Et si, comme tout le monde le dit, l’événement musical de ce mois d’octobre n’était pas…. le retour de Kendji Girac, réapparu lors du prime de The Voice Kids, pour entonner un Si Seulement, moyennement convaincant ? Et si l’événement scénique du moment était tout simplement le retour sur scène de l’un des meilleurs chanteurs de pop rock français… au festival Outsiders, le 16 octobre : Erik Arnaud.
L’homme est discret, mystérieux. On le dit directeur d’une école maternelle dans le centre de la France. Des témoins assurent l’avoir entendu chanter dans des bars ou dans sa salle de bains mais beaucoup ne sont pas certains qu’il se soit agi de lui. Son apparence physique est sujette à caution. Il se raconte que le concert du 16 octobre accueillera quelques nouveaux morceaux et peut-être moins de reprises que les derniers sets. Erik Arnaud en aurait marre qu’on lui réclame du Balavoine. Sans doute a-t-il raison.
A notre sollicitation promotionnelle d’une vidéo ou d’un petit clip Tik Tok répondant à la question : « Qu’est-ce qu’un outsider ? », Erik Arnaud nous a renvoyé, avec une immense bonne volonté, une citation un peu sibylline du groupe bordelais Camera Silens :
« Quelle force pour batailler ?
Quelle voix pour rassembler ?
Chaque branleur est sûr de soi
Chacun pour soi en avant ! »
C’est peut-être ça un outsider: un branleur sûr de lui qui se pose trop de questions !, a-t-il ponctué sa réponse. C’était assez assez bien dit, assez bien chanté aussi.
Erik Arnaud donc : pas certain que le nom soit familier aux plus jeunes mais il est probable que les quadras/quinquas se souviennent du moment où ce jeune homme originaire du Nord de la France (il a 50 ans), est apparu sur la jeune scène indépendante française. Erik Arnaud, c’est un premier disque en 1998 justement, intitulé ©1998Amerik, paru sur le label Aliénor Records et distribué par les très en vue PIAS, qui fait forte impression. Une Route du Rock. Une Black Session. Et une renommée qui croit pour culminer avec la sortie en 2002 d’un premier disque majeur, Comment Je vis, chez Labels. On reviendra sur ce disque mais Erik Arnaud y impose son songwriting mordant, élégant, ses mélodies très beatlesienne mais rock, son ironie et ce que beaucoup considèreront comme du cynisme. Avec le recul, son intelligence, sa lucidité sont formidables, de même que la manière qu’il a à 26 ans d’évoquer l’âge, la nostalgie qui déjà le gagne et cette idée (très rapidement qui le contamine) que sa carrière sera… si pas un four, un truc qui n’occupera pas toute la place dans sa vie. En 2002, le disque est produit par Monte Vallier, ancien de Swell. Erik Arnaud participe à plusieurs projets (avec Florent Marchet notamment qu’il côtoie depuis ses débuts) mais ne revient au long format… qu’en 2010, avec un album (que l’on peut considérer comme son meilleur, l’Armure, sur le label Monopsone. Le disque reprend les choses là où Erik Arnaud les avait laissées : au sommet d’une écriture à la française nourrie au rock anglo-saxon, splendide et éclairée. Les textes sont merveilleux, travaillés comme de petits poèmes intimes où Erik Arnaud multiplie les points de vue, époustoufle par sa vision décalée des choses, et toujours cette ironie désabusée sur l’existence, la sienne et par extension la nôtre. Son morceau Cheval fait forte impression et anticipe, bien avant que cela soit à la mode, la thématique des violences faites aux femmes. Nous vieillirons ensemble fait pleurer de bonheur. Le disque est l’un des meilleurs sortis cette année là, l’un des jalons qualitatifs de la pop française… mais les temps ont changé. 2010 n’est plus l’année des ventes record, des labels triomphants. L’accueil est dithyrambique, mais ce n’est pas un ras de marée. Les sorties du bonhomme sont rares mais toutes exceptionnelles : une reprise chez Murat, en hommage, un dernier EP de reprises mais pas que chez Monopsone qui fermera boutique peu après, une apparition sur scène… en 2017… et puis une longue éclipse qui lui vaut parfois le surnom d’Imam caché de la pop française.
Aussi le retour d’Erik Arnaud est-il en soi un événement. Erik Arnaud a hérité du mauvais esprit et de la fraîcheur adolescente du Miossec des débuts. Il a la grâce poétique d’un Dominique A. Mais il joue aussi de la guitare comme Paul McCartney. C’est aujourd’hui un quinquagénaire séduisant et qui n’a rien perdu de sa vivacité (manquerait plus que ça). Histoire de vous rappeler combien il est doué, on s’est permis une petite balade dans son travail.
1. Comment je vis – le tube Morrisséen d’Erik Arnaud
2. Cheval – l’un des grands titres sur les violences faites aux femmes. Immense chanson célébrée dans une de nos chansons culte.
3. American Psycho – le seul texte qui ne soit pas composé par Erik Arnaud sur son premier album était signé Brett Easton Ellis : une lecture glaçante du roman, superbe.
4. Tous les cris les SOS : la reprise majeure du tube de Daniel Balavoine, mieux qu’Eicher, Zaz, la Star Ac, Larusso et peut-être que Balavoine lui-même.
5. Fort Alamo – De Murat à Arnaud, il y a quelques vers. Mais le même don d’observation, le même regard clinique et parfois cruel (et tendre) sur l’expérience humaine
6. Nous sommes – les plus belles fesses du rock indé français en couverture de l’Armure, le dernier album de l’artiste, et une chanson magnifique, Nous sommes, désolée, soupirante
7. Ma chanson française – se construire contre tous les autres. Un morceau évoquait Sardou, aussi. Outsider, à l’extérieur du système, tout contre, Erik Arnaud chante la fougue, l’envie de renverser la table, l’alternative à la soupe.
8. Golden Homme – Parmi les derniers titres « nouveaux », en 2016, ce Golden Homme donnait son titre à un EP où l’on retrouvait aussi une reprise de Broken Social Scene. Sans faute.
9. Rocco – l’humour d’Erik Arnaud, le talent de Mc Cartney pour la ritournelle accrocheuse, le refrain qui refuse la facilité mais la contient. Rocco, évidemment, en référence à…
10. Nous vieillirons ensemble… ce qu’on se souhaitait alors avec Erik Arnaud, romantisme, fatigue. Il faudrait qu’il vienne nous voir plus souvent pour ça. Le 16 octobre lance peut-être le compte à rebours d’un disque 4, attendu par de nombreux adeptes.
Crédit photo : Stéphane Merveille