The Flaming Lips / Oczy Mlody
[Bella Union / PIAS]

7.7 Note de l'auteur
7.7

The Flaming Lips - Oczy MlodyLa drogue tue mais pas tout le temps. Il arrive qu’elle conserve et qu’elle garde, assez longtemps,un pouvoir stimulant pour doper la créativité d’un artiste. La drogue donne des hallucinations, bonnes ou mauvaises, conduit à des déraillements qui peuvent, ou non, donner lieu à l’écriture de chansons. La drogue écrit rarement de bonnes chansons. Elle a besoin d’hommes pour se faire entendre et vous conduit la plupart du temps à rester tranquillement chez vous pour réfléchir aux 1001 moyens de trouver un peu plus de drogue. Les Flaming Lips sont à cet égard un exemple à ne pas suivre. Leur parcours stupéfiant a été longuement documenté, sans qu’on sache toujours ce qui relève de la légende ou de la réalité. Toujours est-il qu’on navigue avec eux en eaux troubles, qu’on appelle communément psychédéliques, pour ne pas dire dingos. Wayne Coyne qui a fêté ses 56 ans il y a peu, a fondé les Flaming Lips en 1983 c’est-à-dire il y a 34 ans. Oczy Mlody (Bella Union / PIAS) est leur quatorzième album et le premier depuis quatre ans.

Ce qui est fantastique avec les Flaming Lips, c’est qu’ils sont à peu près aussi fous et jeunes qu’ils l’étaient il y a trois décennies.On peut s’éloigner temporairement de leur travail ou trouver à un moment qu’ils en font trop, et puis choisir d’y revenir et les ré-aborder avec une fraîcheur nouvelle. Après The Terror, album assez terrifiant (comme son nom l’indique), on avait laissé vaquer Wayne Coyne et sa bande à leurs occupations. On a vaguement (un tort sûrement) ignoré leurs reprises de Sergent Pepper et de Dark Side of The Moon et pas du tout partagé leur aventure avec Miley Cyrus, tocade qu’avec toute la meilleure volonté on n’est pas armés pour comprendre. Groupe de compagnie d’une pin-up post-ado, les Flaming Lips ont semble-t-il fait auprès de la jeune femme une cure de jouvence qui les ramène avec ce Oczy Mlody au cœur d’une thématique qu’ils avaient délaissée depuis un moment : la jeunesse et les moyens d’y parvenir. Oczy Mlody est un album singulier qui file tout du long une histoire cousue de fil blanc.

Dans un monde alternatif, des types prennent une drogue qui les fait roupiller pendant des mois et leur inspire des rêves de baise sur le dos de licornes blanches. S’en suit une vague quête qui rappelle les univers déviants (et érotiques) de Lewis Caroll ou ceux tout aussi irréels de Lyman Frank Baum. Wayne Coyne semble tout droit sorti d’une rêverie burtonienne où l’on croise Johnny Depp en vieux garçon fatigué et les fantômes défoncés de Syd Barrett et Marc Bolan. Oczy Mlody est, en tant qu’album, une étrange drogue de synthèse qui donne le sentiment de « réduire » la discographie des Lips de ces vingt dernières années. L’album tutoie souvent l’aisance mélodique et la beauté manifeste (The Castle) des moments les plus réussis de The Soft Bulletin (son chef d’œuvre de 1999), la fantaisie enfantine et allègre de Yoshimi Battles The Pink Robot (2002), tout en étant zébré de cassures violentes ou schizo venues tout droit de ces albums dissolus que sont le technique At War With The Mystics  ou le déprimé The Terror. Musicalement, l’éviction de Kliph Scurlock, le batteur du groupe, et son non remplacement ont rendu pour les Flaming Lips quasi impossible l’écriture d’un vrai titre rock. C’est un vrai désavantage lorsqu’il s’agit de rivaliser avec soi-même dans ce registre mais cette absence de rythmique caractéristique de l’écriture rock pousse le groupe à explorer plus avant les lois de l’imagination et de l’intériorité. L’album démarre sur la base de batteries synthétiques et d’infrabasses comme un vrombissement iréel soulevé depuis la tête d’un fou. Le sentiment d’hospitalité et de bonhomie ne se dégagera qu’à partir du 3ème titre et de la présence perverse et incongrue du comédien Reggie Watts sur There Should Be Unicorns. La musique avant ça (et après) est juste bizarre, évoluant dans un entre deux (pop/rock, électro/ambient, ?/?) qui est à la fois perturbant et déstabilisant, comme si l’album cherchait vraiment à émerger depuis une situation de dérangement ou de sommeil paradoxal. Le coeur du disque, entre le splendide Sunrise et l’habile Galaxy I Sink, s’appréhende comme une plongée en apnée dans un univers onirique cousu de bubble gum et de créatures surréalistes. Wayne Coyne a de faux airs de chapelier fou, égrenant des histoires qu’on comprend à peine mais qui inspirent au final une sensation de plénitude sensoriel. On peut choisir de trouver ça bidon et complètement surfait ou de se laisser prendre. Cet album des Flaming Lips requiert une capacité d’abandon et d’incompréhension qui le rend exigent et peu évident à suivre. Les mélodies sont défigurées, mal travaillées, souvent dissimulées, voire carrément flaibardes, ce qui confère à l’ensemble une impression de confusion et de quasi ratage.

Au fil des écoutes pourtant, le charme opère et on décolle, tout en sombrant avec eux dans cet état de recherche permanente et d’éclatement de conscience. La musique résonne et gagne en amplitude. On entend les Beach Boys, des échos de hip-hop, une mandoline italienne. Le chaos s’ordonne pour dégager une voie où la tendresse et l’humanité affleurent sous le désastre. La jeunesse est une question de sous-couche. One Night While Hunting For Faeries and Witches and Wizards To Kill nous fait rejoindre le côté clair de la force, tandis que The Castle nous ramène au sommet de l’orfèvrerie pop occasionnel de Coyne. Le titre est puissant, d’un équilibre subtil, magnifique de bout en bout. La fin de l’album confirme cette tension entre des Lips perdus et un groupe souverain. La vérité est ailleurs. Le final, où Coyne retrouve sa muse Miley Cyrus, vient marquer un peu à la façon d’un happy end artificiel, cette célébration de l’unité retrouvée (qui ne l’est pas tout à fait). Les Flaming Lips ont essayé de soigner un trouble de la personnalité multiple mais ne sont pas débarrassés de la moitié des personnages qui jonglent dans leur ciboulot.

Oczy Mlody est une quête éperdue de la jeunesse, comme si un vieux groupe pouvait, au prix d’expérimentations loufoques, « faire comme si » et renouer avec la démence décidée de leurs premières années. Ces tentatives, qu’elles soient littéraires ou musicales, ont souvent abouti à des oeuvres un brin perverses et toujours bizarres. Oczy Mlody fait partie d’entre elles. C’est un album passionnant et curieux. Pas intégralement satisfaisant, mais suffisamment déroutant et complexe pour qu’on tente l’exploration. Quitte à ce que cela ne mène nulle part, on n’aura pas fait le voyage pour rien.

The Flaming Lips – We A Famly (featuring Miley Cyrus)

The Flaming Lips – How??

Tracklist
01. Oczy Mlody
02. How
03. There Should Be Unicorns featuring Reggie Watts
04. Sunrise (Eyes of The Young)
05. Nigdy Nie (Never No)
06. Galaxy I Sink
07. One Night While Hunting For Faeries and Witches and Wizards to Kill
08. Do Glowy
09. Listening To The Frogs With Demon eyes
10. The Castle
11. Almost Home (Blisko Domu)
12. We A Famly featuring Miley Cyrus
Écouter The Flaming Lips - Oczy Mlody

Liens
Le site du groupe
Le groupe sur Facebook
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Placebo / Collapse Into Never – Live in Europe
[So recordings]
On est si vieux qu’on a connu et vécu en direct et...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *