
Il serait faux de croire que le phénomène des reformations est une nouveauté ou une caractéristique de notre époque. La notion de comeback (comme on l’appelait généralement jusqu’au début-milieu des années 90) fut du reste l’un des plus anciens arguments commerciaux utilisés par les labels et les maisons de disque pour préparer le terrain au “retour” d’un artiste parfois absent depuis quelques années, mais dont il ne faisait aucun doute qu’il se repointerait un jour. Le comeback (retour) est bien entendu légèrement différent de la notion de reformation qui implique deux choses : 1/ qu’on soit face à un groupe et non à un artiste solo. Difficile lorsqu’on est seul de se reformer…. 2/ que ce groupe, donc, se soit plus ou moins officiellement séparé ou mis en sommeil. Un groupe devrait théoriquement avoir explosé ou annoncé sa fin, pour se reformer, ce qui n’est pas toujours le cas. Bref…
Le mécanisme reste toutefois assez similaire puisque le comeback et la reformation prennent assez exactement les mêmes formes : une annonce tonitruante (ou pas), l’envie de récupérer un ancien statut de champion (dans sa niche, parfois) en “capitalisant” sur un héritage plus ou moins évident, via (le plus fréquemment) des tournées lucratives, autour du monde ou intérieures selon la renommée du groupe, et (moins fréquemment mais inévitablement souvent) de nouvelles chansons. La reformation comme le comeback mettent ainsi en articulation un mécanisme intime et interne (disons… le retour aux affaires de membres qui avaient partagé un bout d’histoire et de chemin) et un mécanisme externe et public qui implique le portage par les fans et la presse d’un héritage ancien (et révéré/respecté) que l’on va restaurer ou prolonger à travers un rituel de résurrection.
On distinguera ainsi le comeback et la reformation de simples retours de flamme d’artistes n’ayant jamais disparu ou splitté mais qui connaissent une “seconde jeunesse”. On peut prendre pour exemple de cela la seconde carrière de Johnny Cash qui intervient, alors que tout le monde s’en fout, en 1994 à l’occasion de son travail avec le producteur Rick Rubin. Cash se transforme autant qu’il est transformé par “l’opinion” en légende vivante et en référence alors qu’il était déclassé avant ça.
Le comeback “originel”, ou du moins celui qui est le plus tonitruant, est sans conteste le retour d‘Elvis Presley en 1968 avec son concert NBC Special du 3 décembre. A cette époque, Elvis est parti pour deux ans de service militaire (1958-1960) mais décide surtout de se lancer dans une carrière cinématographique, certes chantée mais qui fait passer le rock en second dans l’ordre de ses priorités (3ème si on ajoute le beurre de cacahuètes). Pendant cinq ans, il est plus acteur que chanteur et disparaît du monde de la musique, avant d’orchestrer un comeback qui est sans doute le premier à prendre cette dimension à la fin de l’année 1968. Sa précédente apparition télé en direct datait de 1960 quand il se produit à nouveau sur scène devant des millions d’américains. Le King regagne très rapidement son audience et signera l’année suivante l’acte de (re)naissance de sa carrière avec le standard Suspicious Minds. On peut considérer que ce retour est l’acte fondateur des mécanismes de comeback/reformations.
L’histoire du rock est ensuite une succession de phénomènes similaires de plus ou moins grande ampleur selon le “matériau” de départ concerné. Les Pixies se reforment en 2004 après une dizaine d’années de hiatus et de désamour entre les membres. Dinosaur Jr. connaît un mouvement équivalent en 2005, pour une interruption démarrée en 1997. Mais on aurait pu citer le retour de Blondie en 1999, après 17 ans de pause. Le comeback de Bowie en 2013 avec The Next Day après dix ans sans nouvel enregistrement. Les Happy Mondays en 2006 enregistrent un nouvel album. Ils n’en referont pas d’autre pendant vingt ans mais continuent de se reformer/déformer tous les deux ans. Le mécanisme peut être strictement commercial mais aussi engager un travail artistique non négligeable ce qui distingue les reformations réussies (celles qui permettent d’accoucher de nouveau matériel “de qualité raisonnable) de celles qui sont perçues comme strictement mercantiles et qui tendent à disqualifier les membres… au bout du trois ou quatrième tour du monde. Le bon exemple de ce mécanisme est les Pixies qui auront attendu 2014 pour produire un nouveau disque…. et ainsi s’offrir une bonne occasion de prolonger un mouvement essentiellement mémoriel. La question se posera bientôt pour Pavement qui, à force de tourner et de tourner, même si leurs dates sont comptées, pourrait bien être tenté de proposer quelque chose de nouveau.
Le mécanisme semble connaître des vagues ou des séries qui lui donnent une visibilité plus ou moins forte selon les époques. On a cité quelques reformations qui ont en commun de se dérouler entre 2004 et 2010, zone de très forte activité “reformatoire”. Il semble que la période 2023-2026 soit également propice à cela, pouvant être considérée comme le troisième grand temps historique de reformation à des fins nostalgiques après un premier épisode dans les années 90.
En 2025 en effet, l’actualité est particulièrement marquée par des retours venus du passé parmi lesquels on peut citer Massive Attack (pas d’album depuis 15 ans et une rumeur tenace qui accompagne la tournée actuelle), My Bloody Valentine, groupe officiellement revenu en 2007 mais qui n’a pas signé d’album depuis 2013, le comeback discographique de The Cure l’an dernier et bien entendu le triple carton réalisé ou annoncé (là encore à des échelles différentes) par Pulp, Stereolab et bientôt Oasis.
Dans le premier cas, on assiste à un étrange phénomène qui conjugue une reformation qui fait long feu (et qu’on peut dater à 2010, avec une résurgence en 2022) et une forme de comeback artistique doublée d’un retour de flamme (un engouement disproportionné des médias et du public… embarqué par la vague rétro-nostalgique) qui s’incarne dans un nouvel album, More, porté aux nues par la grande majorité de la critique. La reformation d’abord commerciale s’étoffe ou se prolonge dans une nouvelle entreprise artistique, accueillie avec un enthousiasme démesuré et dont on s’étonnerait presque.
A une échelle moins grande, Stereolab, séparé en 2009, se reforme dix ans plus tard puis signe en 2025 Instant Holograms On Metal Film, album qui reçoit un concert de louanges et semble immédiatement dépasser en renommée et en emphase l’accueil réservé ordinairement aux travaux du groupe. Les concerts sont des triomphes et on a le sentiment que le groupe n’a jamais fait autant l’unanimité.
Ce double accueil laisse penser que par delà les mécanismes eux-mêmes, nous sommes en 2025 dans un temps où les reformations sont vues et perçues favorablement. Ce mécanisme vaut pour le début des vagues, tel qu’on avait pu l’observer en 2004-2005. Il s’essouffle lorsque la vague se tarit, période durant laquelle on considère que les groupes qui se reforment sont moins “frais”, de seconde zone ou animés par des intentions moins pures et saines que ceux qui amorcent la vague. Gageons qu’on aura un engouement similaire pour Gene en octobre et un phénomène encore plus vaste et mondial pour le grand retour de Oasis qui se prépare en coulisses et aux yeux du monde. Il y a quelques jours un enregistrement de la voix (moyennement affûtée) de Liam Gallagher a fuité des premières répétitions du groupe en vue de son retour à Wembley fin juillet. Le retour sera-t-il à la hauteur ? Oasis peut-il encore se relever de décennies de séparation ? Les premières parties annoncées (Cast, Richard Ashcroft de The Verve) bénéficieront-elles du même mouvement de sympathie envers les comebacks que les frères Gallagher ? Cette avalanche de mouvements régressifs va-t-elle au contraire déboucher sur le lynchage du groupe ? Et ainsi marquer un nouveau retournement de cycle ?
L’époque est tellement favorable à cela que les deux premières dates de la tournée de Morrissey (artiste qu’on peut considérer comme doublement séparé… des Smiths mais aussi de sa première incarnation triomphale en solo, tant il a “changé” culturellement ou politiquement aux yeux des médias) ont enclenché un mouvement inédit en sa faveur en Angleterre (il a joué en Irlande et en Écosse pour le moment) depuis la périphérie…. semblant mettre fin à un ostracisme d’une dizaine d’années qui le rendait infréquentable. Morrissey ne mérite-t-il pas des louanges comme les autres ? Son racisme supposé ne serait-il pas honorable et une manifestation noble de la liberté de penser ? Quelle étrangeté ? Reformez vous qu’ils disaient et vous y verrez moins/plus clair.
Pour conclure, on peut tirer de ce petit panorama trois choses :
- les reformations et comebacks ont toujours existé. Ils ne sont pas nécessairement plus nombreux ou plus fameux sur une période donnée…
- mais connaissent des vagues de réception qui tantôt les valorisent, tantôt les dénigrent…
- … selon l’endroit ou le moment où on se trouve, les reformations auront un écho plus ou moins favorables et un fond de sauce bienveillant qui pourraient vous donner le sentiment qu’elles sont cools ou de bonnes choses pour la musique et vous même.
Mais il ne faut pas s’y tromper : elles sont toutes ou presque des erreurs monumentales et ne doivent pas abuser de votre goût et votre nostalgie. Il n’y a que la nouveauté qui vaille. Tout le reste n’est bon qu’à repousser le sentiment de proximité qu’on entretient à notre… propre mort. On peut ainsi y céder mais en toute connaissance de cause et en sachant qu’on est dans l’erreur.
Note de l’auteur : contrairement aux apparences cette chanson ne parle pas des reformations mais plus précisément de l’éclatement en cours de tournée du groupe The Fall.


Quels oublis dommageables de groupes autrement plus mythiques que Oasis : Pink Floyd, The Stooges et le Velvet Underground !
Le titre l’indique : la période c’est les années 90.
Merci Richard. Oui on s’est concentrés ici sur les reformations les plus récentes mais on aurait pu effectivement évoquer celle du Velvet Underground qui est, par exemple, décrite de manière très amusante et horrible par Luke Haines dans son dernier bouquin. Il évoque sa surprise et son traumatisme quand il les a découverts si… mauvais, et si différents de l’idée qu’il s’en était faite alors. Pour les Stooges, je serais un peu plus nuancé. Quant au Pink Floyd… joker.