Momus / Athenian
[American Patchwork]

8.6 Note de l'auteur
8.6

Momus - AthenianMomus fait partie des artistes qu’on écoute plus qu’on ne discute ou ne commente. C’est un fait. Il est possible qu’on ne l’ait d’ailleurs jamais évoqué ici, ce qui est à la fois insensé, impardonnable mais pas involontaire. Critiquer ses albums, presque aussi nombreux et divers que les productions de Stephen Jones, n’apporterait de toute façon pas grand chose à son univers qui, contrairement à d’autres, n’est pas vraiment menacé par l’expansion. Le monde de Momus est un monde qui accueille les auditeurs de passage, les butineurs et les croyants de la première heure, les extrémistes et les infidèles. C’est une sorte de temple païen qui rassemble de vieux fans déçus de Divine Comedy, des amoureux des miniatures pop des Television Personalities, de Daniel Johnston, des fans hardcore des Beatles et des adorateurs de Martin Carr, le génie des Boo Radleys ou même des types amoureux de Sufjan Stevens. Momus est la culture pop par excellence. Il fait penser à Paddy Mc Aloon et pas seulement parce que Nicholas Currie (son vrai nom) ne voit désormais plus que d’un oeil. A XTC et à The Times, la quintessence de la pop anglaise, cultivée et précieuse. Momus ressemble à un précis d’histoire de la sophistication faite pop et pas seulement parce qu’il a démarré comme journaliste et enregistré ses premiers morceaux en 1981.

Après quelque chose comme quarante albums studio, Momus sonne toujours comme s’il faisait cela pour la première fois. C’est la sensation qu’on ressent à l’écoute de ce Athenian, album qui succède à un Vivid plutôt sombre mais un poil plus réussi enregistré pendant le confinement. Momus est toujours en Grèce où il est retourné quelques décennies après y avoir été élevé enfant. Currie y a passé l’année 2020 enfermé, séparé de sa copine française. C’est ce dont parlait Vivid, album de la séparation, de l’amour et du travail à distance qui parlait dieux grecs, télétravail et mélancolie. Athenian est son double lumineux. La petite amie est enfin arrivée, a offert à l’artiste quelques mois de paix, d’amour et d’harmonie avant de refaire le chemin inverse (on le suppose, à moins qu’ils ne soient rentrés tous les deux), laissant Momus, sa guitare et tous ses instruments dans un état de sérénité et de bonheur spirituel qui imprègnent fortement ce disque. Bloqué quelque part en 1969, date à laquelle Momus découvrait pour la première fois Athènes, le chanteur s’oublie sur un ton de comédie qu’il distille à travers une musique enjouée, entraînante et pleine d’humour. Swansong à l’ouverture témoigne de cette légèreté qui se prolonge de titre en titre comme si on assistait à un pantomime ou à une opérette de Brecht à la Kurt Weill façon Opéra de Quat’Sous cheap et DIY. Greyland fonctionne bien et on peut s’amouracher de l’élégance électro d’Under The Volcano, mais il manque à l’album quelques titres forts ou qui sortent du lot.

La sérénité et le sentiment de maîtrise qui se dégagent des pièces enlèvent parfois à Momus ce qui fait le charme de ses meilleures productions : la variété et le caractère gentiment foutraque. Athenian est comme un rêve éveillé, éclairé par des visions magnifiques (le splendide Horrorworld, si simple et parfait), des réflexions lumineuses sur le monde d’aujourd’hui et ses illusions (Zooming, qui fait le grand écart entre 2021 et les années 60-70) mais aussi des séquences comiques comme venues de nulle part (Zooming toujours ou Coco The Clown et sa trompette mélodramatique). Momus peuple son disque de références classiques et burlesques qui viennent nourrir une forme de désinvolture distante quant à la comédie de la vie. My Moriarty est gentiment superficielle. Françoise est un hommage formidable à la chanteuse Françoise Cactus, qui officiait au sein du groupe franco-berlinois Stereo Total. Difficile de voir où l’Ecossais veut en venir. Athenian exprime une certaine idée du bonheur, un bonheur peuplé de figures et de souvenirs dont le chanteur fait une sorte d’instantané un peu épuisant car saturé d’intentions. Nono est une jolie chanson d’amour à la gloire (domestique et intime) de sa compagne Noémie.

 On sait que le bonheur est rarement le matériau qui donne les meilleurs disques. C’est un peu ce qui se passe ici. On aime le Momus de Bus Inspector Bill car il est triste et sent le temps qui passe. On aime la mécanique implacable qui anime The Tyro et met le dernier tiers du disque sous tension. Momus y semble rendu à l’inquiétude, exprimant à merveille le désarroi du monde qui s’agite autour de lui et perd sa boussole dans la crise. Athenian est l’album des repères qui se brouillent, l’album de l’après-crise. Il marque l’instant où la vie ne semble plus tout à fait réelle, s’anime d’une distance de comédie qui terrifie et fait rire, mais aussi celui où on reprend pied peu à peu avec la certitude qu’hier pourrait redevenir le nouveau demain. La poésie et la beauté simples de Momus assurent la continuité des sentiments et des êtres. Il suffit d’exister (The Existentialist), de respirer et d’aimer à nouveau, de voyager et de rêver. Momus fait partie de ces artistes dont la sensibilité est si affûtée et développée qu’elle ne s’en laisse pas compter. Il faut plus qu’une crise internationale, des centaines de milliers de morts et des océans de distance pour arrêter le temps et l’envie de chanter. Doomscroll sonne comme un single de Bowie arraché à l’OutreMonde. C’est un tube pour la fin du monde, qui évoque la religion, Karl Kraus et ce qu’il y aura après. On pourra l’écouter en pensant à qui on veut et qui a disparu dernièrement. Doomscroll est le morceau le plus beau et le plus impressionnant du disque.

Athenian  n’est pas forcément le meilleur album de Momus mais il n’en reste pas moins l’un des plus puissants et attachants sortis au cours de l’année 2021.

Tracklist
01. Swansong
02. Greyland
03. Chatternooga
04. Under the Volcano
05. Zooming
06. Horrorworld
07. Coco the Clown
08. My Moriarty
09. Francoise
10. Nono
11. The Drizzle of March
12. The Tyro
13. The Existentialist
14. Bus Inspector Bill
15. Doomscroll
16. Athenian
Écouter Momus - Athenian

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