Deux garçons pleins d’imagination : Lol Tolhurst raconte The Cure pour l’éternité

8 Note de l'auteur
8

Lol Tolhurst - Cured : The Tale of Two Imaginary BoysLa scène dont on se souviendra longtemps après avoir refermé le livre de Lol Tolhurst se déroule étrangement à quelque distance de l’histoire officielle du groupe. Elle n’en reste pas moins celle qui résume le mieux l’apport de ce livre remarquable que signe Lol Tolhurst, intitulé Cured : The Tale of Two Imaginary Boys. Septembre 1964. 1965 peut-être. Crawley. Banlieue de Londres, un pied dans l’urbanisme triste, un autre dans la campagne anglaise. Ciel gris. Deux gamins font leur entrée à l’école primaire cette année là. Deux garçons de 5 ou 6 ans, petite classe moyenne, bruns, gentils, timides, rêveurs. Ils doivent prendre le bus. C’est le premier jour. Leurs mères qui se connaissent un peu attendent avec eux sous l’abri de béton. Il pleut. L’un des gamins, Robert Smith, est mort de trouille et à deux doigts de fondre en larmes. L’autre, légèrement plus grand, a l’air plus vaillant. Lol Tolhurst. Plus solide en apparence. Madame Smith prend alors la main de son fils et la fourre dans celle du petit Tolhurst en disant : »Ne pleure pas Robert. Lol va prendre soin de toi. Tu n’as pas d’inquiétude à avoir » Lol Tolhurst accepte la main du petit Robert et le regarde dans les yeux. L’autre arrête de pleurer.

Les deux ne se quitteront plus ou presque jusqu’en 1988, date à laquelle peu avant la sortie de l’album Disintegration, dernier album du groupe auquel il participera (officiellement), Tolhurst est foutu à la porte à l’issue d’une séance d’écoute collective du disque, dans lequel Smith a beaucoup investi, et où Tolhurst, bourré comme un coing, déclare qu’ « une moitié est bien et que l’autre ne ressemble pas au Cure qu’il aime« . La scène, elle aussi rapportée dans le livre, est tragique et amusante à la fois. S’en suivra comme chacun sait, un procès peu glorieux où Tolhurst perdra tout mais où il retrouvera aussi paradoxalement la voie de la sagesse. L’histoire de ce livre est autant l’histoire de The Cure, vue à travers l’un de ses membres fondateurs, que l’histoire de l’amitié qui lie l’auteur à Robert Smith. Alcoolique repenti « à l’américaine », Lol Tolhurst utilise cette autobiographie pour panser ses plaies et s’amender. Le dernier tiers du livre est une histoire sensible de rédemption (avec passage au désert) et en même temps le portrait d’un homme qui grandit pour retrouver l’homme qu’il aime.

Ce qui frappe ici comme souvent dans les biographies rock, c’est la façon dont le rock vient prendre les gamins au berceau. Le récit de Lol Tolhurst est parfait sur les premières années et on suit ça les yeux grands écarquillés. Easy Cure. L’époque en 1977 où Robert Smith n’est pas encore le chanteur  du groupe. Le concert donné au square de Crawley à proximité des commerces. Le pub où tout commence. L’achat des premiers instruments. La bienveillance de la famille Smith. L’amitié avec Porl Thompson. Tolhurst situe admirablement le contexte qui donne naissance au groupe dans son environnement : ce Crawley, mythique pour les amateurs du groupe, et dont il donne une description presque ballardienne de ville médiocre, un brin oppressante, trop petite pour contenir tous les rêves des imaginary boys. L’histoire du rock se résume souvent à ça. La motivation des deux garçons est avant tout de foutre le camp, un refus plus ou moins téméraire de se couler dans la vie que la société entière met à leur disposition. Le trio s’assemble, avec Michael Dempsey et c’est parti. Ceux qui aiment The Cure parcourront avec plaisir l’épisode piteux avec Hansa, la rencontre avec le boss de Fiction Records. Les premiers essais en studio. Three Imaginary Boys. Le succès naissant. Ce moment où Lol et Robert savent que leur musique est capable d’attirer l’attention de TOUS les publics, jeunes, vieux, punk. Il y a de la magie dans l’air. Robert Smith est dépeint ici avec un immense respect, un amour presque infini. Tolhurst choisit délibérément de faire de sa biographie un hommage à son meilleur ami qui apparaît tout du long comme l’homme parfait : inspiré, poète, équilibré,  droit, fidèle, rationnel, joyeux luron. Le portrait de Robert Smith qui esquive le voyeurisme et élude les périodes sombres (la consommation de drogue est mentionnée mais peu développée, par pudeur probablement, ou une volonté de ne pas trop en dire) renforce la fascination qu’on peut avoir pour le chanteur de The Cure. On ne sait pas trop si Tolhurst, qui a rejoué en 2011 avec le groupe lors de la tournée Reflections (il remontait sur scène pour interpréter l’album Faith dans cette relecture enchaînée des trois premiers disques de The Cure), vise à travers le livre à guigner à nouveau une place de membre permanent dans le groupe. On en est pas certain. Son témoignage sent la sincérité, l’émotion sur chaque page et est animé d’une belle vigueur. L’anglais de Tolhurst est précis, imagé, divertissant. La figure de Smith est partout : majestueuse, admirable, souveraine. C’est évidemment lui le héros véritable du livre. La dimension que prend son personnage suffit à elle seule à donner au livre des allures de classique ou de roman épique. Le récit des concerts argentins de 1987 se lit comme un conte mythologique. Robert Smith est plus que jamais notre héros.

Les plus exigeants resteront sur leur faim par certains aspects car on parle assez peu de la cuisine interne du groupe, assez peu musique finalement, même si Tolhurst en profite pour réaffirmer son rôle de side kick déterminant sur la période la plus prisée du groupe, à savoir les quatre albums clé que sont Three Imaginary Boys, Seventeen Seconds, Faith et Pornography. L’histoire officielle telle qu’on se la représentait ne lui donnait pas cette importance. Il admet avoir fourni pas mal d’idées, complété quelques textes parfois et aurait joué ce rôle plus longtemps qu’on l’imagine généralement. Peu importe à vrai dire.

Ce qui est certain avec le recul, c’est que The Cure est encore en place et fête ses quarante ans d’existence cette année. On peut considérer qu’il y a des albums en trop dans la discographie du groupe (quel groupe avec cette longévite n’a pas raté 2 ou 3 trucs) mais Tolhurst confirme ce que ceux qui vont encore voir le groupe en concert savent très bien : Robert Smith ne fait jamais semblant. Le garçon plein d’imagination est aussi un fils obéissant, un jeune homme exemplaire, dont les manifestations monstre de 2H30 ou 3H ne sentent jamais le chiqué, le réchauffé ou l’artifice. En 2016 comme en 1976, l’histoire du groupe n’est pas sans rappeler celle de Peter Pan, celle d’un enfant qui refuse de se transformer définitivement en dinosaure.

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4 Comments

  1. says: Ivlo

    Très bon papier sur un livre émouvant. Lol est un garçon sensible et ce caractère transparait de ses mémoires. J’ai eu la chance de discuter avec lui et cette gentillesse vis-à-vis des fans de The Cure n’est pas une légende. Juste un petit bémol concernant le tag « gothique » qui, à mon sens, pourrait être remplacé par celui de « punk » (cf les premiers chapitres du livre). En tous les cas, merci pour cette chronique Benjamin.

  2. says: Guyon Olivier

    J’écoute The Cure sur mon téléphone La version « délice » de l’album In Beetwin days….
    Et c’est alors que je me demande bêtement qui est à la batterie ?
    Et je me dit, mais qu’est il devenu après avoir été viré comme un pauvre gus alcoolique qui n’a pas vu le vent tourner !
    Cette biographie je ne l’ai pas lu… mais je fait partie de ces jeunes … j’avais 18 ans et je travaillais en banlieue de Londres (près de Redhill) et j’ai pris le train pour Crawley… je me souviens d’avoir mangé dans un Burger King près de la place vide et bétonnée où se trouve le kiosque à musique étrangement vide …
    Tu m’étonnes qu’ils aient eu envie d’aller voir ce qui se passais derrière ces bâtiments si tristes
    Et j’ai repris le train jusqu’à Reigate où je vivais et travaillais aussi…
    C’était l’hiver et j’étais mélancolique !

    Je lirais cette biographie avec ses souvenirs en tête, que le temps passe vite…

    Mais je me souviens de la bombe « In Beetwin days  » j’avais 14 ans et je suis allé les voir à Paris Le 15 Novembre dernier du chemin à été parcouru depuis ce temps….

    Merci Lol

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