AuRA Aime Murat – Compilation
[Stardust ACP]

8.2 Note de l'auteur
8.2

AuRA Aime MuratIl est faux de croire que tous les disques-hommage sont foireux. On en trouve de très bons, en France comme ailleurs et celui consacré à l’œuvre de Jean-Louis Murat et baptisé AuRA Aime Murat se situe tout en haut du panier. La réussite d’un tel exercice repose sur deux choses principales : disposer d’une œuvre solide et de qualité, d’une part. Autant dire que vous aurez plus de mal à faire un disque hommage à C Jérôme ou Michel Fugain qu’à Bashung ou Murat. Deuxième clé : le casting. Si vous n’avez pas de gros moyens (c’est tant mieux), vous pouvez vous en tirer en essayant de trouver des interprètes qui ont des chances… d’avoir écouté l’auteur avant et (si possible) d’avoir au moins une vague idée de ce qu’ils racontent en le reprenant. C’est une précaution d’autant plus utile si vous vous attachez à des chansons qui sont marquées à ce point par la poésie et le goût des mots. La langue de Murat est à la fois moderne et surannée, soignée à l’extrême et particulièrement vivace. Sa complexité n’a d’égale que son évidence poétique. Encore faut-il savoir faire jaillir les images comme il faut et ne pas donner le sentiment qu’on récite devant les élèves de sa classe.

On a vu des compils montées sur des grands noms qui se fracassaient à l’épreuve de l’interprétation et d’autres qui délivraient des contre-sens à la douzaine. Ce n’est pas le cas ici ou alors pas très souvent. L’initiative de cet hommage à Jean-Louis Murat est d’essence locale : crowdfunding… fondateur, casting avec ambition terroir (non tenu mais élargi nationalement pour le meilleur) et production relativement modeste et de proximité : les conditions de fabrication du disque sont conformes à l’état d’esprit d’un Jean-Louis Murat qui n’a jamais trahi son Auvergne de coeur et cultive (sans effort) son attachement à la ruralité. Cela ne l’a jamais empêché de rencontrer un succès assez large (même si son rayonnement n’est plus celui qu’il était dans un paysage musical transformé et où ce genre de chansons devenues exigeantes ne fait plus recette) et de poser à l’universel.

Les participants au projet se sont alignés sur le jansénisme romantique de l’Auvergnat pour proposer des versions qui soient à la fois fidèles aux originaux et gentiment irrévérencieuses. Certains comme Adèle Coyo (Tout est dit) ou la Fille de la Côte (Marlène) rendent à Murat ses lettres de noblesse pop et variétoche, en adoucissant le propos et en toilettant l’âpreté naturelle du chanteur. Plus de trente ans après (1989), on n’arrive plus vraiment à se souvenir à quoi ressemblait la France qui célébrait Cheyenne Autumn comme un disque de premier plan. Gontard signe une version splendide du Troupeau à l’ouverture et on est presque surpris que personne d’autre ne se soit attaqué aux standards admirables que sont L’ange déchu ou Si je devais manquer de toi. Les albums de jeunesse sont assez peu représentés et l’on redémarre sur Vénus avec notamment un Sylvain Vanot impeccable sur Rouge est mon sommeil.

On a toujours tendance en commentant ce type de disques à décerner des bons et des mauvais points aux « repreneurs », ce qui est foncièrement injuste et aussi un peu con. Comme on le sait, Dolorès a les faveurs de la critique et du public. On n’est pas loin de penser que c’est le plus grand disque de Murat, celui qu’on a le plus écouté et réécouté. C’est là qu’on va piocher nos coups de coeur. Est-ce parce que les chansons nous sont plus familières ou est-ce qu’elles sont tout simplement les meilleures ? Peu importe mais Perce-Neige est magnifique sous la plume/voix du Lyonnais Stéphane Pétrier. Heureux Chevalrex qui s’amuse avec Dieu n’a pas trouvé mieux. Quant à Erik Arnaud, trop rare et qui ne se rate jamais jamais, il nous offre avec une version assez incroyable de Fort Alamo, le titre le plus fort, le plus pertinent et émouvant des seize. On avait presque oublié Comme un incendie (sur le Cours ordinaire des choses, 2009). Stan Mathis nous rappelle que Murat a su faire parler le feu avec une version rock rentre-dedans qui surprend et nous fait regretter que Murat n’ait pas remplacé Bertrand Cantat au sein de Noir Désir.

On ne citera pas tout le monde (ce qui n’est pas bien) mais un peu connus, connus et moins connus s’en tirent à peu près tous royalement, nous offrant un super moment de redécouverte de morceaux qu’on avait parfois un peu oubliés ou négligés en leur temps. On pense à la nature du genre, pourtant sur Lilith, ou au plus rare Terres de France. Il faut s’attarder sur cette chanson qui repose sur l’un des plus beaux textes de Murat et restitue à la perfection la façon dont il réconcilie la poésie du terroir (entre Gide et Bernanos) et la noirceur baudelairienne.

Ô ciel, ciel il fait un temps de chien
neige et pluie depuis ce matin
allons viens fuyons au cinéma
vers la mer,
 allongés sous un ciel immense
partons en vacances comme au cinéma

sous les eaux glacées du ciel
battons le rappel
des sentiments d’autrefois
comme au jour où l’amour
dans un même lit
jetait au paradis
ces amants d’un soir

je marche au matin
loin des embruns
sur les terres de France
gorgées d’innocence
je jette aux orties
mes rêveries
ma morte semence
sur les terres de France

Ô cœur, cœur privé de miel
beau chagrin aux lèvres vermeil
allons viens fuyons au cinéma
vers la mer allongés sous un ciel immense
partons en vacances comme au cinéma

loin sur les sentiers
dans les greniers
des terres abondantes
les paysans chantent
loin d’Anatolie
de Sibérie
c’est la rumeur errante
de leur désespérance

On peut prendre son temps en écoutant le disque et lire en intégralité les textes de ces morceaux comme on le fait là. La principale réussite de cette compilation, finalement assez peu expérimentale quand on sait que Murat a fait du folk, de la country, du trip-hop et de la musique médiévale, est de renvoyer aux originaux et de nous redire à quel point Murat est peut-être notre plus grand auteur de chanson en français. Son style est unique quand il trouve le juste équilibre entre sophistication et justesse. Son chant ne l’est pas moins. Mais il peut aussi être chanté par les autres, ce qui n’était pas si évident à croire. Ceux qui doutaient de ses qualités ne douteront plus tant cela saute aux oreilles. Il n’y a pas deux gars de ce niveau là par génération.

Le seul conseil qu’on peut donner au final est celui de se procurer cette compilation. On ne va pas céder à l’idolâtrie et vous faire croire que tout est bon chez l’Auvergnat. Il y a aussi des trucs qui ne tiennent pas, mais on en parlera une autre fois. AuRA (pour Auvergne, Rhône Alpes) aime Murat est clairement un projet qui appelle d’autres disques, un n°2 et un n°3. On est à peu près certains qu’ils sont là dans un coin et qu’on y aura droit très bientôt.

Tracklist
01. Gontard – Le Troupeau
02. Adèle Coyo – Tout est dit
03. La Fille de la Côte – Marlène
04. Chevalrex – Dieu n’a pas trouvé mieux
05. Stan Mathis – Comme un incendie
06. Pierre Schott – La nature du genre
07. Whatever She brings We sing – Terres de France
08. Frédéric Bobin Marjolaine Piemont – Au mont sans souci
09. Dragon Rapide – C’est l’âme qu’on nous arrache
10. Hiver Pool – Le monde intérieur
11. Stéphane Petrier – Perce neige
12. Silvain Vanot – Rouge est mon sommeil
13. Dory4 – Brûle-moi
14. Nicolas Paugam – Le Reason Why
15. Erik Arnaud – Fort Alamo
16. Alain Klingler – Les jours du Jaguar
Écouter AuRA Aime Murat

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1 Comments

  1. says: Patrice

    Bonjour!
    Vous avez magnifiquement commenté ce disque »Aura »et le monde musical de JLM!
    Merci pour les artistes et Pierrot qui ont porté ce projet.
    Dommage que, seul, un public de plus en plus restreint ne soit sensible à son oeuvre…

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