Cela fait partie des projets bizarres qu’on chérit avant de les avoir écoutés et qui prennent évidemment tout leur sens quand on les découvre dans toute leur originalité triomphante. Un mystérieux compositeur électronique qui ne souhaite pas révéler son identité s’offre une incursion en K7 rose, et dans un univers krautrock millésimé 1985, sous le pseudonyme sibyllin de Fille Unique. Marraine (le nom de l’album) est sorti ces jours-ci sur le label Grande Rousse Disques et attire l’attention par son côté artisanal (un tirage maousse à 60 exemplaires) et la curiosité que suscitent les titres des plages : Jungle Capitaliste, Démon Bleu, Karma Tigre, les Robotos nous tueront et on en passe. Le texte de présentation du projet exprime assez bien la poésie qu’on y trouvera mêlant rêve spatial, imaginaire enfantin et électro d’avant-garde :
« Là haut dans le Nord, dans le grenier d’une petite maison de ville, gît une boîte en carton blanc fatiguée. Ses bords sont élimés, son côté gauche à demi effondré et une dense pellicule de poussière grisâtre et moutonneuse en couvre le dessus. S’il prenait à quelqu’un l’envie de souffler sur cette boîte, il y découvrirait une inscription tracée au marqueur noir: “1985”. Dans la boîte, il trouverait une cassette audio portant l’inscription “Pour Marraine”. »
Le contenu est une prouesse de série Z en mode contemplatif. Marraine est un albumdoux, chaloupé et apaisé à l’image du single d’apparence inoffensive Brutal Mental. L’électro feint la maladresse pour mieux s’insinuer dans un espace fantaisiste à la fois rétro et nostalgique, mais pétillant et parfois crépitant. Il y a du Kraftwerk dans la progression ralentie d’Imperfection Parfaite. Karma Tigre évoque la space musique des années 80, les meilleurs morceaux d’un Jean-Michel Jarre en culottes courtes, tandis que Meurtre déconstruit l’EDM à la mode Can.
On pense beaucoup ici aux travaux stellaires de Tara King TH (Ray Borneo) avec un beau final galactique et qui trahit son titre (un Nausée en Corée finalement peu angoissant) mais nous projette la tête dans les étoiles et l’œil sur Temps X (l’émission culte) avec le parfait Elle rêve de Mars.
Fille Unique se fait une « certaine idée » du futur, tel qu’on l’envisageait il y a trente ans, accueillant, technologique et plein de promesses. C’est une respiration, contemporaine toutefois dans ses ruptures de rythme et ses agencements, qui a un petit goût d’éternité. Un disque charmant, infini et précieux comme une bulle de savon. Au jeu du « qui a signé cette musique? », on a bien une petite idée mais on gardera (selon la volonté du suspect) le silence jusqu’à nouvel ordre.