Raekwon / Fly International Luxurious Art [Ice H2O / Modulor]

Raekwon / Fly International Luxurious Art [Ice H2O / Modulor]Entre les absences, la mort, véritable ou clinique, et l’indolence, la vérité du Wu Tang Clan se cherche désormais ailleurs que dans les albums collectifs de la plus grande franchise hip hop de tous les temps. Ce nouveau disque de Raekwon, le septième en studio, vient confirmer ce nouvel adage selon lequel la soustraction des parties vaut plus que le tout. On ne trouvera pas ici un seul beat importé ou bricolé par le RZA, avec lequel Raekwon avait délicatement pris ses distances l’année dernière. Fly International Luxurious Art sort, toutefois, avec un retard de quelques années à l’allumage, alors que son auteur l’avait annoncé quasi bouclé en 2013. Raekwon n’est pas chien et avait, par respect pour la fratrie, choisi de ne pas brouiller les pistes et de faire concurrence au très attendu dernier album du Wu lequel s’était avéré, finalement, une belle déception pour les uns et les autres.

Voici donc enfin cet étrange objet du désir qu’on espérait secrètement à la hauteur de Only Built 4 Cuban Linx, son chef d’œuvre introductif qui fête ses vingt ans cette année. Cet album de 1995 avait défini, pour les non spécialistes, et un peu après l’entrée en matière de Kool G Rap, les codes et le standard qualité de ce qu’on appela plus tard le mafioso rap, soit une sorte de gangsta rap un peu plus cool, plaçant en son cœur narratif le trafic de drogue et le name-dropping de mafieux et criminels de droit commun en tout genre au cœur de la civilisation capitaliste et de l’enrichissement personnel. L’équation, vingt ans après, reste en place et vaut toujours à sa façon, clamée avec un peu moins de force que par le passé : le crime et la drogue mènent à l’argent qui mène au Graal existentialiste local que sont les grosses bagnoles, les filles, les bagouzes et bien sûr, dans une boucle joliment enlevée, à la drogue à volonté. Beau programme que Raekwon a servi avec un flow racé, jamais agressif, et globalement avare de mots. Ce qui le distingue de la plupart des excités du genre, c’est bien son flow laid-back mais d’une fluidité absolue, son économie de moyens et son air de ne pas y toucher (tant que ça). Ce cocktail fraîcheur qui faisait le sel de son Only Built est présent ici et fait de cet album une prolongation naturelle de son précédent travail : F.I.L.A. est un album appétissant, sexy et classe à l’image de sa pochette mégalo où le bonhomme fait le Sphinx doré sur un socle de marbre. Tout Raekwon est là où presque : tête haute, verbe fort et un brin d’autosatisfaction crâneuse mais aussi une forme d’humour et de détachement qui rend le tout cinématographique, pour ne pas dire théâtral, et moins ridicule qu’il n’y paraît. Car Raekwon n’est pas Booba. Il y a une bonne classe d’écart entre le produit américain et sa version française atrophiée. Là où le Duc frenchy en fait des tonnes et singe, avec une certaine habileté ses modèles, Raekwon n’a aucun complexe, aucun étalon et peut ouvrir un livre de collaborations gros comme le Bottin. Son dictionnaire de beats est extrait du grimoire secret du Wu et garantit une efficacité et une variété des accompagnements qui ferait pâlir d’envie n’importe quel bandit européen. Du coup, l’ensemble est vivifiant au lieu d’être pontifiant, rafraîchissant à défaut d’être complètement dans l’époque, et enivrant quant à ses moyens et finalités.

Côté musique (tout de même), F.I.L.A. est souvent un régal avec des morceaux épatants et des featurings réussis au-delà de toute espérance. On peut faire la fine bouche sur I Got Money qui annonce le programme somme toute assez simpliste avec ASAP Rocky : « drugs equal money, money equals sunny days, Timbs, cut off shorts and gorgeous with a ton of haze ». Sûr. Mais il faut rendre à César ce qui est à César et s’extasier devant l’apparition d’un Snoop Dogg assez génial sur « 1,2, 1,2 » et à deux ou trois reprises devant la magie du compère Ghostface Killah qui, de tous temps, aura été notre chouchou. On ne rembarrerait pas les théoriciens qui feraient du duo Ghostface/Raekwon ce qui s’est jamais fait de mieux en matière de flow depuis l’éternité et le cœur battant du Wu. On mentionnera aussi Busta Rhymes, 2 Chainz et l’affreux Rick Ross, pour faire le compte des célébrités qui passent ici. Le son est à la hauteur avec des pianos bien placés et surtout une belle collection de beats qui, non contente de sonner comme du Wu sound (c’en est), donne de la gravité et de l’impact aux morceaux. Etrangement, on se laisse même convaincre (pour une fois) par les collaborations féminines et notamment par le All About You chantée par Estelle. Le final Soundboy Kill featuring Melanie Fiona est plus contestable, un peu fade et mou du genou, presque forcé dans sa manière de chercher l’érotisme, mais peut, dans le contexte, trouver des amateurs. On lui préférera mille fois 4 in the Morning, le grand morceau menaçant et cuivré, avec sirènes de police intégrées, qui est porté par Ghostface ou encore la mini-symphonie Nautilus qui permet à Raekwon de ramasser en quelques minutes tout son savoir-faire de producteur et beatmaker. Alors qu’A Better Tomorrow peinait à aller puiser dans le passé des sons d’aujourd’hui, Raekwon montre qu’il n’est pas un homme du passé et réussit, sans nous perdre en route, à créer du neuf sans recourir à des béquilles samplées sur de vieux vinyles. L’esthétique générale a beau renvoyer globalement aux années 90, on a jamais l’impression (ou alors pas plus qu’hier) d’évoluer dans un mausolée ou un musée.

Au final, Fly International Luxurious Art, si on aime un minimum le genre (et les valeurs qu’il véhicule !), est un excellent disque qu’on ne situera pas très loin de The Lex Diamond Story (notre préféré) et de OB4CL dans la discographie du bandit. Sur l’échelle du Wu, on lui mettra un 7,5/10 qui mérite une ligne… d’applaudissements et qu’on allonge quelques filles (et jeunes mignons) sur le capot. Fiesta !

Tracklist
01. Intro
02. 4 in the morning ft Ghostface Killah
03. I Got Money ft ASAP Rocky
04. Wall to Wall ft French Montana et Busta Rhymes
05. Heated Nights
06. F.I.L.A. World ft 2 Chainz
07. 1,2 1,2 ft Snoop Dogg
08. Live to die
09. Soundboy Kill It ft Melanie Fiona et Assassin
10. Revory ft Ghostface Killah et Rick Ross
11. All about you ft Estelle
12. Nautilus
13. Worst Enemy ft Liz Rodrigues
Écouter Raekwon - Fly International Luxurious Art

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Le site de Raekwon
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