dans une sorte de soupe disco pop comme il en existait pas mal dans les clubs à cette époque-là. Sans doute était-il temps de tirer sa révérence parce que la suite allait vraiment être trop polypop ou polydisco ! Par la suite Glass continuera son chemin en solo en route vers la gloire tant attendue et le groupe se dissoudra aussi vite qu’il est apparu.
Mais alors, dis, pourquoi, si c’est bien, ne trouve t-on pas Polyrock dans les compils années 80 qu’on trouve chez tous les marchands de journaux ? Parce qu’un collectif de belles mamans l’a tout simplement interdit pour d’obscures raisons ? Oui … mais pas que… A trop vouloir danser et pas chanter, on se prend un jour ou l’autre les pieds dans le tapis, ce pourrait être le proverbe lamentablement persan de fin prématurée pour Polyrock. Ceci dit, historiquement c’est l’exemple typique de groupe année 80s quasiment inconnu qui a réussi à traverser le temps sans une égratignure, et que les esthètes du son redécouvrent à rebours. On reste toujours pantois devant la qualité de leurs compositions et la maitrise de leur sujet. De la très bonne came, mais qui en aurait douté avec super Glass comme lunettes de vue.

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