Wombo / Sarakiniko à l’Antipode (Rennes, septembre 2024)

S’il est encore besoin de le rappeler, Rennes offre l’assurance, depuis de longues années, d’être l’une des villes française ou l’actualité musicale se fait au jour le jour. A côté des structures historiques, la ville compte, pour notre plus grand plaisir, un tissu associatif dense. Parmi ces amateurs passionnés, têtes chercheuses et défricheurs du meilleur gout, l’équipe de Des pies Chicaillent s’est maintenant assurée une très belle place au palmarès des incontournables. Chacune de leurs dates est de celles dont on guette avec impatience les annonces. Capables de nous offrir l’an dernier une ouverture de saison avec Jad Fair et ses Half Japanese, d’inviter Deerhoof dans la mythique salle de la Cité, de nous permettre de découvrir sur scène Myriam Gendron, ou encore, parmi tant d’autres réjouissances, de nous servir sur un même plateau Rozi Plain, Rachael Dadd et Laetitia Sheriff. Autant dire que l’équipe « des pies » a su, depuis maintenant 8 ans, développer une programmation aussi avisée qu’exigeante, naviguant entre valeurs sures et découvertes, dans des horizons musicaux teintés indie pop, slow core et kraut. Pas en reste d’un défi l’association se plait, au fil de ses événements, à nous promener dans tout Rennes, de salles en bar, de cafés concerts en lieux plus insolites.

En ce début de saison 2024-2025, la proposition était cette fois de nous amener à l’Antipode, en version club, pour découvrir sur scène Sarakiniko et Wombo. Autant dire dans l’un des lieux les plus confortable de la capitale bretonne. Sous ses allures austère, le voile de béton règne en maitre dans cette architecture contemporaine dépouillée, la nouvelle Antipode offre un club doté d’une vaste scène, qui s’avère même un peu trop vaste pour de petites formations, mais surtout une coursive directement adossée au bar et une salle en plan légèrement incliné, ce qui offre des points de vues particulièrement confortables. Tous les ingrédients étaient donc réunis pour une soirée réussie.

Sarakiniko à l'Antipode 2024

Sarakiniko à l’Antipode (Rennes) septembre 2024

Sarakiniko, le premier des deux trios de la soirée, bien que bretons, adopte le nom d’une plage grecque mais ne nous emmène pas pour autant en croisière sous des cieux ensoleillés. L’attitude est autant à l’introspection qu’à la projection vers les lointains. Les climats tendus sont à la grisaille, à l’austérité et à la désillusion. Le cap pris est celui des guitares flanger, des climats éthérés, d’une voix étouffée, presque vaporeuse emportée par des lignes de basses puissantes et appuyées sur des tempos pesants. Les références sont alors évidentes. L’auditeur navigue dans des eaux troubles mais bien cartographiées. Virement de cap aux abords des récifs tumultueux de la new wave, un bord au près serré dans les eaux légèrement démontées de la shoegaze. Il n’y a cependant pas matière à mettre l’embarcation à la cape pour échapper au gros temps. Tout reste sous contrôle, et même très adroitement maitrisé. On regrettera peut-être une facture légèrement sentencieuse et parfois légèrement trop affectée, mais les atmosphères recherchées ne l’imposent telles pas ? Pour ce qui est de l’appellation Mud Pop, que convoque Yann Canevet, le leader et guitariste-chanteur, elle ne s’impose pas d’évidence, rien de boueux, ni de vaseux ou encore de bourbeux dans cette musique et cette prestation. Au contraire, il y a du tourment tempétueux, de la tension inquiète mais aucune trace de la lourdeur pesante et embarrassante d’une boue collante, bien au contraire.

Sarakiniko à l'Antipode (Rennes) septembre 2024

Wombo à l’Antipode (Rennes) septembre 2024

En tête d’affiche, le trio Wombo nous arrive de Louisville, il est composé de Sydney Chadwick à la basse et au chant, de Cameron Lowe à la guitare et de Joel Taylor à la batterie. Avec deux albums et un nouveau mini LP, qui regroupe les deux EP Slab et Keesh Mountain, ils nous invitent à gouter un rock lunaire qui joue de l’écartèlement, de la suspension, du déséquilibre instable, de la tension et du relâchement. Dans une posture un peu figée, plantée dans une paire de botte très montante qui accentue sa haute silhouette filiforme, Sydney Chadwick enchaine les lignes de basses caracolantes, en dialogue continuel avec la guitare nerveuse, aux riffs acérés et déconstruits de Cameron Lowe. Le look de skater de ce dernier s’accorde d’ailleurs parfaitement avec les contorsions qu’il fait subir au manche de sa stratocaster. Cet échafaudage, aussi élaboré que déstabilisant, s’appuie sur une batterie précise et économique. La voix de Chadwick, nonchalante, trainante, parfois presque éteinte, tantôt à la limite du décrochage, puis soudainement prise d’envolées planantes, tisse des petits brulots d’une virulence empressée, qui font écho à des ballades laconique et épurée qui tendent même occasionnellement vers la parenthèse folk. Autant dire que le spectre embrassé est ici aussi vaste que parfaitement maitrisé. Impossible de plaquer un style ou une référence précise sur ces miniatures à la fois délicates et inquiétantes. Tout rapprochement, suite à un examen poussé, fond comme neige au soleil. Eux-mêmes jouent malicieusement de réponses paradoxales pour définir leur musique quand ils choisissent les antonymes : chaotique, organisée, triste et gaie. On sentirait parfois s’affirmer certaines influences No wave, s’imposer les outrances ravageuses de Deerhoof ou de Blonde Redhead, quand c’est, au contraire, la retenue et l’économie des Young Marle Giants ou de King Hannah qui se fraye le passage, tout en laissant la place à des petites formes fragiles et imprévisibles évoquant fugacement Cryptacize ou par moment l’ombre d’une Vashti Bunyan ou d’une Kate Bush semble venir poser son aura sur des comptines chargées d’une inquiétante étrangeté. Autant dire que Wombo est difficile voire impossible à catégoriser et que leurs productions qui jouent à merveille de délicates imperfections ne peuvent que susciter l’intérêt et déjà l’attachement. On sort de ce concert ravi par la découverte et curieux de poser une oreille attentive au mini LP, qui s’avère tout à fait à la hauteur des espérances. Gardons donc un œil attentif sur les prochaines productions en provenance de Louisville, en attendant l’une des meilleures manières de découvrir ce trio est peut-être la session “Slab » EP in full live from Wolfe Ave, disponible sur les réseaux.

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