Ces fameux rattrapages 2023 nous auront fait tout le premier trimestre, mais on ne pouvait décemment pas ne pas parler du joli Slow Motions des havrais de Grapes, l’un des groupes les plus british de France. On trouve quelques traces éparses du groupe sur les internets, des EPs, des titres disséminés tous les deux ou trois ans depuis une dizaine d’années dont un album (le seul, écouté à rebours et très très bien déjà) en 2012, Some Kinds of Happiness. Mais on doit admettre qu’on avait avant ce 8 titres formidable jamais croisé la route du groupe. Ce sont des choses qui arrivent même si en l’occurrence, malheureuses pour nous car on se serait accommodés d’avoir écouté le groupe avant.
Slow Motions est un disque de pop « à l’anglaise » élégant, soigné, cotonneux et nostalgique. Les productions sont chaleureuses, teintées de couleurs jazzy (la trompette sur un Ombres instrumental parfait), entonnées avec une langueur dans la voix qui rappelle l’esprit joueur et désabusé d’un Martin Newell ou mieux encore d’un Ed Ball, ayant remonté ses The Times, pour une dernière aventure et sans la moindre intention de récolter le succès. On pense aux Beatles sur You Make Me Feel Better, aux Kinks parfois, à la grande tradition de la pop anglaise, de ces créateurs plus tardifs de pop à ailes, les Apartments et My Life Story bien sûr (en moins show off) mais aussi l’Américain Andy Shauf, pour le timbre de voix mais sans la luxuriance. De faux airs des High Lamas quand l’esprit s’égare sur une plage sans soleil. (Sound of Chaos). « O sweet ignorance… you do know for sure… How to make idiots dance on yours streets. People only care about the lights of the true opinions…. » Tous les morceaux sont épatants, limpides, magnifiquement arrangés, sans qu’on ait jamais l’impression d’un produit suranné ou retravaillé comme chez d’autres. Grapes ne travaille pas dans l’imitation ou la recherche d’un cachet vintage, il émeut en livrant une pop naturelle et instinctive, sophistiquée et presque organique.
Into The Wild est magnifique d’amplitude et de légèreté. Long Distance Run est porté par des cordes millimétrées et un chant précis et posé comme du McCartney, au point qu’on ne fait que se demander pourquoi on n’a pas écouté ce disque avant. On trouve sur le final, Nova 1, 2, 3, une poésie évanescente qui nous fait penser que la musique de Grapes n’existe pas vraiment ou ne s’est donné pour but que de nous traverser comme le ferait un rayon de soleil, un été à la plage ou un amour d’adolescence.. puis de s’évanouir comme un beau souvenir. Peut-on avoir comme dessein de ne laisser aucune empreinte sur les choses ? Peut-on avoir l’ambition de n’agir que comme une caresse puis d’être oubliée à jamais ? Nova 3 se plaint que les choses aillent trop vite. C’est ainsi. Il est possible qu’on oublie ce disque dans les mois qui viennent mais peu probable qu’on oublie jamais le bonheur qu’il nous a procuré quand on l’a écouté pour la première, la deuxième et la troisième fois. Ce n’est pas la musique qui est lente, c’est le plaisir qui passe vite.
Slow Motions est le plus joli mini-LP de 2023 et pour le moment l’un des meilleurs trucs qu’on a écoutés en 2024.