Le mercredi 16 octobre se produira pour la première fois en France, le duo Hifi Sean & David McAlmont, auteur ces dernières années de deux albums Happy Ending (2023) et Daylight, qui ont été encensés par la critique internationale dans son ensemble, le second figurant, encore cette semaine, parmi la sélection des meilleurs disques mis en avant par Bandcamp.
Si d’aucuns reconnaîtront assez facilement en Hifi Sean, l’une des figures historiques du mouvement Madchester, puisque le musicien, DJ et chanteur, tenait entre 1986 et 1995 puis plus récemment (le groupe s’est reformé pour quelques lives) le micro chez les impeccables The Soup Dragons, la trajectoire de David McAlmont est moins facile à lire, même si le bonhomme a fait l’objet de grands articles enamourés au fil des années dans la presse spécialisée type Inrocks, Magic etc.
Si David McAlmont est moins connu que d’autres, c’est parce qu’il a forgé sa réputation sur des prestations qui n’ont pas toujours traversé la Manche et qui ont pu impressionner dans l’instant sans que cela se traduise dans un album complet ou une campagne de promotion bien travaillée. Son œuvre discographique, si l’on excepte les albums précités, et une collaboration de prestige, et sublime, avec l’ancien Suede, Bernard Butler, The Sound of McAlmont and Butler, est du reste à redécouvrir depuis son premier album solo éponyme (1994) jusqu’au splendide live enregistré à Londres en 2011 intitulé Live from Leicester Square et auquel participe d’ailleurs Butler. Il y a eu après ça une autre collaboration de prestige avec le pianiste Alex Webb intitulée The Last Bohemians qui est un mélange de reprises (The Wild Ones, I’m So Tired, No Surprises) et de créations qui est de toute beauté, mais c’est une autre histoire.
La légende de David McAlmont, la « Castafiore du rock indé », la « Voix de ses trente dernières années », comme on le désigne parfois, est née de deux moments de vraie gloire qui l’ont menés, pour le premier en 1995, à Top of The Pops et un peu partout, pour le second en 1997 à accompagner, en tête de gondole, la BO de Demain ne Meurt Jamais, 18ème film de la série James Bond (alors incarné par Pierce Brosnan, réalisé par Roger Spottiswoode). Le compositeur anglais, David Arnold, met à cette époque en sons un album complet des standards bondiens et, alors qu’on lui confie la BO du nouveau film, choisit de proposer à David Mc Almont de reprendre le standard Diamonds Are Forever à l’ouverture de son disque.
Le disque est génial et la version de David McAlmont du titre composé par John Barry pour le 7ème film de la série réussit à faire de l’ombre à Shirley Bassey, l’interprète originale qui avait déjà chanté sur le non moins magique Goldfinger. Habillé en femme (ou du moins avec un look qui n’est pas très courant à l’époque), McAlmont s’invite sur les plateaux télé et dans un clip fabuleux pour sublimer de sa voix puissante, sexy, aérienne, une chanson qui n’attend que ça. En live ou en vidéo, Diamonds Are Forever est une performance exceptionnelle qui ne manque pas d’attirer l’attention sur un chanteur qui, âgé de 30 ans à l’époque, avait justement bénéficié d’un premier temps d’exposition deux ans auparavant en jouant et chantant aux côtés de Bernard Butler.
La sexualité de McAlmont ne fait pas de doute mais c’est évidemment la conjugaison de son apparence (cet accoutrement de chevalier blanc) et de sa voix insensée qui crée l’événement. Il est black, gay, travesti et chante avec une voix de femme ! Il ne cessera dès lors d’être recherché pour ces performances lunaires qu’il pratiquera, ensuite, avec un look plus sobre. On le retrouve en 1998 avec un deuxième album chez Hut Recordings, A Little Communication, puis un troisième Be, toujours sur le même label. Sans devenir une super star, la voix de McAlmont est très recherchée. Le bonhomme, anglais donc, qui a vécu en Guyane et a été victime de pas mal de percussions, se caractérise par… son intelligence et accessoirement son niveau d’études. Issu d’un milieu classe moyenne, Mc Almont compose des essais et écrit dans la presse. Il chante d’abord au sein d’un duo composé de Saul Freeman et lui-même, baptisé Thieves. Les deux hommes se séparent après avoir décroché deux fois le « single of the week » du Melody Maker. Le premier album de McAlmont sera du reste en partie bâti sur les cendres du premier album perdu du duo.
Ce qui frappe chez Mc Almont, c’est évidemment sa capacité à travailler à la fois dans le registre pop, rock, soul et funk. Il s’essaie également au jazz et n’a pas de limites vocales. Aux côtés de Bernard Butler, il livre plusieurs chansons majeures et très émouvantes comme le single You Do. C’est à cette époque qu’il passe plusieurs fois à Top of The Pops.
Le texte est magnifique et McAlmont s’impose aussi comme un parolier simple et majeur, talent qu’il cultivera au sein de son duo avec Hifi Sean.
I want you to be the strong one
I want to look up to you
I need you now
I need you now
I never want to see you break down
But you do, yes, you do
I want you to be the champion
Oh, to rely on you
I need you now
I need you now
I never want to see you break down
But you do, yes, you do
Be stronger
Be stronger
Be stronger
Stronger
Difficile de ne pas craquer devant cette version à cordes de Yes, leur plus gros succès.
Le net regorge de moments incroyables et souvent éphémères qui permettent de mieux cerner le personnage. Actif dans son champ de l’histoire populaire des arts, McAlmont s’échappe pour épauler un ami, se produire sur quelques titres et faire d’un concert un moment privilégié. Parmi ses collaborations magiques, on parlera juste de Fingersnap, un duo dingue qu’il monte avec Guy Davies et qui donne comme ici des soirées enchanteresses.
Durant la période Covid, il s’offre une version jazzy et surprenante du The Wild Ones de Suede, qu’on retrouve sur son disque avec Alex Webb. Cette version qui présente le chanteur en chemisette et sans apprêt chez lui a assez peu à voir avec l’originale mais démontre toute la fantaisie de l’artiste. Le disque avec Webb pousse la relecture à un niveau rarement atteint.
Derrière ces démonstrations de virtuosité, le parcours de David McAlmont vaut le détour et tous les récits de modernité. Né à Croydon, McAlmont est d’origine Guyanaise et Nigériane. Il apprend à chanter dans des choeurs à l’Eglise en Guyane avant de poursuivre son adolescence en Angleterre et de s’affirmer assez vite, et contre ses racines chrétiennes, comme jeune homosexuel. Son chant reflète cette dualité de jeunesse entre une spiritualité évidente, un rapport au sacré tenace et un sens de la transgression, de la liberté et de la différence qu’on sent vibrer et frémir sur chaque note. Sa voix emporte vers le ciel le souvenir du harcèlement, des persécutions que lui ont valu sa couleur de peau, son orientation sexuelle et sa détermination à ne rien dissimuler.
Ses moments de bravoure sont innombrables. On peut écouter cette collaboration avec Craig Armstrong ou encore l’une des chansons qu’il interpréta avec le compositeur star Michael Nyman autour du projet The Glare, album chanté par Mc Almont sur des compositions de Nyman qui raconte des histoires de piraterie, de prostitution, de trafic d’être humains ou de géopolitique.
Son duo avec Hifi Sean, lui-même hétéro avec enfant qui a découvert son homosexualité sur le tard, prend un sens sociétal très fort. McAlmont y exprime toute l’étendue de son talent entre gospel, soul, jazz, pop, un grand écart stylistique, dense et classieux qui promet de transporter les auditeurs.
Photo : Anthony Ely (avec l’aimable autorisation de David McAlmont, via fortifiedfortyfives)
Billetterie Festival Outsiders – Mercredi 16 octobre 2024