Claire days / À l’ombre
[Auto-Production]

9 Note de l'auteur
9

Claire Days - À l'ombreClaire days fait partie de ces artistes qui, par leur talent singulier et sans compromission, peuvent tout à fait passer sous les radars des médias mainstream et du grand public. Bien sûr existera-t-il toujours des médias spécialisés plus ou moins confidentiels prêts à relayer les propositions artistiques de ces créateurs et créatrices aussi discrets que valeureux. Mais il est aussi vrai que la qualité artistique n’est pas toujours valorisée à son juste niveau. Jouons donc en quelque sorte les justiciers ou, tout du moins, faisons-nous les ambassadeurs zélés de cette beauté injustement ignorée.

En 2022, Claire s’était fendu d’un premier album absolument somptueux, le dénommé Emotional Territory, dans lequel la lyonnaise, auteure-compositrice-interprète, nous proposait dix titres en anglais d’un néo-folk d’une limpidité et d’une cohérence remarquables. On y percevait l’influence marquée de Chan Marshall, alias Cat Power, mais avec une douceur et une suavité tout à fait particulières, celle d’un félin au pouvoir bien réel mais dont les griffes auraient davantage cherché la caresse que la scarification. Alors que Claire y avouait elle-même ne pas vouloir que nous la sauvions (dans le morceau justement intitulé Claire You Don’t Want to be Saved), nous comprenions alors que le monde qui est le nôtre n’était pas l’utopie dans laquelle elle aurait aimé déployer son infinie sensibilité (Order). Il semblait alors que l’amour, plutôt que d’assurer sa fonction réparatrice, avait ce pouvoir paradoxal de division des cœurs, selon un motif fort classique présent dans toutes les références au concept de « Heartbreaker » dans l’histoire de la musique moderne (Benny).

Mais plutôt que de se plonger dans un sommeil profond (Fall Asleep), souvent salvateur mais au risque toujours possible du déni, Claire days a décidé de ne pas s’endormir sur ses lauriers, fussent-ils les symboles possibles d’une immortalité en suspens. En pleine tournée de l’album, elle écrivit son « petit projet à côté » comme elle aime à l’appeler elle-même : À l’ombre voyait le jour le 10 novembre 2023 sous la forme d’un petit format de six chansons enregistrées de manière très directe, dans les conditions et les endroits de la vie quotidienne, loin des exigences de superproduction qui sont légion de nos jours. Ceux de Claire days nous sont des jours beaucoup plus proches, telles des paroles qu’elle viendrait nous glisser délicatement au creux de l’oreille. Avec le courage d’une mise à nu en français, dont on perçoit bien tout autant le coût de l’effort que le respect de la pudeur, les six titres déploient la beauté du doute et de la fragilité, dans Le plus beau spectacle :

Ça rend humain de pas pouvoir
Ça rend vivant de pas vouloir
Ce soir j’aime mes amis qui doutent
Ce soir j’aime mes amis qui doutent
Ce soir j’aime mes amis
Qui doutent…

Dans le plus simple appareil de cordes de guitare égrenées ou de quelques arrangements Lo-fi, Claire days réussit là où Halo Maud nous avait laissés à l’époque de l’album Je suis une île en 2018, au-delà de la sophistication, en plein centre de la cible émotionnelle. En nous faisant passer par-dessus-bord avec elle sans nous épuiser le cœur (Par-dessus bord), la musique et les textes de Claire sont un véritable hymne à l’amitié profonde et au partage sans calcul. Les mélodies, véritablement sublimes (le français lui sied tellement bien), abritent çà et là quelques cris déchirants, comme autant de souffrances enfouies et sublimées. Chuchotant le morceau À l’ombre, me plaire, comme une comptine adressée à notre part enfantine, le sommeil dressé comme une muraille protectrice (thème qui semble cher à l’artiste), la chanteuse a pris le pli de l’ombre et du mystère. Pourtant la lumière n’est jamais si loin, dans sa musicalité pure et les arpèges de ce contact charnel entre la main et les cordes qu’on imagine vivantes comme des végétaux souriants au soleil (contact).

Qu’est-ce donc cela qui pousse cette jeune femme à refuser le grand « Oui » à la vie et à ses désirs pour un petit « oui » offert timidement au « non », si ce n’est l’élégance de l’humilité de celle qui préfère raser les murs pour ne pas perturber le cours de l’existence ni la beauté des choses ? On imagine facilement des joues rosées comme une floraison d’avril en pleine nature japonaise et le regard un peu perdu, une lueur de tristesse au fond des yeux ; on imagine Claire en matriochka, laissant exprimer, du fond d’elle-même, la parole primitive de la plus petite et plus enfouie des poupées (Tu penses à la mort) :

Tu penses à la mort
Moi j’ai peur qu’elle vienne
À trop dire son nom
Qu’elle s’invite à la fête
J’ai peur d’aller bien
Et que ça tourne à l’envers
Tu m’as dit hier
Tu m’as dit son nom…
Aaah y’a quoi dessous ?
Ouuuh y’a-t-il quelqu’un ?

Au bout du chemin de ces 23 minutes et 41 secondes où nous avons cheminé dans les pas délicatement posés par Claire days sur le sol de notre chair intime, nous comprenons encore davantage ce que l’artiste avait souhaité nous dire sur l’album de 2022 : il existe un territoire où les émotions sont Reines et où nous pouvons devenir Rois. À condition d’entrer sur la pointe des pieds.


Tracklist
01. Le plus beau spectacle
02. Par-dessus bord
03. À l’ombre, me plaire
04. (contact)
05. Les parois
06. Tu penses à la mort
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