Luke Haines / Smash The System
[Cherry Red Records]

8.9 Note de l'auteur
8.9

Luke Haines / Smash The SystemLuke Haines est grand. On pourra le dire de mille et une façons mais notre critique de son nouvel album se résumera, sans nuance aucune, à ce constat d’évidence : l’ancien leader de The Auteurs et Black Box Recorder a toujours le feu sacré et livre avec ce Smash The System, l’un de ses albums les plus enthousiasmants depuis… un an. Un an ? Il faut dire que l’homme a signé rien moins que trois réalisations en 2015 : British Nuclear Bunkers, un album électro apocalyptique merveilleux dont on a causé, un moyennement convaincant Adventures in Dementia, consacré à Mark E. Smith de The Fall, et surtout un album édité à seulement 75 exemplaires qui s’appelait Ravings.

Chroniqué nulle part (car personne ne l’avait, sauf quelques veinards comme nous), Ravings était un chef d’œuvre d’équilibre et de marketing mêlés (le coup des 75 exemplaires enregistrés live et à la queue leu leu) dont Smash The System reprend trois titres : The Incredible String Band, Marc Bolan Blues et l’immense Bomber Jacket.

Vendu comme le premier album non conceptuel de l’atrabilaire anglais depuis 2009, Smash The System est a priori un album de chansons, distinctes les unes des autres, mais qui se nourrissent de si près à la matrice référentielle de Luke Haines que leur contenu programmatique n’est pas très différent des albums thématiques sortis ces dernières années. Pas étonnant de fait de retrouver d’emblée le glaçant Ulrike Meinhof’s brain is missing, chanson qui aurait pu se trouver sur l’album signé Baader Meinhof, il y a dix ans, et qui en reprend le ton angoissé et gentiment provocateur de ce chef d’œuvre. La chanson se présente comme un conte horrifique raconté par une sorte de savant otaku marxiste au ton aussi flippant que déterminé. Ce premier titre est à lui seul assez impressionnant, mêlant un registre pop et une production vintage « à la Hammer » audacieuse. Le morceau illustre assez bien la virtuosité de Luke Haines, qui travaille quasi seul depuis des années et est passé maître dans la manière de tisser des ambiances sonores très différentes avec assez peu de moyens. Black Bunny I’m Not Vince Taylor reprend les codes électro du British Nuclear Devices et les associe aux obsessions rock n’roll de Haines. La chanson est remarquable, primitive en parfait écho à son sujet. Elle navigue dans cet entre deux mondes où le présent et le passé se brouillent dans une révérence névrotique aux premières années du rock. Luke Haines, à la façon de Julian Cope, s’impose au fil du temps comme l’un des architectes secrets du rock anglais : tissant des liens entre les années 1950 et la musique d’aujourd’hui, mais plus généralement entre l’innocence fantasmée de ces années-là (pourtant elles-mêmes angoissées et cauchemardesques à bien des égards) et l’indifférence libérale et individualiste d’aujourd’hui. Haines rejoint ainsi la plupart du temps les vues d’un certain nombre d’écrivains anglais qui cherchent les passerelles et les traces entre hier et aujourd’hui comme Iain Sinclair ou Michael Moorcock. Les morceaux de Smash The System agissent ainsi comme des formules magiques qui mettent en communication les disparus et les époques. C’est exactement ce qui opère avec des titres comme Ritual Magick, délicat et triste comme la mort, mais qui compte parmi les titres les plus splendides et émouvants de l’album, ou encore l’énergique Power of The Witch.

Le titre rappelle certains morceaux de The Auteurs. La déclamation est brutale, sèche et renforcée par l’absence de mélodie et la prévalence donnée à une rythmique étouffée. Avec Haines, le rock est renvoyé à sa mystique primitive : cette idée que tout se résume à une messe noire que des types toqués mais initiés célèbrent dans la clandestinité. Ecrire des chansons revient ainsi à convoquer des fantômes et à jouer avec des schémas préexistants. On voit passer encore une fois le fantôme d’Alan Vega et du Velvet mais aussi ceux de Julian Cope, bien vivant, (Cosmic Man Intro, en mode folk druidique), des Beatles (le magnifique Bomber Jacket) ou de Syd Barrett (Are you mad ?). Les références et les sous-textes ne doivent pas faire oublier que Luke Haines n’est pas qu’un type intelligent mais surtout l’un des meilleurs songwriters de sa génération. La quasi-totalité des morceaux de Smash The System est là pour le rappeler. Bomber Jacket en est un bel exemple, à trois notes et quelques claquements de mains (la signature du bonhomme). C’est le genre de morceaux que beaucoup rêveraient de composer. Et il y en a beaucoup de ce type sur l’album. Luke Haines s’amuse avec Marc Bolan et son T-Rex sur Marc Bolan Blues. Il signe un titre de pop archétypal merveilleux sur The Incredible String Band, ouvrant sur chaque chanson ou presque une fenêtre sur un univers disparu. Il faut écouter une fois Cosmic Man pour se souvenir de David Bowie et des années 70. La chanson est un monument de délicatesse.

 Lorsque Haines s’engage dans Smash The System, ce n’est pas pour faire la révolution lui-même mais pour dresser un panthéon synth-pop des figures de la résistance dont il restitue la légende et l’éclat originel. Bowie encore, sous le nom de David Jones, en couverture spirite. Velvet Underground. Comme s’il s’agissait ici de nettoyer les figures de proue du rock indépendant pour leur rendre leur caractère contestataire et les laver de décennies d’adoration marketing. Luke Haines est pour le retour aux sources, pour les voyages dans le temps et la révolution par l’imitation. Sa tentative, vaine ça va sans dire, passe par cette idée qu’on ne fera plus rien de bon depuis notre époque décérébrée et qu’il faudra puiser dans le passé symbolique pour régénérer l’intention révolutionnaire.  On ne sait pas du tout ce que ça vaut politiquement mais c’est musicalement un filon inépuisable et passionnant. Luke Haines est l’homme qui a vu l’ours qui a vu l’homme qui a vu l’ours.

Tracklist
01.Ulrike Meinhof ‘s brain is missing
02. Black Bunny (I’m not Vince Taylor)
03. Ritual Magick
04. Power of the witch
05. Cosmic Man (intro)
06. Bomber Jacket
07. Bruce Lee Roman Polanski and me
08. Marc Bolan Blues
09. The Incredible String Band
10. Cosmic Man
11. Smash The System
12. Are you Mad ?
Écouter Luke Haines - Smash The System

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1 Comments

  1. says: Bragon

    Pourquoi British Nuclear « devices » ? C’est « bunkers ». Et Davy Jones, ce n’est pas plutôt un référence au chanteur des Monkeys? 🙂

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