[Live Report] – Massive Attack militante au Zénith de Paris (juin 2025)

47Soul Paris 2025Ils ont encore réussi à échapper à la foire de We Love Green, et c’est un Zénith tout plein qu’ils ont à opposer. Une date unique pour la France, pays fidèle aux pionniers trip-hop de Bristol. Déroulé de tapis et traitement de stars pour Massive Attack, donc. Et ils avaient raison : Paris le leur rend bien ; la salle était comble, uniquement là pour leurs beaux yeux.

On aurait aimé en dire tout autant pour les 47Soul, groupe de rock-électronique palestinien assurant la première partie. Un choix musicalement osé du moins, ayant le mérite d’acclimater les spectateurs parisiens à l’ambiance “fin du monde” pantinoise. Évidemment, il n’aura pas fallu plus de trois minutes pour atteindre le point Gazawin, la Palestine étant la véritable vedette tragique d’arrière-plan de cette soirée. Les milliers de spectateurs semblaient idéologiquement convertis depuis l’œuf – était-ce si difficile, avec le peuple français ? Étonnant, pourtant, de constater une telle froideur dans la réception musicale, notamment au niveau des gradins (plus bourgeois ?), la fosse étant heureusement plus répondante. C’est d’autant plus dommage que ce “nouveau” rock (qui existe depuis des années dans des circuits confidentiels, mais qui affleure bien plus facilement de nos jours, grâce aux plateformes et réseaux) a l’avantage d’auditeurs (on suppose) vierges à celui-ci.

La musique de 47Soul fût tout à la fois conquérante et mystique, rustique et radicale, tribale (mezoued et tambour étaient de sortie) et dansante, et même, disons-le, charnellement invitante – l’envers de la pudeur et de l’imprononcé exerce souvent une force d’attraction inavouée et contraire, refluante. Cette musique syncrétique, bien que souffrant – dans ses racines – d’un relatif manque dans sa palette musicale – manque inhérent au sous-genre interdisant certains sujets et émotions – reste suffisamment fascinante, il faut l’avouer, pour que de plus en plus de groupes, comme les français d’Al-Quasar, en explorent l’usage. Ce registre est donc amplement légitime d’être entendu, et cela peut commencer via la musique de ce groupe. Dommage, dès lors, que celui-ci ait été choisi (d’abord) pour sa nationalité et l’emmaillotage attendu en slogans anti-colonialistes et antiracistes appelant – et le leader du trio l’a trop bien compris – à la pitié et à la mobilisation financière plutôt que pour son apport musical.

Et puis, quel meilleur moyen de faire entrer tout ça avec un genre comme le rock, plus de sa première jeunesse, et de le truquer de l’intérieur ? De le régénérer ? On y croit peu… Le futur sera oriental, c’est écrit et voulu. Nous avons doctement lu Soumission ; il faut s’y faire. Pas sûr néanmoins que le public soit prêt à faire face à ses choix. En tout cas, la bière tardait (et tremblait) à se vider. Pas sûr que l’éclairage rouge ardent et vert soit judicieux pour détendre l’ouaille…

Le gros du morceau à présent. Massive Attack est connu pour adapter sa mise en scène (i.e. traduire les sous-titres des vidéo diffusées) ; et les effets visuels étaient à l’avenant. Le discours militant du duo, qui ne date pas d’hier, était moins comminatoire, passant des deux lignes de 47Soul (je dis donc tu dois) à une (soutien à), ouf ! Le véritable problème que peu de personnes pointe est le suivant : Massive Attack a désormais deux personnalités indépendantes ; celle de sa musique et celle de ses prises de paroles par média interposés. Et la première a toujours été plus intelligente (car complexe, ambiguë) que la seconde, simplette. La mise en scène de ce soir se faisait – heureusement ! – le relai de sa musique : spectateurs filmés avec une réticule de reconnaissance faciale ; filets de fake news fictions (ironie du sort, la plupart se moquant… de la capitalisation militante des causes perdues par le show-biz, ce qui est le comble de la dissonance cognitive !) ; cascades de statistiques et de codes à la Matrix ; extraits de films, d’archives et d’images générées par IA, montrant un monde en faillite moral, redoublant d’inventivité dans la tragédie et le crime (11 septembre, Sarajevo, l’Ukraine, cyber-capitalisme, horreurs communistes, désastres écologiques, etc.). On n’a donc rarement constaté d’une part une telle dissociation, et d’autre part une telle contradiction interne au groupe. On s’attristera aussi de la traduction et d’une sélection d’images à certains moments maladroites, et pas des plus originales, le montage étant proche d’un Godspeed You! Black Emperor en concert et de tant d’autres, même si le propos avancé est en soi un vertige. On s’étonnera aussi du boucan qu’une image comme celle du 1er ministre israélien peut susciter, quand celles de Staline et Trump (!) laissent presque indifférent… Mais le monde est un éternel boxon geignard et animal ; la paix, un instant improbable de respiration entre les guerres ; et (la musique de) Massive Attack est bien décidée à contrevenir à cela… en rajoutant son bordel à elle.

Massive Attack Paris 2025Et des surprises… Les pistes de MA n’ayant jamais eu aucun porte-voix fixe, c’est entouré de chanteurs intermittents que se déplace le duo. On saluera alors le charisme chamanique d’Horace Andy ; la présence de Deborah Miller pour Unfinished Sympathy ; et là, en parlant d’une surprise, la voix magique d’Elizabeth Fraser de Cocteau Twins. On pourra regretter que son timbre n’ait pas été mobilisée à son éclat, le sombre répertoire de Massive Attack n’étant pas toujours le mieux prédisposé à cela. La voix de 3G, elle, dévoile une issue favorable aux consommateurs de cigarettes : elle évolue en bien, se transformant en voix silex à en faire frémir le pauvre Paul Banks d’Interpol. Plus étonnant encore était la présence de reprises (d’Ultravox, de Gigi d’Agostino) et de medley (le Levels d’Avicii a laissé stupéfait certains vieux de la vieille) disons… discutables. La musique type de MA étant difficilement classable en un genre, le concert avait le mérite de faire succéder les ambiances (vocales vs. non vocales, downtempo / midtempo, ambient / rock / pop / électro), bien que le groupe ait mis l’emphase sur sa dimension post-punk avec des rouleaux de grésillements… à tel point qu’on s’est parfois cru, là encore, devant GY!BE ou Nine Inch Nails. La qualité sonore semblait, comme à l’accoutumée en France, être un fatras de sons (entre les instruments, les voix et la musique par ordinateur assisté) pas toujours bien dénoué ; le volume sonore étant très haut (les salles françaises voudraient-elles nous cacher quelque chose ? un mauvais sound system ?), on suspecte un partenariat caché de celles-ci avec Audika.

Nous resteront en tête quelques moments de bravoure correspondant aux hits et quelques superbes effets visuels. Mais avec une telle collection de bijoux (dont pleins oubliés dans certaines limbes d’albums) à disposition, on reste perplexe devant la tracklist du concert, d’autant plus lorsqu’elle occulte les climats jazzy, rap et ambient faisant le gros de l’identité du groupe. Sans parler de cette fascination humanitaire mal placée. On soulignera par contre un auditoire BCBG, de très bonne tenue et d’une belle diversité dans l’âge. Il s’agira à présent d’être à la hauteur du chaos ; de le regarder dans les yeux ; car Massive Attack ne propose aucune solution pour ce monde de plus en plus troué par la violence, si ce n’est de continuer le mouvement et la hargne ; se laisser pénétrer par le réel désespérant du monde, sans qu’il nous fige et dénature. Les mots et slogans bêlés, ça, ça ne compte pas. Pas gagné d’avance avec un tel public, mais plus personne ne pourra bientôt y échapper…

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