Sopoorific / Echoes Of The Lost Souls
[BLWBCK]

8.5 Note de l'auteur
8.5

Sopoorific - Echoes Of The Lost SoulsBon, qu’on vous rassure : on n’a pas prévu de transformer SBO en recueil de chroniques de musique électro-bizarroïde, ni en antre à citrouilles. Mais avouez que la période est propice à la sortie d’un album de Sopoorific, artiste issu de l’écurie la plus excitante de dark électro, Grande Rousse Disques, qui n’a plus donné signe de vie depuis bientôt deux ans. Sur ce label, Auras Around Humans (2021) puis Waterfall Cave (2022) avaient constitué des chocs (personnels) dans le paysage si monocorde de l’ambient. Coup de chance, Alison Flora sort Echoes Of The Souls, quatrième album, sur le label toulousain BLWBCK. Et on confesse s’être exclusivement reporté sur ses albums, depuis qu’on a découvert qu’elle peignait ses tableaux… avec du sang.

Sommeil déchu

Juste avant d’écouter l’album (qu’on a téléchargé sur notre téléphone), on a planifié un séjour (inévitable) dans le Berry, afin de renouveler la concession familiale pour la Toussaint. La dernière fois qu’on y était passé, c’était pour le décès de maman, qui avait suivi papa en 2009. Déjà à l’époque, c’était pas fameux ; aujourd’hui, c’est pire encore. Églises et châteaux s’effondrent de solitude. On est aussi proche des premières minutes du Fog que d’un John Carpenter compositeur qui se débriderait, et les quelques locaux du bourg semblent (en)terrés chez eux. À cette heure, seul reste un kebab ouvert ; la barbaque y semble d’une couleur étonnement rosée. Le babil des boutiquiers (mais en sont-ce vraiment, des gens ?), insaisissable, et la suspecte dentition de sourires fangeux, nous laissent sur un trouble. L’alcoolisme fœtal de la région, vraisemblablement…

Sur la route, Twilight Sleep sonne comme un mauvais rêveL’album est taillé pour illustrer la lecture de n’importe quelle nouvelle de H. P. Lovecraft, et si on continue à penser à lui, on risque de s’y faire interner, connaissant notre habituel manque de Poe. Les grilles de la bâtisse, isolée, sont prises dans le maillage d’herbes méchantes. Dans un coin de paysage, entre des érables crochues, le vieux cimetière s’offre impassible, en surplomb. Il fait nuit, et l’électricité n’est plus. Le théâtre des ombres a pris ses quartiers dans notre chambre d’enfance, et on se drape en elles. Puis bien plus tard, sur Zos Kia, un appel irrésistible du fond des âges nous relève.

Il est assez fascinant de remarquer cette capacité qu’a le cerveau à interpréter un craquèlement incompréhensible dans une forêt noire par des images plus atroces encore. La musique de Sopoorific nous fait cet effet. Pas à pas, nous descendons les marches de notre mémoire, et comme avec Megaviolet, on a la sensation d’entendre certaines harmonies synthétiques et primitives entendues chez Depeche Mode ou 808 State, à qui on aurait jeté un drap de fantôme. Notre Peregrination est lente, comme la démarche des Zombis dépenaillés de Fulci. En pénétrant le soubassement que nous interdisait papa (l’écriteau “ne jamais ouvrir !!!” est toujours là), nous levons enfin la fosse septique du refoulé.

Médié-mal

Alors que le moins bon Ephemeral and Unseen sondait les miasmes de l’espace, Sopoorific revient sous terre, cryptes et cachots constituant des lieux d’inspiration plus fertiles. Des tunnels de sombreur, nous entendons ce qui s’apparente à des plaintes, celles-ci s’accentuant avec l’Echoes Of The Souls. Cette musique eût pu hanter les souterrains du récent documentaire de Jean-Baptiste Thoret, The Neon People, qu’elle lui aurait donné un tout autre cachet, plus gothique, et point totalement hors sujet. Sur la gauche est écrit en graffiti “Salem (8 666 km)” (mais est-ce bien un “e” ? ou plutôt … un “a” ?) ; “Pandémonium (2 km)“, à droite, le nom d’une boîte qu’on fréquentait à une toute autre époque… on prend avec assurance cette direction. La dark ambient a ceci de supérieur à l’ambient plus “générique” disons, diurne : celle-ci astreint son auteur à un travail d’atmosphère, lui-même marqué d’un héritage à la fois culturel (les auteurs évoqués, la pop culture, disons) et, plus encore, historique et sacré (le creuset chrétien, les croyances païennes limitrophes) qu’il doit réinterpréter. Les tunnels deviennent boyaux, une lueur rougeâtre sortant d’étranges persiennes dans la roche spongieuse, et on est comme saisi d’une curiosité irréfragable. Jamais nous n’avons été si courageux, et jamais nous n’aurions dû l’être, à la vue de ce que nous vîmes des soupiraux infernaux…

La musique de Sopoorific dépasse l’entendement. Elle est l’entr’aperçu d’une Rivière de Corps décharnés, plus minérale que celle-ci, magma de viscères donnés en Sacrifice Seul à des créatures écœurantes, chimères de beauté blasphématoire, sorcières tentantes et insupportablement affreuses, trop éloignées de celles que dépeignait naïvement Mona Chollet. On pense alors au dernier album de Vimala Pons, mais d’une froideur chtonienne ici, ainsi qu’à Fever Ray, en plus scrofuleux encore. Devant de telles vision et écoute impossibles, les mots déclarent forfait. On hésite entre les peintures de Füssli, Barker et Bosch, et peut-être est-ce pire encore… Mais l’horreur connait-elle des limites ? Je ne le crois. Nous reprenons notre chemin de croix sur Ruins of Self et, au fond de la carrière gît, dans un calme inviolé, ce qui semble un cénotaphe. Un mausolée immémorial, mais à la façade béante, avec en son fond un miroir, psyché d’où apparaît doucement une chose à notre approche, entre amas grumeleux encore bipède et vestiges d’un visage dévasté évoquant d’abord un vague air de famille, puis une ressemblance frappante, figeante, mais nous n’avons le temps de réagir, car nous n’oublierons jamais la dernière parole qui nous saisit, dans un hurlement de glace :

“FUYEZ CETTE MUSIQUE, PAUVRE FOU !” 

Tracklist
01. Twilight Sleep
02. The Call Of Eon
03. Zos Kia
04. Isolated Tower
05. Peregrination
06. Ruins Of Self
07. Rising
08. Children Of The Future Age
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