L’amour n’est plus dans le pré mais à la Ferme… électrique

Une fois de plus les grands médias nous mentent, car oui, l’amour, celui de la musique en tout cas, et de bonne facture de surcroît, n’est pas à chercher ou à trouver dans un pré ou un quelconque enclos à bestiaux, mais dans une ferme… à Tournan-en-Brie, une ferme électrique qui plus est !

Depuis quelques années maintenant, à de longues encablures du périphérique parisien, une ferme tournanaise, ou plus précisément une grange et une étable, deviennent le théâtre, parfois le chaudron, d’une expérience sonore à tendance indépendantiste qui ravit son lot de curieux et de mélomanes plus intéressés par les chemins de traverse que les autoroutes de la musique.

Si ce succès – mérité – finira bien un jour par poser problème en termes de surface habitable et de cohabitation festivalière, La Ferme électrique fête cette année la dixième édition de son festival et fera quelques efforts supplémentaires pour marquer le coup.

« Pour la dixième, on va marquer le coup en agençant différemment, en élargissant un peu pour accueillir plus de monde », dit Guillaume Gilles l’un des co-fondateurs de l’événement,

« On ne prenait pas tout l’espace de la cour de ferme et là on prend un peu plus », ajoute, François Nemeta, autre membre de la petite liste de co-fondateurs du festival.

La Ferme Electrique 2019

« Quand je dis plus… 50 personnes pas plus ! précise Guillaume. On veut que ça reste à taille humaine, que l’on puisse se poser sur un canapé. »

Et là, petit scoop Sun Burns Out arraché sous la torture… du coup, une petite scène supplémentaire !!

« On a construit une identité de festival »

« On a trouvé la bonne formule à la troisième année : deux soirées 20-25 groupes, souligne François. En terme de fréquentation, ça a grossi mais on plafonne, car on ne peut pas pousser indéfiniment les murs de la ferme. On a essayé de grossir sans trop grossir , en restant indépendants le plus possible, en essayant de contrôler le truc sans que ça devienne ingérable… et en gardant l’atmosphère DIY et fête.

« Maintenant on fait quasi complets les deux soirées sans vraiment faire beaucoup de pub. Le bouche à oreille est la meilleure des pubs.

« On a construit une identité de festival quoi ! On veut que les gens trouvent ça trop cool de venir jusqu’à Tournan… »

La Ferme électrique a su effectivement au fil des années asseoir sa réputation de festival goûtu, exigeant, un brin extrême dans certains de ses choix de programmation mais avec un accueil et une bonne ambiance qui fait avaler toutes les pilules, sans amertume… un équilibre savant qui invite à l’ouverture d’esprit à des groupes ou styles de musique sur lesquels, dans d’autres conditions, certains spectateurs feraient un blocage…

« La fierté sur le festival c’est d’avoir pu poser le projet et que les groupes se soient adaptés, et au projet, et financièrement, s’enorgueillit à juste titre Guillaume, programmateur en chef. Arriver à sensibiliser les groupes, les tourneurs et labels pour qu’ils soient partie prenante, sans attente de retour financier et de les voir repartir avec la banane et l’envie de revenir !

« Quand je pense la prog, je la pense de façon hétérogène, sur plein de critères… Pas mon groupe préféré ! Mais aussi réussir à satisfaire tout ou partie de l’équipe. Alors oui, ça génère un peu de frustration quand j’ai des retours mitigeant, avoue celui dont l’implication locale remonte à une petite vingtaine d’année en tant que professeur de musique actuelles au conservatoire Couperin installé dans le bâtiment principal de la Ferme du Plateau, puisque c’est son vrai nom.

« On continue à jouer avec nos groupes, à accueillir des groupes du secteur géographique. Ca c’était plus sur les premières éditions, mais il y a toujours des groupes du département, des groupes de découverte, des découvertes qui obligent à prendre le Noctilien un mardi, des groupes qui ont déjà roulé un peu leur bosse, toujours de niche, mais pas de tête de gondole », dit-il faussement modeste, refusant de fait de citer son ‘plus gros coup’, sa ‘plus belle prise’.

La Ferme électrique - Guitare« Donner des noms, ça serait presque du pif ; ça serait le premier qui me vienne en tête. Ca ne serait pas tres représentatif, évacue-t-il, se laissant néanmoins aller à illustrer la démarche avec l’anecdote d’un premier concert de Bruit Noirdans un club de Châtelet avec… « en arrière-plan, la galère de rentrer à pas d’heure, de courir après le métro pour prendre le dernier train, et de rater le-dit train… »

Foin de bottage en touche, il est facile de l’aider… au rayon des belles claques, découvertes et confirmations… subjectivement, of course, … Massicot, Snapped Ankles, Pogo Car Crash Control, Les Agamemnonz, Juniore, Steeple Remove, Oiseaux-Tempête et Le Réveil des Tropiques, Headwar, The Dalai Lama Rama Fa Fa Fa, … dont certains ont fait un peu plus parler d’eux depuis, d’autres moins, et pourtant !

Et cette année encore, quelques belles pièces du boucher et autres petites Madeleines de Proust qui font leur retour… avec donc notamment la soft-math-pop de Canari dans la langue de Corneille, la noisy brit-pop d’EggS, le post-machin truc d’Enablers, le groovy stoner déstructuré et métallisé de The Psychotic Monks, le cinématique toc du Sacre du tympan de Fred Pallem, Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pirès pour un plaisir renouvelé, la Jungle sonore des Belges du même nom, le kraut électronique de Zombie Zombie et quelques autres petites attentes dont on attendra de voir la prestation pour se faire un avis plus circonstancié.

« On a eu envie de faire un festival dans la campagne pour pouvoir faire du bruit »

De fait, quel plaisir que de voir un festival qui remet la prescription et la passion au cœur de ses choix artistiques, proposant en quelque sorte ‘juste’ au spectateur de faire confiance à ces « fermiers » d’un autre genre et d’être prêt à passer un bon moment* loin de l’agitation citadine et de ces festivals de transhumance boboïsante à quelques stations de métro.

« Je comprends que les Parisiens se sentent ‘à la campagne’ mais nous on ne se sent pas si campagnards, ironise Guillaume.

« A un moment l’idée a été d’élargir les pratiques du conservatoire. On voulait fuir les auditions de fin d’année. On a préféré les mettre en ‘conditions de concerts’. On a récupéré l’asso Fortunella qu’on utilisait pour notre groupe. Au fil du temps on a rameuté les jeunes du coin, acheté de matériel…

« On est la Ferme électrique parce que on a un projet culturel à l’année soutenu par la ville et le département. C’est ce projet de développement et d’actions culturelles sur la ville qui donnent l’opportunité d’organiser le festival. Il n’y aurait pas de festival sans le reste du boulot sur le terrain.

« Quand est arrivée la première, on a pu s’appuyer sur ce qu’on avait construit via le conservatoire et l’asso Fortunella. On avait un parc de matos qui nous permettait d’être autonome et on était entouré de bénévoles désireux d’aider et de developper le truc. »

« A l’époque, j’étais président de l’asso Fortunella, explique François. On s’est allié avec l’asso La Ferme de la Justice et le collectif GRT pour monter ce projet. On organisait chacun des concerts dans nos coins respectifs et on a eu envie de faire un festival dans la campagne pour pouvoir faire du bruit. »

Guillaume étaye. « Il y a un développement des activités périrurales. Notre petit coin de Seine-et-Marne se développe, ce n’est pas propre au festival… A côté de ça on un avantage… une qualité de vie ! »

« On a des salles de répète dans la ferme qui existait déjà comme centre culturel mais au début on cherchait un lieu, ajoute François. On a commencé par demander à un pote qui avait des entrepôts dans la campagne pas loin… et puis on voulait monter une salle ‘musiques actuelles’ à l’époque.

« Donc on a fait un dossier avec la ville, le département, un architecte, etc…

Et Guillaume de préciser pour sa part, … « Tu pars dans la logique et les méandres institutionnels… travailler avec le département qui te renvoie vers la Région et les experts de ce genre de mise en œuvre… et ils sont arrivés avec un projet ‘usine à gaz’ !

« On voulait 400. 000 euros et on s’est retrouvé face à un projet à 1 millions d’euros !

« Le cote institutionnel s’est retourné contre nous avec un projet complètement surdimensionné… et retour à la case départ ! Il a fallu repartir de zero, « on se démerde entre nous »… on prend l’étable d’assaut et on fait notre truc »

« C’est là qu’on s’est dit « Faisons nous-mêmes notre salle de concert », ajoute François. La mairie nous a prêté l’étable et la grange de la ferme et on a fait une première édition du festival en investissant le lieu de manière créative… sur la base du DIY.

« Ça a grossi d’année en année, sans changer d’état d’esprit »

« … Et ça a plu à tout le monde ! Du coup on a annexé le lieu et on a dit qu’on y ferait un festival une fois par an . La mairie a dit OK et nous a aidé à mettre de l’électricité, de l’eau, etc… dans ces lieux qui n’étaient pas prévus pour au départ. C’est ce qu’on appelle ‘La prise d’assaut de la Ferme’. »

« Oui, la première année (…) l’idée était de s’approprier l’étable, de faire une teuf entre groupes de potes pour jouer ailleurs que dans des caves ou des festivals où tu joues sur des grosses scènes énormes devant personne ou dans la salle des fêtes… évoque Guillaume.

« La mairie a compris qu’on était de bonne intention. Le terrain était favorable. J’étais impliqué dans l’enseignement de la musique, notre place était ancrée et ça a aidé à avoir un peu de crédit et un peu de soutien.

« La 3e année on s’est retrouvés avec le constat qu’on s’impliquait avec beaucoup d’énergie et on s’est dit ‘Tout ce boulot pour si peu de spectateurs ?!’ J’ai tenté un coup avec des groupes avec un peu plus de notoriété, un peu plus aguicheurs, pour que les gens trouvent ça cool.

« Ca a grossi d’année en année, sans changer d’état d’esprit, sans changer le fonctionnement. D’un point de vue législatif si on accueillait plus de monde, on ne pourrait pas avoir la même logique de déco », plaide-t-il.

De fait, d’aucun festival se plaindrait de tomber le même week-end que les Eurockéennes, la grand raoût d’un magasin à quatre lettre en Place de grève ou je ne sais quel Beauregard ou Main Square, … mais au final c’est plutôt un luxe, une bénédiction que d’échapper aux banales transhumances boboïsantes autour de food trucks et de parcs à la verdure calibrée.

Ce qu’on aimera au final à la Ferme électrique, c’est aussi l’accueil d’une équipe de passionnés de musique, dont la passion est contagieuse et apporte une bouffée anti-anxiogène… mais surtout une organisation DIY inspire le plus respect et qui compte rester ce qu’elle est… dixit François : « une teuf pour les festivaliers et pour nous mêmes… et pour se faire plaisir avant tout !

« On est tous bénévoles. S’impliquer demande du temps, de l’énergie… ça coûte des points de vie !

« Si on devait s’investir plus on arriverait à saturation, si c’est ton job c’est different », concède Guillaume.

« Tant que l’esprit de départ est intact et que l’envie est toujours là, on continue ! dit pour sa part François. C’est énormément de boulot , pour énormément de plaisir en retour, donc ça va ! »

Les deux « fermiers » ferment dès lors toute perspective de grossissement de l’événement comme ça a pu être le cas pour le Hop Pop Hop à Orléans ou les Rockomotives à Vendôme.

« Orléans ou Vendôme ont certainement un budget 10 fois supérieur , ce sont des grosses villes par rapport à nous, plaide François. On fait un concert en terrasse gratuit le samedi matin du festival. Ca anime le centre ville et ça permet aux habitants qui ne viennent pas au festival d’en profiter aussi un peu. Il y a toujours une ambiance géniale à ce moment-là. »

« Si tu passes dans une jauge de plus de 1000 spectateurs et c’est le préfet qui doit valider et non plus le maire, explique Guillaume. Et on se retrouverait à organiser un festival comme il en existe plein. »

« Si on changeait de lieu on remettrait tout à zéro pour un projet différent, dit pour sa part François. Je ne dis pas que c’est impossible, mais nous à Tournan-en-Brie, on a un seul lieu possible… donc on l’utilise à fond. »La Ferme électrique - plafond de la grange

« L’idée c’est que les spectateurs ne soient pas frustrés. Faire rentrer plus de monde ce serait frustrer les gens de ne pas voir les concerts. C’est aussi que tout le monde se connaisse dans l’équipe. Il y a cette notion de partage, d’échange de compétences entre des bénévoles de 15 à 70 ans, de profil différents, de milieux sociaux culturels très divers.

« En plus d’un échange humain de qualité, on veut rester fidèles à l’idée initiale de se faire une ‘grosse boom’.

« Si au début c’était en mode égoïste pour faire un événement dans les conditions qu’on aurait été aimé avoir en étant invités… aujourd’hui la vapeur s’est inversée. La politique tarifaire permet d’amortir nos frais et d’être à peu près sûrs de pouvoir repartir sur l’événement l’année d’après et d’acheter un peu de sono.

« Ca se veut solidaire, ouvert, et compte tenu de notre jauge on se retrouve sur une opération pas rentable mais pas déficitaire pour autant. »

« A chaque fin d’édition on est sur les rotules et on se dit qu’on arrête… tente de dire avec conviction François, avant d’ajouter…

« … et puis les retours des gens sont tellement incroyables qu’en septembre on commence à réfléchir à l’année d’après »

« Chaque année, on ne sait jamais si on en fera une de plus, abonde Guillaume. Il faut se laisser le goût de laisser l’envie de revenir. Chaque année on se pose la question : ‘Vous êtes chauds les gars ? On y retourne ?’

« On se la pose pas trop tôt mais quand arrive septembre-octobre. »

Le reste de l’année, cette joyeuse bande fermiers électriques, ne s’interdit pas et ne s’empêche de continuer à apporter un peu d’eau au moulin de ses convictions « périrurales sonores » et continue mine de rien à cultiver son pré carré avec ses salles de répétition, des concerts réguliers toute l’année dans des styles éclectiques et pour « les musiciens amateurs de la Brie », racontent François et Guillaume.

« On fait un concert par mois. Y’a des amateurs et aussi des groupes qui viennent enregistrer chez nous, raconte François. L’étable est occupée toute l’année ! »

La grange est décrite elle plus comme un gigantesque débarras qu’ils vident à l’approche du festival… avant de lui donner ce supplément d’âme puisqu’elle se retrouve emballée à coups de rouleaux de cellophane géants.

« Plutôt que militant, on est plus hédoniste. »

La Ferme électrique

Donc entre cette véritable œuvre à la Cristo, les toilettes hommes façon Mad Max et les habituels ateliers de sérigraphie et de pressage de disque pour ainsi dire à la main… le festival a fait plus que de se trouver une identité propre… le tout pour à peine plus de trente euros les deux jours, 27 groupes et quelque… cette une volonté de rester à tailler humaine, au sens premier du terme, autant que du porte-feuille…

Guillaume conclue donc avec cette empreinte philosophique qui définirait bien la Ferme électrique, refusant l’idée de « mettre de l’argent entre les gens ».

« C’est la faute des très gros (festivals) qui mettent de l’argent entre les gens et détournent les choses. On veut que les gens adhèrent à ça, dit-il au sujet de l’état d’esprit du festival.

« Voir des gens capables de payer 150 balles pour voir des concerts avec de la bouillie qui sort de la sono, comme ils vont au McDo, et s’empiffrer d’une bouffe tout aussi dégueulasse…

« Je préfère croire à ce qu’on fait plutôt que de ne pas y croire. J’aime voir que les nouvelles générations ont à coeur de rendre les choses plus accessibles, avec plus de valeur.

« Nous, on le fait parce qu’on a envie de le faire, pas par philanthropie mais par passion, en espérant que la passion suscite d’autres passions dont celle de partager des bons moments avec ceux qu’on aime parce que la vie va vite.

« Plutôt que militant, on est plus hédoniste. »

Source de la vidéo : Les Jolies Rencontres.
Photos : Patrice Mancino.

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