La musique de Gablé a longtemps été trop joyeuse pour nous. Et il va sans dire que cette manie/coquetterie de jouer avec les miNUscULes/MAJUScuLEs partout, nous a toujours horripilé en tant que chroniqueur (on a d’ailleurs renoncé à l’appliquer). Il aura fallu la divine épidémie de Covid (encore elle) pour que les Normands se rendent à l’évidence : le monde est un désastre. Il ne sert à rien de vouloir danser, l’égayer et de faire croire aux gens qu’on va pouvoir rattraper notre condition et nous sauver de nos turpitudes parce qu’on aura trouvé un bon rythmo. On exagère évidemment. Gablé a toujours été l’un des groupes français les plus intéressants du marché, à la fois parce que c’était un groupe de batteurs (hé, oui, on aime les batteurs), de percussions et parce que leurs manières joueuses ne se déployaient pas à n’importe quel prix mais toujours avec une grâce ludique, un sens du bricolage, qui valaient bien toutes les peines du monde.
Toujours est-il que ce Pick The Weak (cueille/choisis le faible, littéralement) qu’on aurait tout aussi bien pu rebaptiser Pick of The Week (l’album de la semaine) ou Pick of The Weak (qui aurait été moins facile à traduire) est l’une des très bonnes pioches de ce début d’année. Le groupe évolue en formation resserrée (le trio de base, deux gars, une fille) avec assez peu de perturbations extérieures (un seul « featuring » référencé avec les Meridian Brothers, et la production de Funken, peut-être un ou deux instrumentistes – à vent – sur certaines plages), la musique de Gablé gagne en force et en compacité. L’unité du trio est ce qui fait sa force. On ne sait jamais de quoi chacun joue mais on a la sensation que le groupe a quelque peu remisé ses guitares sur cet album pour utiliser des instruments extraterrestres, des sons inédits et aussi des bizarreries électroniques qui viennent enrichir encore les textures surréalistes et saisissantes qui jalonnent leur univers. Cela donne des morceaux parmi les plus réussis de leur discographie, comme par exemple un Beliefs That Exclude qui évoque précisément les travaux les plus avancés d’un Wire, un pied dans la bricolo-pop et les deux autres dans une sorte de post-punk métronimique et glacé. On aime quand Gablé s’amuse sur l’électro-pop irrésistible mais parfaitement contrôlée (pour ne pas dépasser les bornes du mauvais goût) sur It Makes Sense, comme on les suit avec bonheur dans l’orientalisme énigmatique de We Look Away. Les textes sont gentiment absurdes (un immeuble vide dont on répare le toit….), mais Gablé dose à la perfection son côté bondissant et insouciant et une sorte de « souci » nouveau pour l’ordre étrange et parfois inquiétant des choses. Sur Shared, on retrouve néanmoins ce mélange délicieux de pop, de world music et d’expérimentations sonores. Gablé, avec le temps, prend de plus en plus l’allure d’un Pram à la française, un Pram délesté de ces racines cold wave et en mode multicolore. Tell Us More est une réalisation passionnante dont on peut isoler chaque séquence d’une vingtaine de secondes en se demandant littéralement à quoi on a à faire. Electro ? Chanson ? C’est comme si Pascal Comelade avait décidé d’animer une fête de village avec Aphex Twin et des transfuges de New Order. Le petit virage électro opéré par le groupe est l’atout maître de ce nouveau disque qui surprend en permanence et époustoufle par sa créativité.
On adore la manière dont la mélancolie samplée de Ca Va Michel ?, se déverse en une quarantaine de secondes dans l’introduction millimétrée d’It Makes Sense. La voix de la chanteuse Gaelle n’est jamais surutilisée mais amène ici une fragilité essentielle qui lorgne du côté du filet de gazelle d’une Birkin. On peut toujours danser sur la musique de Gablé mais il est désormais possible de se poser des questions, voire de verser une petite larme en regardant ses chaussures. Instructions démarre comme un titre de Grandaddy, avant d’aller chasser sur le terrain chaotique et digitale d’un Coldcut hexagonal. C’est épatant et parfois même à la limite du génie sans frotter, à l’image du final Pony Tail, sorte de synthèse XXL de tout ce que le groupe a semé avant. L’apport des cuivres, discret, nous projette au cœur d’une fête de village, d’une grande sono mondiale. Une ronde s’ébroue autour de nous, comme dans une grande cour de récré, avant qu’une pièce de dialogue sublime ne nous rassure sur la vie simple, naïve et pleine d’authenticité qui se noue autour de nous.
Il y a dans ce morceau un bon résumé du savoir-faire et de toute l’attention que met Gablé à son travail, de toute la générosité que le groupe investit en créant. En arpentant sans fin les petites salles/scènes du pays, Gablé est un groupe qui, même en studio, sonne comme s’il jouait perpétuellement sur scène, le sourire aux lèvres et les yeux grands ouverts sur les couleurs du monde. Le résultat est encore plus beau quand ce monde est en danger et que les couleurs pâlissent. Gablé n’est plus seulement là pour faire danser mais pour nous emmener ailleurs et témoigner du bonheur enf(o)ui.
02. We Look Away
03. Shared (feat. Meridian Brothers)
04. Tell us More
05. Ça va Michel ?
06. it Makes Sense
07. Instructions
08. Beliefs That Exclude
09. Special Containers
10. Pony Tail
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