L’histoire du rock indépendant est une succession de petites victoires et de grandes défaites. Le nombre des groupes qui sont tombés au champ/chant d’honneur avant d’avoir existé ou révélé leur potentiel est aussi grand, dit-on, que celui des étoiles dans le ciel. Les groupes apparaissent, s’enthousiasment, signent quelques beaux morceaux et meurent, séparés, explosés, abîmés par le manque de succès avant d’être réaspirés par la vie. Le line up change. L’orientation artistique évolue et les hommes se dispersent, remballant chacun leur part de rêve dans la musette. Herissonic est un groupe qui a évolué pendant quatre années au Mans et à sa périphérie. Bâti autour d’un chanteur compositeur professeur de lettres qui lui donne sa saveur poétique, le groupe a annoncé sa séparation de manière discrète sur les réseaux sociaux quelques semaines après la sortie de ce qui constituera à jamais son second album. Les groupes amateurs se reforment rarement.
Prozopop est ainsi le témoignage posthume de la réunion de quelques hommes (Benoît Daudibon, Cebirth, Manu K et Hugues Henry), assemblés pour jouer de la musique. L’album vaut beaucoup mieux que sa pochette. Prozopop ne respire pas les grands moyens (la production est correcte néanmoins) mais ne manque pas de qualités. L’album démarre avec Avant la Nuit, un morceau magnifique et au texte inspiré et prophétique : « Nous ne marcherons plus ensemble/ Sur les remparts de nos vanités/ Je partirai où bon me semble/ Des étoiles noires dans mes poches crevées/ Avant que la nuit nous efface/ Avant que la nuit nous refasse ». Le chant d’Hugues Henry n’est pas toujours maîtrisé mais il accède le plus souvent ici à une justesse et à une émotion qui lui sont propres. Les claviers et synthés qui portaient les précédentes compositions du groupe travaillent sur celles-ci plus en enluminures et cela confère à l’ensemble un sentiment de mélancolie. Le son vintage est efficace et sert à merveille des mélodies simples et élégantes. Nos personnages dégage une belle tendresse synth pop, tout à fait adaptée au texte de Hugues Henry. Le chanteur abandonne régulièrement sa zone de confort pour quelques audaces vocales. Son registre s’élargit et permet à Herissonic de proposer une musique plus riche et variée que par le passé. Certaines compositions peinent à décoller (le très moyen 13 novembre) mais les plus réussies sont réellement épatantes qu’elles soient pop comme l’impeccable Le trou bleu, synth pop comme le beau Mauvais sang, ou résolument intimistes comme le splendide Nu l’écho. Ce morceau est une pure merveille de composition et de simplicité.
Le talent d’Henry, dont la poésie mêle un certain sens de l’engagement et des images souvent bien trouvées autour des éléments naturels, s’exprime également dans l’ample mouvement du Grand dehors, la chanson qui clôt l’album. Avec ces 5 minutes et 43 secondes, il est bien qu’Herissonic referme ses œuvres enregistrées avec un titre aussi puissant et compact. Le groupe, organisé partout ailleurs autour du phrasé de son chanteur et du sens porté par le texte, y apparaît plus soudé et libre que jamais. Les guitares prennent enfin l’espace pour s’ébrouer et donner un impact rock et une amplitude qui ont pu manquer par le passé. Avec Mauvais Sang, la Violence ou encore Tout le monde, Herissonic réalise son modeste projet d’un rock français joueur et en même temps incisif, un rock littéraire et en même temps assez primitif. Prozopop est à cet égard, avec ses faiblesses, un chant du cygne admirable.
On imagine que d’ici quelques années il y aura bien quelques personnes pour se souvenir de ce groupe, de ses passages sur scène et de son allure abattue et fière à la fois. C’est la loi du sport : on se souvient tout en oubliant. Le temps passe et il ne reste que les souvenirs. Herissonic aura fait son petit chemin de bord de route avant de glisser dans le bas-côté. On pourra dire d’eux qu’ils portaient bien leur nom. Pattes roses, truffe tendre et détermination. Herissonic Youth, comme disaient les farceurs. L’histoire du rock indépendant tient sur la succession de ces petites histoires nobles. Elles finissent mal en général. C’est ça qui est bien.