Pale Blue Eyes / Souvenirs
[Full Time Hobby / [Pias]]

8.1 Note de l'auteur
8.1

Pale Blue Eyes - SouvenirsQuelle époque, mes aïeux ! Difficile de donner un son particulier à celle-ci. Jamais autant de musique n’a émané du chaudron d’internet, marmite infatigable recyclant tout, hybridant sous une nouvelle parure tous les genres. Et lorsqu’un groupe d’indie pop a la folie de se nommer Pale Blue Eyes, force est de constater que nous vivons toujours sur un bout de la glorieuse triade 70’s / 80’s / 90’s, décennies n’en voulant plus de finir.

Comme tout groupe fraîchement arrivé en kiosques, il se harnache aux bretelles de ses illustres aînés. Alors oui : dès Globe, nous voilà en terres connues. On patouille dans les eaux électriques d’O.M.D. – d’autant plus quand le nom d’album met au pluriel l’un de ses titres les plus connus – et on sentirait presque le souffle incantatoire, fluet mais puissant, des Simple Minds, la gifle avec élan d’Echo & The Bunnymen. Par touches éparses, une multitude de Souvenirs s’invite au perron de nos portes pour se rappeler à nous.

Souviens-toi de tes printemps

Au début de la pourtant lumineuse Little GemJoy Division nous passe le bonjour avec une gratte sombre et terreuse, venue consoler un chagrin. Puis sur Honeybear, après s’être pris une ondée synthétique, à attendre sous un abri-bus, c’est le fantôme de Just Like Heaven qui pointe son museau. The Cure : ça vous dit? Bon, c’est sûr : Pale Blue Eyes et nous – peu importe nos âges à tous – on a gardé les cochons ensemble. Et pas que… Les souvenances filent à toute berzingue comme les paysages sur une fenêtre de voiture. C’est une force de vie qui traverse ce premier album.

Les voitures brûlent la langue de bitume : direction les pâturages de la vie ; ces petites clairières de la mémoire qui remontent ; cette musique qui nous élance vers ciel et terres. C’est décidément toujours cette envie d’épouser le monde, de tendre vers l’omniscience, qui nous démange avec une telle musique, comme si ces accords de guitares ayant traversé la nuit des temps (soit… les années 1980) nous ravivaient de l’exacte même manière, sous un habillage différent. Célérité des corps et puissance juvénile, accentuées, sur Globe, par des voix féminines, pleines d’encouragement et de promesses : il y a des permanences qui ne trompent pas. Vues et revues dans des rêves qui (dé)filent à l’anglaise.

On y parle évasions et égarements mentaux. Simples et oubliables, les paroles passent comme une lettre à la poste. La guitare fumée et routière de TV Flickers, elle, nous parle ; elle vient d’une année de somnolence, une année où on a traînassé au bord des champs et bas-côtés. Peut-être même une mauvaise année qu’on a seulement vécue avant de naître, comme ces trentenaires du groupe. Et de ces mauvais souvenirs, il en sort une aimable douleur, le mauvais se transformant en agréable, donc, comme si la mémoire, en plus de filtrer, adoucissait les choses. Star Vehicle et ses claviers scintillent comme une flaque de lumières. Toute la magie se loge dans les synthés, Lucy Board le sait trop bien.

On évoquait la création musicale continue et inflationniste depuis, disons, l’avènement du web et du streaming, et de plate-formes comme Bandcamp / Soundcloud. Celle-ci a ses effets pervers sur nos affects et goûts, se sentant obliger d’user de subterfuges nous flattant l’oreille, afin de nous tirer à la ligne. Difficile de nous soutirer quelques secondes d’attention de nos jours. Avertis, à l’écoute de la voix effilée du chanteur Matt Board, tout nous portait alors à nous méfier d’un énième groupe au bel organe aigüe comme il en fleurit tant dans l’indie pop rock, commercial ou non (Two Door Club Cinema, Tame Impala, etc.). Mais il faut accueillir celles qui nous renversent le ciel et nous allume l’âme de couleurs, et c’est le cas de Pale Blue Eyes.

Les années fugitives

Autre risque que le groupe évite adroitement : celui de se transformer en magasin à souvenirs, bric-à-brac de la mémoire. Le groupe ne cache aucunement ses références ; mais celles-ci, contrairement à ce que le double emprunt – celle du nom du groupe, issu de Velvet Underground, puis du titre d’album, emprunt à Orchestral Manoeuvres in the Dark – laissait dangereusement présager, n’écrasent aucunement leur musique. Décidément, rien ne disparaît en musique ; tout se transforme.

Notre lecteur régulier retrouvera donc aisément ses repères, tant cette scène new new wave / indie pop révisionne ces trois décennies. Pale Blue Eyes n’est pas dans l’épate, mais dans l’épure. Champagne nous sert une coupe de shoegaze un brin mousseuse. Ne nous faites pas dire que c’est révolutionnaire : on a l’impression d’avoir entendu cela jadis, mais aussi pas plus tard qu’hier (chez des groupes comme Githead ou les excellents Dry Cleaning) sous des combinaisons autres. Mais celle-ci est honorable, et à raison, plastronne fièrement. À l’écoute de Sing It Like We Used, c’est tout comme si la musique n’avait été édifiée que pour les routes et ses champs les bordant. Les ondes de New Order ont probablement parasité sa compo’, sans pour autant que le groupe ose en voler sa noirceur. À défaut, on collera sa voix au rougeoiement de The Stone Roses, chaleur plus adéquate à une époque s’enquérant de bien-être. À l’orée des bois, les campanules bougent au vent de Chelsea, un Chelsea très Sigur Rós. S’inscrivant dans la coutume rock britannique, tout comme le récent La Martyre des français BastonSouvenirs dessine une cartographie mémorielle de la campagne anglaise et de lieux révérés.

Tout n’est pas de tenue constante. Le groupe campe sur ses acquis et ses amours. Certaines pistes pourraient éliminer leur matière grasse (Champagne, Chelsea), d’autres (Under Northern Sky) ne sont qu’un bêta bis repetita. On se chagrine que toutes les chansons fassent du vol plané, et que même les meilleures n’arrivent à s’enraciner dans nos têtes, trop marquées par ce même pétillant les indifférenciant. Mais la conduite est souple et ingénieuse. Supervisée, mais bonne. Et à l’écoute de Dr. Pong, on pense follement au brillant Nation of Language, ce groupe perpétuateur tout aussi jeune et qui, mieux encore, réussit à rebrousser nos cours du temps sans les punaiser à un point particulier de la frise. Souvenirs est un album hygiénique et sain pour la santé. Il nous en faut. Il s’agira donc de lâcher les amarres lors du second album, pour trouver sa puissance.

Tracklist
01. Globe
02. TV Flickers
03. Little Gem
04. Dr. Pong
05. Honeybear
06. Star Vehicle
07. Champagne
08. Sing It Like We Used
09. Under Northern Sky
10. Chelsea
Liens

Lire aussi :
Pale Blue Eyes / This House

Recevez chaque vendredi à 18h un résumé de tous les articles publiés dans la semaine.

En vous abonnant vous acceptez notre Politique de confidentialité.

More from Dorian Fernandes
Pet Shop Boys / Lost
[X2 Recordings]
C’est avec la minutie d’un horloger suisse que les Pet Shop Boys nous...
Lire la suite
Leave a comment

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *