Il aurait été dommage que Suede tire sa révérence après deux albums non pas médiocres mais fades (Head Music et A New Morning). Dommage bien que sans incidence sur les précédents faits d’armes du groupe : l’un des meilleurs premiers albums de rock anglais de tous les temps (Suede), un chef-d’œuvre (Dog Man Star), puis un disque convoquant dix titres pour dix tubes (Coming Up).
Pourtant, Bloodsport, album du retour, laissait perplexe : Suede, au fond, ne jouait-il pas sur sa propre légende afin d’enterrer quelques années creuses, quelques écarts mal aimés (The Tears) ? À l’écoute de Night Thoughts, l’auditeur comprend mieux la relative déception liée à Bloodsport : ce dernier n’était qu’un tour de chauffe, une retrouvaille encore timide, comme si guindée par courtoisie et politesse.
Sans vraiment parler de propulsion immédiate (n’exagérons pas), ce septième album revient fureter vers la mélancolie de Dog Man Star ; il n’en oublie cependant guère la déconcertante facilité de Suede à écrire des hits (sur ce point, No Tomorrow devrait rassurer les accros à The Drowners). Brett et sa bande, motivés et combatifs, enrobent d’épurées symphonies quelques riffs électriques bien sentis ; ils jonglent avec la retenue afin que l’orchestration contourne les tentations emphatiques (un défaut parfois constaté chez Suede). Surtout, bien sûr, la voix de Brett Anderson (de plus en plus belle avec le temps) survole l’ensemble, qu’elle soit morose ou fonceuse, réconfortante ou résignée (quoi qu’il arrive, jamais crâneuse).
Car Suede, à l’instar de son public originel, a pris du ventre et quelques coups dans les idéaux : impossible, en 2016, de fanfaronner la gloire éternelle ou la domination des charts. So Young appartient à une autre décennie, When You Were Young est le nouveau mot d’ordre. Like Kids, entent-on également ? Moins un souhait qu’un dernier regard vers une jeunesse trépanée, à oublier. Outsiders ? Si seulement…
La britpop (du moins, ce qu’il en reste) revendique les cernes et en exploite le potentiel : tel Blur hier, Suede, avec Night Thoughts, ne croit qu’en la beauté du geste, sans pression, sans impératif – il s’agit vraiment d’un disque fait pour soi-même, là où Bloodsport laissait deviner une soif conquérante un brin hors-sujet.
Il aurait été dommage que Suede tire sa révérence en 2003. L’une de ses facettes parmi les moins exploitées serait restée en veille : la sincérité des anciens combattants.