Polygraph / Ironic Smiles Factory
[Autoproduit]

7.4 Note de l'auteur
7.4

Polygraph - Ironic Smiles FactoryOn ne peut que souhaiter à Polygraph, jeune groupe parisien qui sort son premier ep ces temps-ci, qu’un effet viral s’empare de son clip. Le travail réalisé par Lena Babadjian dans l’animation du morceau qui ouvre ce 4-titres est une impeccable réussite qui, par l’insouciance adolescente du graphisme et sa dramaturgie, devrait valoir au groupe son compte de « vues ». C’est ce qu’on peut souhaiter du moins. Dukkha a tout pour plaire et cela ne s’arrête évidemment pas à la mise en animation.

Difficile d’éviter d’emblée la comparaison avec Radiohead tant le chant plaintif de Jim Rosemberg évoque le malaise ultrasensible qui émane de son leader emblématique. L’écho s’oublie assez vite néanmoins nimbant Polygraph d’une aura mystérieuse qui joue plutôt pour lui. Dukkha, le titre du premier morceau, renvoie d’ailleurs à l’une des Quatre vérités fondamentales du bouddhisme, qui, si elle n’a pas d’équivalent strict en français, s’apparente à un état d’insatisfaction ou de souffrance. Soutenue par une production ultra limpide et sophistiquée, la musique de Polygraph impressionne d’emblée par sa remarquable fluidité. La matière s’écoule comme un ruisseau d’eau claire, portée par le piano cristallin de Maximilien Helle Forget. Le faux rythme du morceau est interrompu au bout de trois minutes par un crescendo collectif du plus bel effet qui propulse instantanément la musique de Polygraph dans un autre univers. On pense évidemment aux effets de manche de nos chouchous The Antlers, cette manière de traîner son mal-être sur les premières mesures, puis de s’élever dans un phénomène d’ascèse quasi sacrée jusqu’à l’extase orchestrale.

Ironic Smiles Factory, entre le clip enfantin et le graphisme psychédélique (et marin) de sa pochette, renvoie à une veine pop et symphonique qu’on croyait mal en point depuis la chute de Syd Barrett. Un brin psychédélique, un poil new age, évitant la grandiloquence de ceux qui savent jouer de leurs instruments sans refuser l’expression de leurs émotions, Polygraph sait aussi déployer ses armes avec force et amplitude. C’est le cas sur le magnifique Endless Night, notre morceau préféré d’entre les quatre, qui en quatre minutes et vingt-cinq secondes nous offre un formidable voyage en apesanteur. L’errance nocturne est rendue superbement. Le piano qui mène toujours la danse est rejoint cette fois par une section rythmique (Pierre-Alain Casteran à la basse, Nicolas Charlier à la Batterie) pleine d’autorité. Cela fonctionne au-delà de toute espérance, plongeant l’auditeur dans un maelström émotionnel dont il ressort un brin étourdi.

Polygraph est lyrique, épique et maniéré. Les qualités du groupe parlent d’elles-même sur un Swann, troisième morceau, que le groupe étirera sur 8 minutes. Cette fois, le titre part sur les chapeaux de roue avant un long interlude central où la guitare (Michaël Carpenetti) prend la mène. On croit retrouver dans la montée mélodique des échos des séquences précédentes, comme si le groupe avait voulu répéter ou reproduire ce mouvement répétitif qui le conduit des séquences calmes à l’agitation. Le risque sera, pour Polygraph, de surjouer ces emballements progressifs et de s’enfermer dans une méthode mécaniste qui, dès lors, sentirait l’entourloupe. Cela ne se produit pas ici, tandis que Swann déploie toute son ambition. Il faut ces longues plages de « musique progressive » pour produire ce déréglement des sens et des repères usuels, cette élévation de l’âme vers laquelle toute cette musique converge. Ironic Smiles Factory se referme avec le très réussi Alone pour constituer un premier EP plus que convaincant.

Entre les qualités vocales de son chanteur, l’équilibre subtil de l’instrumentation et l’expression d’une vraie sensibilité, Polygraph réalise une entrée en matière de premier plan dans une veine où la pop française ne s’aventure jamais. On ne peut que s’en féliciter.

Polygraph – Ironic Smiles Factory


Tracklist
01. Dukkha
02. Endless Night
03. Swann
04. Alone
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