Le précédent album du The Wedding Present, Valentina, avait marqué une légère chute de forme au sein de la bande à Gedge après un retour orchestré en 2005 qui avait donné, avec Take Foutain et El Rey, deux albums somptueux. On attendait donc avec un brin d’appréhension ce Going Going, mis en oeuvre via une plateforme de financement participatif et enveloppé dans un concept tendance : accompagner chaque chanson de cet album conceptuel (une errance, une promenade américaine, captée par Gedge et sa petite amie manageuse vidéaste et communicante du groupe Jessica Mc Millan) par une vidéo, diffuser et jouer l’ensemble en séquence lors d’une série de concerts en nombre limité. On a eu tort de douter. Des films disques ou disques films qui sortent ces temps-ci : entre Beyoncé, Franck Ocean et Nick Cave, l’initiative du Wedding Present est de loin la plus réussie, la plus pertinente et celle qui donne à son interprète le plus formidable coup de fouet. Disons le tout net : Going, Going est une réussite totale. On n’a pas encore vu le live qui ne passera chez nous que dans quelques mois mais on a pu regarder les films tiré du coffret 3 CD (l’audio, le DVD et un CD de prises alternatives pas mal fichu) et le moins qu’on puisse dire, c’est que cela fonctionne remarquablement bien à double titre, parce que le concept est bon et parce que la musique qui en découle est excellente.
On ne s’amusera pas à dire que ce disque (dont on se contentera tout du long de commenter les pistes audio) est le meilleur du groupe ou pas mais c’est en 2016 le 9ème disque du Wedding et probablement l’un de ses plus intéressants musicalement. Ce qui est nouveau ici, c’est que le concept a conduit Gedge et les siens à rénover complètement leur approche du LP et à explorer de nouveaux territoires musicaux. Le disque émarge à 20 plages dont une moitié paraît avoir été composée par une version rajeunie de Mogwai ayant troqué ses synthés pour des guitares vintage. Le disque démarre ainsi par une série de morceaux fabuleux, qui ressemblent au mariage de Dakota Suite et des Ecossais. Les plages sont cinématiques, électriques et en même temps d’une grande sophistication. Les quatre premiers morceaux sont formidables, conduits par une batterie qui prend le pas sur les guitares et fait régner sur l’ensemble un climat crépusculaire et post-apocalyptique à la fois fascinant et étouffant. Kitery, Greenland et Marblehead sont impeccables, si bien qu’on est tout surpris en plage 6 de retrouver le Wedding Present tel qu’on l’avait laissé. Tout au long du disque, on sera ainsi bousculés dans nos habitudes, lorsque s’intercalent entre les chansons « traditionnelles » du groupe ces interludes indispensables. Ainsi enveloppées, soulignées et encadrées, les chansons psychogéographiques du Wedding Present gagnent en emphase, en impact et en solennité. Les compositions (Bear, 56, broken bow) sont solides et font partie des bons crus de David Gedge. Les balades au tempo un peu lent sur chant de chèvre (Gedge sonne parfois comme une version clandé de Julien Clerc) se taillent la part du lion, ce qui constitue peut-être la seule faiblesse du disque. Les thèmes sont constants : il part, elle part, on se déçoit. Elle aime, il désaime, on se dévoie. L’amour est comme toujours au cœur du jeu, finissant, usé ou renaissant. Rachel est imparable, romantique à souhait. Gedge a 18 ans. Son premier amour pointe le bout du nez. Le deuxième, le troisième. Avec une bonne teinture corbeau, l’illusion est parfaite. Le Wedding est le dernier des grands groupes romantiques. Le chanteur ment comme un arracheur de dents : « In familiar surroundings, it’s comforting when some things just don’t change« . Changer de maison serait-il plus difficile finalement que de changer de nana ?
La bonne vieille blague qui voulait que le Wedding interprète encore et toujours la même chanson a vécu. Gedge n’a pas changé mais le groupe est en mouvement, en révolution jusqu’au cœur de son fond de commerce. Sur l’épatant Secretary, le groupe se déforme sous l’effort, essaie de rattraper les rythmes supersoniques sur lesquels il galopait jadis et aboutit à une nouvelle forme. Le titre est secoué, ébranlé, dissonant, comme si le savoir-faire avait explosé sous l’effet de l’accélération. Pour un groupe formé en 1985, l’effort est admirable, la remise en cause radicale. Entre les plages instrumentales qui s’enchaînent et les titres magnifiques comme le final, Santa Monica, le lieu de résidence du chanteur et de sa compagne, où se termine l’épopée, Going, Going est un album bouleversant et très abouti. L’intelligence de Gedge, qui a su à de nombreuses reprises tout au long de sa carrière innover et surprendre (rappelez vous de la période des singles mensuels ou celle ayant abouti à lancer les Ukrainians), a encore frappé, réussissant un coup fumeux : remettre au centre du jeu pop un groupe sur lequel beaucoup ne comptaient plus depuis longtemps.
La caravane passera près de chez vous comme chaque année, à Dijon, Lyon et Clermont (fin octobre), puis à Bordeaux, Rennes et Paris début novembre. Comme chaque année, mais encore un peu plus cette fois, on ne perdra pas son temps à y aller voir.
02. Greenland
03. Marblehead
04. Sprague
05. Two Bridges
06. Little Silver
07. Bear
08. Secretary
09. Birdsnest
10. Kill Devil Hills
11. Bells
12. 56
13. Fordland
14. Emporia
15. Broken Bow
16. Lead
17. Ten Sleep
18. Wales
19. Rachel
20. Santa Monica