Suuns – Hold / Still
[Secretly Canadian / Differ-Ant]

Suuns Hold StillPas d’autres solutions que le track by track pour parler d’un disque comme Hold/Still, troisième album de nos chouchous Suuns, déjà en lice pour le podium de fin d’année. Alors en piste, accrochez-vous, ça dépote !

Fall
Larsens et déflagrations sonores, martellement de batterie, c’est ainsi que Suuns a choisi d’ouvrir les festivités de ce nouvel album. On n’a même peut être encore jamais entendu les montréalais aussi furibards. Le thème des guitares pitchées semble emprunter sa mélodie à Fugazi ou Sonic Youth. Au fil des écoutes, Fall trouve parfaitement sa place en ouverture, puisque l’auditeur se trouve d’entrée bloqué en mode d’excitation mais aussi d’expectative, car très honnêtement il aurait été difficile de placer ce titre ailleurs dans la tracklist, tant il contraste avec ce qu’on va pouvoir entendre par la suite.

Instrument
Un des morceaux qu’on avait déjà découvert en live avant le disque. On est frappé de voir à quel point la version de l’album est fidèle à ce qu’on connaissait déjà, sans réels changements d’orientation en studio. Ce titre aurait parfaitement trouvé sa place sur Images Du Futur, le précédent album, la présence des rythmes électroniques en plus. Très entêtant le rythme d’ailleurs, on hoche la tête (et ça ne sera pas la seule fois sur ce disque). Le gimmick de guitares est lui aussi inoubliable, évident et d’une simplicité déconcertante.

Un-no
Un des temps forts du disque, Un-no est le parfait exemple du génie du groupe. Une construction hors du commun (pas de couplet/refrain mais une narration par paliers), un son qui leur est propre (le traitement de l’acoustique, la montée en puissance des matières électroniques et le chant désabusé de Ben Shemie). Les paroles sont à l’avenant, « I’ve got a lot on my mind but most of the time I’m thinking about you » ou « Once you no you can never un-no »… Longtemps qu’on n’a pas si bien dépeint la détresse amoureuse, en si peu de mots qui font mouche.
Le final sonique est aussi un modèle exemplaire de maîtrise.

Resistance
Avec Resistance, le propos se tend un peu plus. Le minimaliste de la forme est ici appréhendé comme seul moyen de servir le fond, la « cause ». « Resist » est scandé indéfiniment et on croit alors entendre Wire dans ses moments les plus expérimentaux.
Suuns s’essaie ensuite à un refrain, des voix fantomatiques surgissent, repartent. C’est dingue. On ne sait pas du tout où tout ça va nous mener mais on pressent qu’eux le savent. Rien n’est laissé au hasard dans la construction du morceau et les nombreuses écoutes révèlent tout le potentiel de Resistance, difficile au premier abord mais passionnant à chaque fois qu’on y revient.

Mortise and Tenon
Ce morçeau confirme qu’on est en présence d’un vrai choix d’orienter la musique du groupe vers des contrées plus électroniques et minimalistes. L’arrangement pourrait presque évoquer les débuts de Björk (Venus As A Boy) et son travail avec Matmos. Comme pour le précédent morceau, Mortise and Tenon prend tout son sens au fil des écoutes.

Translate
On pourrait encore parler des heures de l’effet qu’à fait ce morceau en live lors du dernier concert de Suuns à la Gaité Lyrique en 2014. Un véritable moment de joie collective et de danse endiablée. Découvrir enfin la version studio ne déçoit pas. Comme pour Instrument, le morceau est très fidèle à la version live et figure d’ores et déjà en tête des titres les plus excitants de 2016 (avec la vidéo c’est encore mieux). Ici aussi, principe renouvelé de la structure en plateaux, le morceau monte, redescend et repart de plus belle (le pont supersonique aux « bend » de guitares à la Pixies est incroyable). Suuns donne avec Translate une leçon de psychédélisme moderne.

Brainwash
Une autre leçon : comment transformer une chanson pop qui aurait pu être écrite par les Beatles ou les Beach Boys en quelque chose de nouveau et d’inattendu, d’in-entendu…. Brainwash est un temps suspendu improbable jusqu’a l’arrivée de la batterie martiale qu’on croit sortie d’un disque de Nine Inch Nails. La rythmique fait ensuite quelque aller retours, avant le final coincé sur une note, où le chanteur assène un « Brainwash » efficace et moqueur, qui semble s’adresser directement à l’auditeur et lui confirmer le but de la chanson : nous lessiver !

Careful
Nouveau temps fort du disque (ah la tracklist est machiavélique), Careful est taillé pour les dancefloors sous influence. L’effet de voix rend fou, le chant atonal et les sons de  synthés filtrés participent à un climat anxiogène maximal et fascinant. Des breaks de batterie découpent par moment cet épais nuage effrayant de fumée psychédélique. On est perdu mais on est bien.
Careful rend accro…  » If you believe me take me by the hand » . Là encore, on ne sait pas bien où Suuns nous emmène mais on les suit sans mot dire.

Paralizer
Joli pied de nez à Radiohead que cette intro de Paralizer. Suuns marche ici clairement sur les plates bandes du groupe d’Oxford, mais en surpassant certaines ambiances croisées à l’époque sur Kid A. Puis le groupe balaie tout ça d’un revers de main, pour partir dans des contrées qui rappellent beaucoup Moonshake (l’emploi des trompettes et saxophones est une idée redoutable).
Ici encore, on vous conseille le visionnage du clip, qui ajoute un peu plus à l’étrangeté de la chanson.

Nobody Can Save Me Now
Du blues maintenant. On se calme un peu avec ce morceau qui est un des moments les plus mélodieux du disque, au sens classique et académique du terme. Pour exemple, la partie de basse sur le « refrain », juste avant un solo de guitare totalement déconstruit à l’aide de machines, mais qui aurait pu aisément être joué par Jimi Hendrix en son temps (un vrai choc des cultures très excitant, jusqu’au final où l’on entend que la guitare est scratchée comme sur un vieux vinyle usé).

Infinity
Et ce final qu’en dire ? Magique. Le seul morceau qui lorgne vers quelques influences Krautrock, l’emploi d’un clavier Moog   qui semble surgir du générique du Shining de Kubrick – est ici encore une idée parfaite. C’est l’occasion de parler d’un des gros points forts d’Hold/Still : la mise en sons exigeante et foisonnante de l’ensemble. Même dans ses recoins les plus minimalistes, le disque est sans cesse traversé d’idées sonores qu’on aurait jugé incompatibles sur le papier, mais qui fonctionnent à merveille. On le répète, c’est là encore ce qui fait le charme et la rareté de ce groupe précieux.

Au final, après un nombre incalculable d’écoutes, on peut affirmer sans crainte être en présence – pour la 3e fois – du meilleur album de Suuns, groupe génial qui a su se réinventer et placer son propos dans un autre contexte, dans une autre dimension, tout en gardant une identité forte, un son si personnel.
On rêve alors d’être déjà en Mai pour les voir à Paris, car pour ceux qui ne le savent pas : c’est encore mieux sur scène ! Allez-vous vraiment y croire après tout ce qui vient d’être dit ?

Tracklist
01. Fall
02. Instrument
03. UN-NO
04. Resistance
05. Mortise and Tenon
06. Translate
07. Brainwash
08 .Careful
09. Paralyzer
10. Nobody Can Save Me Now
11.Infinity
Liens
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

Mots clés de l'article
,
More from matthieu malon
Soleil de Tokyo, futur nouvel album d’Imagho
On suit le parcours d’Imagho depuis ses débuts sur le label toulousain...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *