Franklin / Someone Else
[Wool Recordings]

8 Note de l'auteur
8

FranklinEt si c’était là l’un des meilleurs albums français de l’année ? La question se pose après quelques mois de vie avec le deuxième album de Franklin aka Frank Rabeyrolles. A petit pas, l’album s’impose et dépose comme des petits cailloux ses séquences mélancoliques, électroniques ou pop dans notre vie de tous les jours. Il y a une discrétion et une précision à l’œuvre dans ce Someone Else qui agissent en contamination douce pour impressionner dans la durée.

L’itinéraire de Rabeyrolles démontre une nouvelle fois que les meilleurs artisans électroniques sont ceux qui viennent d’ailleurs : du punk, du rock, de la pop. C’est presque une science exacte, même s’il y a bien sûr des exceptions. C’est cette culture exogène qui rend l’électro trip-hop de Franklin aussi peu orthodoxe et si intéressante, associée à ce qui a toujours fait la différence à travers les époques : le sens de la mélodie. Et c’est évidemment ce qui transforme ce qui aurait été sans ça un joli disque d’ambiance en album magnifique : les quelques notes qui conduisent les morceaux et restent quand on a tout oublié. Someone Else aurait pu faire un bel album french touch. L’électro est agile, tranquille et prend son temps comme chez le Air des débuts. Un bel album de trip hop circa 1998 aussi. On pense aux arrangements de bord de mer d’Andy Turner de Aim mais aussi au mélange des cliquetis et des voix noires de Pressure Drop ou encore aux tapis de sons d’un Tim Saul, voire d’un Geoff Barrow. Sarah Lucide et Swann qui officient toutes les deux au chant sur une bonne partie des morceaux ont dans l’équilibre qui s’installe ici une fonction déterminante : ce sont des voix fantômes qui hantent les morceaux, des voix qui parlent peu mais qu’on plaint par leur position, des voix de sirènes qui appellent les marins pour les noyer, ou de strip-teaseuses qui désirent depuis leur pilier de danse (Electric Poles). La musique de Franklin est étrangement séduisante, tout en étant en permanence dans le refus de se faire remarquer. Cela démarre par un Don’t Ever Go qui est peut-être ce qu’il y a de plus direct et vulgaire ici : une chanson soul, qui nous ramène autant dans les 60s que chez des Propellerheads sous tranquillisants, envoûtante et faussement dansante. Franklin y accole une série de morceaux inoubliables qui vont d’un Electric Poles troublant et à la progression fascinante jusqu’à ‘un des (premiers) sommets du disque : le sublime Endless. Chanté à deux voix et porté à dos de piano et de cymbales tremblantes, le titre est une merveille de délicatesse pop et d’empilement de couches. C’est précis et millimétré mais surtout léger comme le vent. Endless est une de ces chansons de bord de mer qui sentent le sable, le soleil et le réconfort. « Dont you feel lonely like me ? », chante un Franklin au malheur fédérateur. Bien sûr.

Franklin fait son Kraftwerk sur l’assez réussi Pocket Music et façonne quelques beaux morceaux d’électro transition avec Poor Boy ou Sally. Mais c’est quand il évolue dans le domaine électro pop que Someone Else fait la différence. Franklin nous rappelle ce qu’on avait adoré chez Gendreau et Van Dessel, nos héros américano-flamands de Plastic Operator : la capacité à rendre ultramoderne une caresse désuète venue du passé. C’est ce qu’on ressent sur Hypnosis ou encore sur le merveilleux Someone Else, d’un érotisme aussi redoutable qu’implicite. « It was cold, in my street/when i was a kid/ i was running in the street/Even in winter, biking in the street/ Alone with my dreams », susurre la voix féminine dans un suspense-miroir irrésistible qui mêle naïveté enfantine et éveil au désir adulte. Le miracle d’équilibriste se poursuit dans les mêmes termes sur le passionnant Song For So, miniature pop parfaite de deux minutes qui referme le disque. « Everyday i wait for you at the school. You give me love, strength and desire. I Love you. », chante un Franklin enamouré qui fusionne en une même image l’amour filial et les premiers émois d’enfant. On est ici à la fois le père et l’enfant qu’on a été jadis. Et c’est assez prodigieux de faire la sortie des écoles.

Someone Else est un album quasi parfait. C’est un album qui ne bouscule personne et n’agresse jamais l’auditeur, un album à la fois confortable et troublant, joueur et follement intelligent mais aussi enfantin et empli d’une nostalgie astucieuse. En l’écoutant, on voyage dans le temps comme si on revenait à un âge d’or des sentiments et à la source de nos premières émotions. En l’écoutant, on ne donnerait pas notre place à someone else. C’est ça qui est bien.

Tracklist
01. Don’t ever go
02. Electric Poles
03. Endless
04. Fiction
05. Hypnosis
06. Pocket Music
07. Poor Boy
08. Sally
09. Someone Else
10. Song for So
Lien
Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Benjamin Berton
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *