1=0 : à l’assaut de la secte des gens ordinaires

1=0 - SecteAvec cinq nouveaux morceaux, la sortie de ce EP de 1=0, chez Quixote Music, sonne comme une amorce de retour, même si le groupe (on s’en souvient) avait déjà livré quelques titres réunis sur un EP, Coeur, mais c’était en… 2017. Leur chanteur Ali Veejay a entretemps fait du chemin en solo et signé quelques chouettes morceaux. Il continue d’ailleurs, mais on y reviendra.

Le travail en solo d’Ali Veejay n’est d’ailleurs pas totalement étranger aux évolutions de son groupe puisque tant dans ses préoccupations sociétales (le développement personnel, la perte de spiritualité, les faux-semblants, etc) que dans sa manière de composer (1=0 est techniquement moins « sonique » et tonitruant qu’à ses débuts), les deux identités créatives du bonhomme se mêlent forcément. Ce EP de cinq titres démarre par un premier morceau de sept minutes et quelques, qui domine et illumine la tracklist. Secte, le morceau, est une démonstration de force et un vrai manifeste esthétique pour le groupe, une adresse forte, inspirée et un brin hermétique qui en appelle à « l’éveil » (appelons cela comme ça) de l’individu lambda, à la libération des entraves sociales et mentales qui amènent à la répression/régression du moi. 1=0 évoque la déprogrammation comme un horizon, mêlant dans un appel révolutionnaire des terminologies qu’on a croisées par le passé chez Burroughs, les neuroscientifiques et bien sûr chez les scientologues. Le spoken word est à la fois puissant et fluide, interrompu par une sublime séquence chantée comme au confessionnal autour de la 5ème minute, entre deux magnifiques plages de sons. Car, par delà le texte, on est aussi impressionné par la détermination musicale qui serpente entre rock atmosphérique/progressif à la Mogwai/1=0/Diabologum et des segments plus réguliers mais également produits en mode free jazz/aléatoires qu’on aurait rattachés il y a quelques années au math rock. C’est dans cette élasticité parfaitement maîtrisée que le single produit son effet maximal, sûr de lui et agile comme un félin qui déplie ses membres. Il se dégage du morceau une élégance naturelle et un souffle quasi épiques qui confèrent au tout un impact remarquable.

Couteau qui suit agit par contraste dans l’immédiateté, comme un uppercut après un enchaînement ultra technique de droites au plexus. Le morceau est gonflé en guitares, tranchant comme son titre et chargé de menace. Le chant virevolte par dessus suggérant l’adresse du poignet qui agite le couteau sous le nez de l’adversaire et invite, là encore, à troubler le troupeau pour le faire réagir. Le groupe n’a jamais aussi bien joué. On ne sait même pas qui est de la partie cette fois mais la basse notamment est particulièrement habile et emballante. Lumière sonne un cran en dessous, comme une transition plus « traditionnelle » sur sa dernière partie notamment, avant Ascète, titre narratif et balade nocturne qui repose sur le parallélisme strict de la voix et des guitares. Là encore, on retrouve cette élasticité sinusoïdale entre la voix et l’accompagnement qui donne un caractère inévitable au flow, une intensité formidable qui, par delà l’intelligibilité d’ensemble, fonde l’originalité (presque historique) du groupe.

La musique d’1=0 est lourde. Les textes réclament une attention maximale, un véritable effort de décryptage qui en effraiera plus d’un. Il y a toujours eu dans ce spoken à la française un côté bavard et donneur de leçons qui va avec l’intelligence. Mais on peut aussi, comme avec le rock anglo-saxon (et ce n’est peut-être pas la moins bonne manière d’écouter ça), se laisser porter par les intonations, le mouvement global sans chercher à rentrer dans l’exégèse ou l’explication de texte. C’est ce qu’invite sûrement à faire le dernier morceau, Afrocheul, chanté en anglais, et qui conclut efficacement et à l’instinct ce ep. Comme chez Frustration (et avec parfois la même sensation d’entendre un groupe français qui chante en anglais… avec ses moyens), Afrocheul permet de mettre l’accent sur la composition, son rythme et les harmonies vocales, en détournant quelque peu l’auditeur du message. C’est à la fois reposant et on s’aperçoit que ça marche aussi bien, signe que tout s’accorde comme il faut.

Il y a assez peu de groupes français qui trouvent aussi bien qu’1=0 la forme qui convient à leur… fond, sans que l’un ressemble à l’autre ou le singe. Secte est un disque particulièrement abouti en ce sens, puisque tout converge pour donner le sentiment qu’il y a ici des enjeux de taille et essayer de soulever les consciences. La tâche est évidemment impossible (un cri.. dans le désert… qui vient de l’intérieur comme dirait l’autre) mais 1=0 ne semble pas avoir fini d’essayer. Cela en fait, plus que jamais, l’un de nos grands groupes héroïques.

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