Styrofoam / The Lost Album (Previously Unreleased Recordings 2000-2001)
[Autoproduit]

8.4 Note de l'auteur
8.4

Styrofoam - The Lost AlbumTout le monde voit bien à quoi se réfère l’expression « faire les fonds de tiroirs » quand il s’agit de musique. D’un côté, la vision hautement mercantile des albums post-mortem ou des rééditions à n’en plus finir que l’on justifie par un nouveau master et un disque bonus rempli d’inédits ou presque récupérés ça et là. Et puis de l’autre, il y a les histoires plus singulières. On se souviendra par exemple du très fréquentable Lost Songs de The Declining Winter, album achevé, disparu corps et âme dans un crash informatique et sauvé des bits quelques années plus tard par un petit génie de l’informatique comme il est toujours bon d’en avoir un dans son carnet d’adresses. Mais pour le producteur belge Arne Van Petegem qui sort ces jours-ci sous son avatar le plus connu, Styrofoam, son Lost Album à lui, pas la peine d’aller ressusciter un vieux disque dur de l’époque, pour mémoire (vive), plus petit qu’une clé USB basique de nos jours. C’est véritablement au fond d’un carton poussiéreux qu’il a mis la main sur un vieux CD-r (on se rappellera aussi au passage qu’on leur prédisait une durée de vie n’excédant pas 5 à 10 ans) sur lequel étaient gravés les masters de ce qui aurait dû être son troisième album.

Petit retour en arrière, seconde partie des années 1990, les indie-poppeux et indie-rockeux s’ennuient ferme. Qu’ils soient musiciens, producteurs, apprentis managers de labels, suiveurs ou simples fans, beaucoup ont l’impression de tourner un peu en rond notamment depuis que la Brit Pop a tout balayé sur son passage, envoyant en pré-retraite un paquet d’idoles du tournant des années 1980/1990 qui ne manqueront d’ailleurs pas de revenir se venger un peu plus tard, la quarantaine bien tassée. Émerge alors un courant électronique qui va vite s’avérer passionnant, qui reprend les codes indés (celui du petit label à 45 tours notamment) en leur infligeant une cure d’austérité salvatrice : un type tout seul (rarement une femme, ça, ça ne change pas…), un laptop, un clavier, quelques bonnes influences associées à d’aussi bonnes idées et le tour sera joué.

Après un bref premier projet électro à la toute fin des années 1990, Tin Foil Star, Arne Van Petegem est repéré par le tout jeune et déjà fringant label berlinois Morr Music et sort en 2000 son premier album, The Point Misser qu’il enchainera dès l’année suivante avec A Short Album About Murder, deux classiques du genre. La période est bouillonnante, le label enchaine les sorties au rythme effréné de quasiment un album par mois et Styrofoam se met au diapason en multipliant les concerts à travers le monde et présentant dès 2001 son troisième disque. Et pourtant, d’un commun accord, Arne Van Petegem et Morr Music vont convenir du fait que ces enregistrements ne correspondent finalement pas tout à fait l’idée qu’ils se font de ce troisième album et vont tout simplement les mettre de côté. Ne seront sauvés des eaux que quelques titres retravaillés pour des singles (To Simply Lie Here And Breathe et Oh, But You Are, Totally en 2002 sur la division single du label, A Number Of Small Things, Bad Natured et Break The Floor sur un mini CD 3″, EP2, que sort le label californien Rocket Racer la même année) ou éparpillés sur d’obscures compilations.

The Lost Album (Previously Unreleased Recordings 2000-2001) n’est donc bien évidemment pas le 3ème album de Styrofoam (ce titre revenant pour la postérité à I’m What’s There To Show That Something’s Missing sorti en 2003), ni un album posthume (artistiquement s’entend, bien évidemment), encore moins une compilation sans trop de cohérence. On pourrait y voir comme une pointe de nostalgie d’une époque révolue si le musicien avait stoppé net sa carrière mais celles et ceux qui suivent assidûment Sun Burns Out savent que c’est loin d’être le cas et que mise à part une petite pause dans les années 2010, Styrofoam n’a jamais cessé de montrer que cette electronica n’était pas qu’une mode passagère. Non, c’est un document, une archive exhumée comme pour mieux comprendre le parcours du musicien et comme il le dit joliment lui-même, « la plupart de ces chansons témoignent de chemins créatifs explorés mais non poursuivis. » C’est joli, oui, mais pas forcément juste. S’il est vrai que la suite des aventures du Styrofoam d’alors l’avait vu emprunter des chemins assez différents, multipliant les collaborations, associant son goût pour le breakbeat avec des artistes hip hop comme Fat Jon et même tentant une ambitieuse carrière US sur le gros label Nettwerk avec deux albums très dansants à la production sur-vitaminée, ses enregistrements les plus récents, We Can Never Go Home et plus encore le très beau Political Songs en 2020 marquaient justement un retour aux sources de cette musique à la fois mélodique et évocatrice, tout autant cérébrale que physique, parfois dure et hermétique, agaçante même pour les oreilles les moins averties chiffonnées par cette abondance de sons perçus comme parasite alors qu’ils sont en réalité des habillages complexes travaillés des heures durant, d’entrelacs de câbles en réglages au millimètre de centaines de potards.

Pointe alors, au fil des écoutes de cet album d’une grosse heure, comme une petite musique qui prend petit à petit son essor : et si ce Lost Album était en réalité, mieux encore qu’un best of, la meilleure des cartes de visite pour entrer dans l’univers de Styrofoam ? Entre l’electronica un peu sobre et janséniste des débuts, souvent mélancolique, parfois triste et toute son évolution notamment autour du travail sur les rythmiques et les textures sonores ; d’un chant monocorde et timide, enfoui sous des couches instrumentales à l’introduction des scansions rappées (I Will Try If You Need It, On The Streets), The Lost Album est en réalité une exploration intime de l’ensemble des éléments qui ont un jour constitué et identifient toujours clairement la signature sonore Styrofoam. L’album perdu n’a donc rien d’anecdotique et si les fans du musicien devraient sans peine y trouver leur compte, son petit prix digital ne peut qu’inciter les plus curieux et aventureux à jeter une oreille sur ce qui fut l’un des grands mouvements mineurs de la musique moderne que s’attachent à faire vivre, en dehors de tout effet de mode, Arne Van Petegem et quelques autres irréductibles geeks merveilleux.

Tracklist
01. I Built Your House
02. Bad Natured (Album Vversion)
03. Overseas
04. Real Life Fake Out
05. I Will Try If You Need It
06. There Is No Easy Way
07. Oh But You Are, Totally (Album Version)
08. On The Streets
09. Zero Plus One Equals Nothing More
10. Degree Zero
11. Break The Floor (Album Version)
12. To Simply Lie Here And Breathe (Album Version)
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