Stephen Pastel & Gavin Thomson / This is Memorial Device
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9.5 Note de l'auteur
9.5

Stephen Pastel & Gavin Thomson - This is Memorial DeviceLes plus anciens (ou érudits) se rappelleront probablement de Memorial Device, ce groupe post-punk de la banlieue de Glasgow qui, à défaut de conquérir Londres à la toute fin des années 70, fit s’enflammer l’intégralité des social clubs de l’est de la métropole écossaise avec ses micro-tubes tel que… tel que… Oh, wait wait wait. Mais de quoi parle-t-on au juste ? De Memorial Device, le plus grand groupe d’Airdrie dont personne n’a jamais entendu parler et pour cause, il n’existe que dans l’imagination de l’auteur David Keenan qui a fait de This Is Memorial Device, par son histoire, sa précision, sa dérision et son émotion l’un des plus beaux livres sur le rock britannique de ces dernières années. David Keenan y capte l’essence de cet après punk où au « no future » succédait le « everything is impossible » alors même que les déjà populaires Simple Minds prouvaient et clamaient le contraire en 1982 sur Promised You A Miracle. A Airdrie, si rien ne semblait possible en théorie, ça valait quand même le coup d’essayer d’autant qu’à quelques miles de là, chez les proches voisins de Bellshill, on voyait naitre, grandir ensemble et s’envoler à peu près au même moment Duglas T. Stewart, Norman Blake, Sean Dickson et la plupart de leurs comparses. Mais pour un groupe devenu ultra populaire, pour une bande de musiciens devenus complétement cultes, combien de combos montés dans l’urgence du moment, deux cassettes démos, quatre concerts et un split ? Combien de centaines, de milliers d’histoires non documentées et non documentables laissant alors le champ parfaitement libre à l’auteur qui, en étant 100% fictionnel, ne sera jamais aussi proche de la vérité de ce moment.

Au pays de la culture rock et indé, une telle œuvre ne pouvait pas se contenter des rayonnages de librairie mais ça n’est pour une fois ni au cinéma ni sur Netflix (en tout cas pas pour le moment) mais au théâtre qu’elle a été adaptée par Graham Eatough, mis en musique sur les planches et à présent sur disque par Stephen Pastel et Gavin Thomson. This Is Memorial Device, le livre et à présent la bande originale de la pièce de théâtre. Dit comme ça, le projet conceptuel sonne quelque peu intello mais pour qui considère le plus sérieusement du monde Glasgow comme le véritable épicentre du rock indépendant de ces pratiquement 50 dernières années (on vous épargne les preuves, la liste est trop longue mais bien connue des fidèles de Sun Burns Out), l’histoire et sa déclinaison musicale prennent vite des allures de joyaux. Gavin Thomson, discret musicien et ingénieur du son de la scène écossaise nous pardonnera : c’est bien évidemment la présence de Stephen McRobbie des Pastels qui attire l’attention et marque de son empreinte la trop courte trentaine de minute que dure ce disque. Il faut dire que, reclus derrière le comptoir de Monorail, le célèbre disquaire de Glasgow ou encore très actif dans la scène artistique locale, l’homme est depuis longtemps maintenant du genre à distiller ses nouvelles productions au compte-goutte et Slow Summits, le dernier album du groupe date déjà d’il y a 14 ans. Date, ou datait ?

C’est que This Is Memorial Device est indéniablement marqué sur sceau des Pastels, de sa très belle pochette signée comme toujours par Annabelle « Aggi » Wright à la participation de musiciens habituels membres du groupe, à commencer bien entendu par l’indispensable Katrina Mitchell. Bien sûr, s’agissant d’une BO, il ne faut pas s’attendre à croiser de nombreuses ritournelles pop mais en vérité, cela fait des années que le groupe s’est, au gré de rencontres artistiques et de collaborations pointues éloigné de l’image anorak de ses débuts pour aborder une musique plus ambitieuse, plus aérée par un vent de liberté jazz en particulier tout en conservant son identité absolument unique, à base de bien faire avec pas grand-chose ; et ici, on est servi. Si la basse fidélité des premiers enregistrements a disparu depuis belle lurette, Stephen Pastel et Gavin Thomson perpétuent cette idée que l’on peut composer de très belles choses en faisant une vraie économie de moyens. Après tout, il s’agit d’une BO et il n’était probablement pas question que la musique, des chansons, prennent le pas sur la mise en scène et le jeu.

On y retrouve donc des extraits parlés, avec ce formidable accent écossais, populaire et chantant, notamment celui de l’acteur Paul Higgins qui joue dans la pièce le rôle de Ross Raymond, ce fan absolu et érudit de la scène d’Airdrie dont les pas moins de 26 interviews compilées retracent l’histoire de Memorial Device. On y trouve aussi quelques moments un peu arty, larsens bouillonnants, clicks de magnéto 4-pistes et autres incongruités techniques qui œuvrent comme un musée sonore, témoins lo-fi d’une époque où tout ceci n’avait aucune importance. Parfaitement dans l’esprit du livre de David Keenan, Stephen Pastel et Gavin Thomson laissent par moment planer le doute et s’amusent à mettre un pied de chaque côté de la frontière entre fiction et réalité quand ils disent avoir exhumé sur We Have Sex et Square Peg In A Black Hole deux titres enregistrés sur cassette en 1981 par les obscurs The Unexpensive Superstars et l’énigmatique John McCorkindale qui à eux seuls mettent en échec Wikipedia, Discogs et tout l’internet de l’univers. Et pourtant, véritable document d’archive post-punk, allant jusqu’au badge d’époque retrouvé au fin fond d’une boite à chaussure, le morceau est en réalité un titre enregistré à l’adolescence par Stephen McRobbie et son ami « Corky » alors que l’idée même de former les Pastels commençait à germer. Brancher les instruments, jouer et à fond et voir ce qu’il en ressort : les deux ados ne le savaient pas encore mais ils faisaient déjà partie de cette scène naissante du côté d’Airdrie avec Memorial Device et tous les autres.

Si We Have Sex en particulier a le charme de l’ancien et propose finalement une jolie illustration de ce qu’aurait pu être le son de Memorial Device, c’est dans un tout autre univers bien plus captivant que nous entraine l’ensemble des autres titres de la BO ; un univers d’une beauté et d’une simplicité époustouflantes. A plusieurs reprises, cette musique atteint des sommets d’expressivité et de charge émotionnelle, servant d’écrin aux spoken words qui finissent par de se taire pour laisser les pièces divaguer. Des chœurs angéliques (Introduction To Why I Did It), un piano sous delay (Chinese Moon), une guitare véritablement caressée, une rythmique conduite au tom basse, quelques cuivres en apesanteur (l’incroyable bijou Footsteps In The Snow) : tous ces morceaux fortement évocateurs convoquent souvenirs et nostalgie en faisant vibrer les cordes sensibles. Comment, à l’écoute du plus pastelien de tous ces titres, le très beau The Most Beautiful House In Airdrie dont l’écoute s’accompagne du joli livret de photos inclus dans le disque, ne pas avoir envie la prochaine fois de faire un détour vers cette cité dortoir ? Une bourgade de banlieue sans charme apparent mais à laquelle on s’attache au grès de l’histoire que l’on s’y construit, la rendant, comme chaque endroit finalement, singulière et attachante. Quand il sort un peu des sentiers qu’il bat habituellement, s’essayant sur I Started Painting Landscapes à un post-rock devant plus aux voisins de Mogwai, le duo se montre absolument convainquant dans cette montée qui s’entame sur un spoken word a capella de l’actrice Julie Wilson Nimmo, s’enchaine sur une belle nappe aérienne et se termine en un intense quoique définitivement trop court épisode de tension fantomatique. Enfin, quand arrive le moment de se quitter, c’est sur une marche cuivrée que s’achève l’épopée de Memorial Device, l’air un peu funèbre, pesant et mélancolique, comme pour symboliser la fin des aspirations à devenir le Iggy Pop local, mais de laquelle finissent par s’élever des bois légers rappelant que la vie est aussi faite de successions de projets qui naissent, vivent et doivent s’achever sans regrets.

This Is Memorial Device est un grand disque de peu. C’est tout le talent de Stephen Pastel et Gavin Thomson, des musiciens qui les accompagnent et des acteurs qui prêtent leur voix que de créer dans un remarquable équilibre une œuvre qui, par sa condition accompagnatrice, ne peut être centrale mais finit tout de même par se suffire à elle-même. Si la BO est souvent un genre traité à part, elle apparait peut-être de plus en plus souvent comme un support traité avec un infini respect et une grande créativité. A l’image de l’imposant Big Bend d’Explosions In The Sky il y a trois ans qui faisait d’un documentaire naturaliste la source d’inspiration de leur plus grand disque à ce jour, This Is Memorial Device, le disque, puise dans cette histoire singulière et universelle ce qui, à défaut de pouvoir fondamentalement prétendre être le nouvel album des Pastels, donne le cap d’une direction dans laquelle on se plairait à voir le groupe aller, si possible sans trop tarder.

Tracklist
01. Introduction To Why I Did It
02. We Have Sex
03. Occluded By Chemistry
04. The Most Beautiful House in Airdrie
05. Square Peg In A Black Hole
06. I Started Painting Landscapes
07. What Is A Memorial Device?
08. Chinese Moon
09. Footsteps In The Snow
10. Light Out For Forever
11. The Morning Of The Executioners
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2 Comments

    1. says: Olivier

      Définitivement recommandable! Il est assez facilement trouvable en VO et une traduction française existe aussi chez l’éditeur Buchet Chastel, tout simplement intitulée « Memorial Device ».

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