Xavier Ridel est jeune, très jeune. Et pourtant, il compose une musique donnant la sensation de posséder au moins trois vécus. Sous le nom Waterwalls (aka WWS //), le compositeur façonne des sonorités mutantes, difficilement classables. Cold wave ? Parfois, oui, mais en catimini. Folk ? Dans l’ossature, peut-être. Pop ? En tendant bien l’oreille, probablement.
Découvert avec l’album Silent Skrik (début 2015), Xavier, à l’époque, s’apparentait comme l’une des plus belles signatures du label Unknown Pleasures Records. Le nouvel album de Waterwalls, l’ambitieux et très maussade a.b.y.s.s, de son côté, est autoproduit. Une rupture avec l’industrie que Xavier explique ainsi : « J’ai un problème avec les étiquettes. Du coup, un des soucis principaux d’Unknown Pleasures Records était de me coller, tout de suite, un post-it « cold wave » sur le front ; et je voulais m’extraire de cela. C’est un chouette label, je n’aime pas l’ensemble de leur catalogue mais il y a parfois de bonnes choses qui en sortent. Simplement, je crois que ma décision résidait surtout dans la volonté de rester totalement libre. Sans compter que je suis de moins en moins fan du système de communication lié à la musique et aux labels, aujourd’hui. Chacun doit bien vendre ses disques, donc je comprends le processus. Mais de mon coté je n’ai rien à vendre. Je fais des chansons et les poste quand ça me prend, cela ne va pas plus loin. Ce qui m’a par exemple conduit, un jour de ras-le-bol, à supprimer la page Facebook de WWS // sur un coup de tête. »
Cette intégrité, ce refus de la norme, expliquerait-il la sensation de profonde solitude se dégageant d’a.b.y.s.s ? « Oui, l’idée de solitude est vachement présente dessus, comme dans Silent Skrik d’ailleurs. D’abord, sans doute parce que je suis solitaire par nature et que j’aime bien me balader tout seul dans la rue. Mais là c’est différent, et pour des tas de raisons. Dans mon premier album, je disais en quelque sorte au revoir à l’enfance, alors que dans a.b.y.s.s, j’ai découvert le monde extérieur. Vingt-deux ans, je crois que c’est un peu l’âge où tu te retrouves confronté à la réalité : tu quittes tes parents et t’installes seul dans ton petit appart, tu te rends compte qu’il va falloir t’intégrer au système pour gagner ta croute… Et puis il y a beaucoup moins d’amour dans ce disque que sur le précédent. Je ne vais pas m’étendre là-dessus mais les évènements qui ont eu lieu à Paris et dans le monde en général ont eu pas mal d’impact sur mon écriture. C’est un truc qui, avec du recul, se ressent beaucoup dans les paroles. » Plus complexe que Silent Skrik, ce nouvel album, par cette solitude revendiquée, donne à l’architecture sonore de Waterwalls des allures de gouffre intime, de complaintes post-punk lessivées, à l’abandon. a.b.y.s.s est un disque inquiétant car (tel son auteur ?) il ne semble guère trouver de place légitime dans l’époque et la musique contemporaines. Une perception trop aiguë de l’existence condamne à l’observation résignée. Xavier : « Ce sont de sentiments intimes, clairement. Comme la musique, les paroles doivent venir toutes seules, ou ne doivent pas venir. Ça limite sans doute pas mal le champ des possibles, parce que du coup je reste centré sur un « moi je, moi je » ; mais tant pis. Le principal, de mon point de vue, est que cela reste sincère. Et qui sait, peut-être que c’est en creusant dans les tréfonds de soi-même qu’on touche à l’universel ? Ou peut-être pas. Je n’en sais trop rien, mais pour l’instant je suis incapable de faire autrement. Pour le coté maussade, je ne saurais trop comment l’expliquer. Peut-être que, en lien avec ce que je disais sur le monde extérieur, c’est un disque de résignation, qui pue les trottoirs mouillés. »
Même si Xavier, depuis toujours, compose et produit seul chez lui, a.b.y.s.s, en absence de label, possède un mastering étrangement bas (« Le master est très léger, oui, car je suis assez nul dans ce domaine ») et ne sort qu’en digital. Qu’importe, finalement : cette musique provient d’une nécessité, et ses petites lacunes sonores ne font qu’authentifier toute l’intégrité de la démarche artistique. De même, l’enchevêtrement des strates ainsi que l’impossibilité de définir chaque titre (sinon, à défaut, sous le terme de « musique électronique »), voilà qui pardonnent aisément un mastering pas toujours en accord avec la texture des compositions. Reste la question de l’avenir. Waterwalls compte-t-il en rester au format digital ? « Je n’exclu pas la possibilité de sortir à nouveau mes disques en format physique un jour, explique Xavier, mais ce serait en très peu d’exemplaires, et il faudra attendre que je sois riche. Ce qui risque bien de ne pas arriver avant un bon bout de temps ! Et puis pour l’instant je me sens bien ainsi. Je peux modifier mes albums à l’envi, poster ce que je veux quand je veux… Concernant les prochaines sorties, je vais sans doute balancer un EP dans les prochaines semaines, enfin quand ça me prendra. En fait, à vrai dire, pas mal de choses attendent patiemment dans mon iTunes. Et je renoue avec l’idée de groupe. Cela ne va pas tarder à paraitre, mais ce sera sous un autre nom. »
Loin de l’egotrip, loin d’une quelconque volonté de briller sous les sunlights (il en aurait pourtant la légitimité), Xavier Ridel prône l’effacement et l’absence. Troublant mais compréhensible : aujourd’hui, dans la musique française dite « underground », l’autoproduction est un havre paisible qui s’accepte stoïquement. Moins vendre, ne jamais parader en haut de l’affiche ? Who cares ? L’important consiste à sortir des disques librement, selon l’inspiration et le besoin. Tant pis pour la coke et les groupies.
Et quels sont les derniers coups de cœur musicaux de Xavier ? « Un tas de trucs assez différents. Il y a très peu de disques de rock qui m’ont convaincu ces derniers temps excepté le dernier EP de Rendez-vous ou l’album de Chevalrex, même si lui se trouve plus du côté de la pop. Donc je me suis beaucoup tourné vers la trap, notamment Hyacinthe et les DFHDGB, PNL (oui oui), ou Triplego. Et puis, en ce moment, je replonge dans mes disques des Undertones et des Only Ones, je redécouvre les compilations du label Trojan et le Pacing & Nepenthe de Julianna Barwick ; et je suis pas mal obsédé par la nightfall collection de M-O-R-S-E. Ah, et Motorama, aussi ! Voilà, c’est un joli bordel, en somme. »