Mariin K. / Rose Skin
[Seksound]

8.9 Note de l'auteur
8.9

Mariin K. - Rose SkinPas facile sans doute d’avoir l’esprit léger quand on se demande tous les quatre matins si le pays ne va pas être une des prochaines victimes de la folie impérialiste d’un Vlad’ en roue libre que plus grand-chose ne semble pouvoir arrêter. Pourtant, l’ultra moderne et connectée jeunesse estonienne continue de s’occuper comme elle aime le faire, avec des guitares et des machines. Si l’on rembobine un peu l’histoire, on se retrouve entre la fin des années 1990 et le début des années 2000 à Tallinn, capitale de ce petit pays balte parti voler de ses propres ailes sous le regard toujours inquiétant de son immense voisin. Kohvirecords puis Seksound offrent une spectaculaire visibilité à la très excitante première des scènes indés issues d’un ancien pays soviétique, le premier dans un registre électro / folk parfois bizarroïde mais surtout inventif, le second optant plus pour de grands bains de guitares distordues sous l’impulsion de son créateur, Rein Fuks de Pia Fraus. Une belle époque et un soufflé un peu retombé depuis, sommeil infini pour l’un, activités en pilotage automatique ralenti pour l’autre, bercé au rythme des sorties d’un Pia Fraus quasiment devenu unique raison d’être.

Et puis soudain, un vent de renouveau. Celui qui se met à souffler quand les quarantenaires s’endorment sur leur propre histoire et se font déborder par une jeunesse émergente que, bien heureusement, pas rancuniers bien au contraire, ils décident d’accompagner. Il faut dire que la trentenaire Mariin Kallikorm, Mariin K. pour son nom de groupe, a tout pour être la petite sœur spirituelle d’un Pia Fraus dorénavant assagi et son Rose Skin tout pour réveiller une scène peut-être pas endormie mais peinant à franchir ses frontières.

On ne connait pas grand-chose d’elle et à vrai dire, sa musique se suffit à elle-même ; Rose Skin constitue le plus beau des portraits de la jeune femme. Autant le dire de suite : c’est une belle, une très belle personne. Bien sûr, comme souvent dans cette niche du rock, on n’ira pas nécessairement chercher comme chez de rares autres des tentatives d’innovation et d’évolution du genre mais si la proposition de Mariin K. demeure formellement assez classique, elle balaye néanmoins le spectre de toutes ses nuances (noisy pop, shoegaze, dreampop…), les hybridant parfois. Mais la musicienne n’a rien d’une copiste penchée sur ses instruments comme d’autres sur leurs chevalets car ce qui frappe dès la première écoute de Rose Skin et s’affirme au fil de temps, c’est la personnalité qui se dégage de compositions affirmées, évidente mise en avant d’une touche féminine, ce dès le titre et le très bel artwork, peinture signée de l’artiste estonienne elle aussi Mari-Liis Vähi que Mariin Kallikorn n’hésite pas à présenter comme sa muse. Pour autant, s’il est beaucoup, essentiellement question de féminité, les textes de la jeune femme ne versent pas vraiment dans la bluette, trahissant une personnalité marquée par les rencontres qui laissent des traces avec des hommes toxiques mais se projetant aussi sur des relations plus saines et sécures, plus ouvertes aussi sans doute.

Des influences, on en trouvera forcément : Rose Skin n’est après tout qu’un premier album sur lequel il est souvent l’occasion de construire sa personnalité musicale tout en rendant hommage aux grands noms qui ont forgé cette envie d’en découdre à son tour, de s’exprimer et s’amuser de l’une des plus jolies façons qu’il soit. Alors oui, cette explosion distordue, cette vague de trémolos ou ce cocon noisy qui vient chaudement vous envelopper aura tout pour être familier mais ce n’est qu’une histoire, partielle en plus, de forme. Car au fond, dès les premiers instants et sur toute la longueur du disque, on se laisse emporter par les chansons sans faute de l’estonienne dans un grand vent de fraicheur qui s’avère ébouriffant.

Tour à tour tendre et mélancolique, jeune femme forte mais pleine de fragilités, Mariin K. s’expose à travers sa musique telle qu’elle est, sans artifice mais avec une puissance évocatrice sans pareille. Rose Skin détonne, nous attrape par ses rondeurs, nous captive sans la moindre peine avant d’exploser dans un déluge de guitares enivrantes dont larsens et distorsions font depuis longtemps partie de ces univers que l’on adore ; l’éponyme petite bouderie nonchalante Rose Skin en introduction en est le meilleur exemple. Si jamais elle avait disparue, l’alliance du feu et de la glace retrouve ici une seconde jeunesse absolument délicieuse, pop et irrésistible. Entre Beach, condensé de noisy pop délicieuse et Did U Forget superbe de surtension électrique sur le fil, jamais loin de disjoncter ; entre Puddle, petite bombe dreampop avec son gimmick de guitare qui tournoie à l’esprit dès les premiers riffs et Easy plus rock et affirmée, jamais loin de rappeler l’excellent groupe suédois du même nom dont le Magic Seeds en 1990 fit tourner bien des têtes, l’album déroule ses ambivalences sans la moindre peine.

Parfois, Mariin K. tente un peu autre chose comme quand Free Alice avec son gros beat et ses couplets rappés/chantés prend des airs de gros dur mais c’est sans compter sur la trahison d’un refrain parfait d’une incroyable douceur ou quand Just Wait semble se laisser prendre au jeu électro mais se fait très vite rappeler à l’ordre par des guitares qui tiennent à garder le contrôle. Et même lorsque l’enlevé Rose Skin baisse franchement de rythme sur Annie ou Chelsea, les deux assument leurs contradictions en gagnant alors en mur du son, implacablement construit sur un solide rack d’effets.

Bonbon printanier, coup de frais estival, cocon automnal : Rose Skin n’est pas un disque de saison mais bien l’une des petites perles de cette année 2025 déjà largement éprouvée et qui ira sans la moindre peine jusqu’à nous réchauffer le cœur l’hiver venu. Il est une nouvelle preuve indiscutable qu’il suffit d’insuffler à sa musique certes assez peu novatrice une bonne dose de personnalité, de fraîcheur, de sensibilité et de sincérité pour la rendre absolument irrésistible et indiscutable. C’est bien pour se faire mettre le grappin dessus par ce genre de disque que l’on continue tout ça depuis tout ce temps et qu’on n’est pas près de s’arrêter.

Tracklist
01. Rose Skin
02. Beach
03. Free Alice
04. Annie
05. Puddle
06. Easy
07. Just Wait
08. Foam
09. Did U Forget
10. Chelsea
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