Manifeste : Au bonheur des Discothèques
[Lettre à M. Macron]

Photo Sam Mar

Monsieur le Président,

Votre Premier Ministre a annoncé la fermeture des discothèques de nuit du 10 décembre au 6 janvier prochain ; mesure étendue suite à l’intervention du 29 décembre de Jean-Baptiste Lemoyne à 3 semaines supplémentaires. Mais également proscrit un acte humain depuis la nuit des temps : celui de danser. Et donc, d’une certaine manière, de jouir.

D’où je parle ? Je suis un M. Tout-le-Monde. Cette tribune n’a pas vocation à embrasser un autre point de vue que le mien. Dès lors, celle-ci aura la liberté de jouer entre le sarcasme et le sérieux. Même si elle est par essence subjective, celle-ci tendra vers l’objectivité. C’est pourquoi cet article a l’ambition d’être soutenu. Le moment est venu de faire un état des lieux sur les interdictions touchant les discothèques, sans complaisance ni faux-fuyants. J’enjoindrai quiconque d’accord, notamment tout acteur du monde de la nuit, à le partager. Aucune concertation n’a précédé cette chronique, si ce n’est un élan émotif puis raisonné, s’expliquant également par de nombreux échanges entretenus avec des personnes de tout horizon social. Les strates sociales de ce pays que – a priori – vous devez (ou devriez ?) connaître, en tant que Président.

Tout d’abord, j’ai cette joie simple qui est : d’écouter de la musique. Second plaisir coupable, de moins en moins fréquent : j’aime avoir des interactions sociales « en présentiel« , et tout ce qui en découle (rire, accolades, baiser… sur la bouche), dans le respect des mesures de sécurité qu’incombe la crise – je suppose que vous faites de même avec vos proches ; vous êtes un être humain. Troisième vice : la danse, soit remuer son corps de manière lascive et sensuelle, une pratique datant… du paléolithique!

[Post-scriptum : L’article suivant a été rédigé avant l’annonce du 29 décembre et s’est vu quelque peu remanié et augmenté. Mais il porte majoritairement sur la manière dont a été traité le secteur de la nuit. Une observation qui reste valable après le 29 décembre, à l’heure même où les concerts « debout » et consommations « debout » dans les bars et les cafés, viennent rejoindre le rang des interdictions. Notons néanmoins que, malgré cela, les boîtes restent interdites d’ouverture, quand les concerts et bars se voient, eux, restreints à limiter certaines de leurs pratiques. Les considérer sur un même pied d’égalité serait une erreur.]

La France n’est plus une fête

Dès lors, vous pourrez compatir avec notre peine, celle partagée par d’innombrables Français, pratiquants ou non, n’ayant pas oublié ce que signifiait rester vivant : celle de savoir qu’aucune boîte ne rouvrira avant 2022. Mais plus qu’une peine, c’est d’abord un drame économique : la fermeture des boîtes induit 40 000 emplois impactés et une bouée de sauvetage, le chômage partiel, semi-gonflée. Pourquoi ? Car à leur précédente réouverture du 9 juillet 2021, sur 1658 boîtes de nuit,  25% de celles-ci étaient en difficulté financière, et 131 en liquidation judiciaire. Preuve s’il en est que même nos structures d’aides ne sont pas capables de combler le manque d’oxygène financier. N’oublions pas non plus que ce « pognon de dingue », il est également payé en partie par… bibi! Soit le contribuable qui, crise économique oblige, ne pète pas la forme. Et on veut le priver de danser? Ben voyons…!

Plus qu’une peine, c’est aussi une sidération. Les boîtes, tout comme le reste du secteur de la nuit (bars, concerts, etc.) et de la restauration, réalisent leur chiffre d’affaire du dernier trimestre pendant les périodes de fêtes (notamment autour du Réveillon et du jour de l’an) couvertes par l’interdiction. Mais celle-ci, avant le 3 janvier, ne concernait ni bars, ni restaurants, ni boîtes échangistes, ni cinéma, ni concerts, (et si l’on continue sur cette pente) ni métros, salles de sport, magasins ou grandes surfaces, ni repas au nombre de convives limité. Et c’était tant mieux d’ailleurs! Mais la logique de la fermeture d’un type de lieu à forte promiscuité sous-tendait la fermeture d’autres lieux similaires ; vous ne trouviez pas cela incohérent, vous? Alors… les boîtes de nuit, grands oubliés ? Ou industrie sur laquelle taper sans craindre de représailles au niveau du lobbying ? Rappelons que l’industrie de la nuit constitue la plus petite corporation de l’économie française ! Un bon moyen pour ne pas subir trop de vagues médiatiques. Et puis, Chico du Macumba, hein… franchement…

En juin dernier, un membre du gouvernement énonçait qu’il ne serait pas possible de conserver les discothèques fermées si les activités cousines et similaires étaient maintenues. Une énième incohérence, après une pléthore d’autres : rappelez-vous de l’affaire des masques, ou tant d’autres promesses de liberté abandonnées pour les détenteurs de passe. Tromper et se regretter est un droit compréhensible. Faire comme si de rien n’était, par contre, relève d’un soupçon de mépris de classe, doublé d’incompétence et d’une incapacité à se remettre en cause.

D’ailleurs, puisque on l’évoque ; à l’heure où quelques millions de français se pressent pour une piqûre de rappel qui permettra de prolonger leur abonnement à ce passe, cette fermeture des boîtes tombe. Ces lieux sont certes des endroits à forte promiscuité, mais pas  forcément plus qu’un bus bondé à 18h ; et depuis juillet, ce secteur a mis un point d’honneur à contrôler cartes d’identité et passes, voire même le port du masque dans certains établissements l’obligeant. Ne serait-ce pas le constat d’un échec presque total de ce passe? Et que personne ne sorte l’argument des non-vaccinés ou fraudeurs, argument brandi par des dévots jupitériens et inconsistant tant il s’agit d’une minorité. C’est assez fou, ce zèle du gouvernement dans la volatilité. Sous des dehors mutiques et stoïques de chef de navire, ne seriez-vous pas tout simplement contrôlé par la peur?

L’absence de vision d’ensemble sur le virus est grave, mais compréhensible de par l’incertitude autour de son évolution. Mais l’absence de vision de votre pays et ses mœurs est, pour le coup, impardonnable. Il en découle un trouble : la hiérarchisation (elle conscientisée, mais non avouée) entre ce qui vous semble de « mauvais goût et peu important » et « ce qui l’est moins ». Car, quand on sait que l’AccorHotel Arena rassemblait 17 000 personnes, du 16 et 17 décembre, pour le concert de Ninho… C’est à se poser la question. Ce changement, nous n’en voulions pas maintenant!

Plus encore que la suite de sidérations, c’est une déception. Celle de voir une majorité de français, d’accord ou non (ils ont le droit), consentir docilement à une énième restriction. Entendons-nous bien sur ce point : cette nouvelle vague, la crainte qu’elle fait naître en nous et l’amorce d’une réflexion sur divers stratagèmes possibles (si possible les moins intrusifs) pour la limiter sont audibles ; mais la porter sur la fermeture des boîtes était un non-sens. Plutôt que de passer par interdiction et autres restrictions, le gouvernement devrait se soucier de la gestion de crise au niveau de notre service hospitalier souffreteux, par exemple. À moins que cette réflexion pour désengorger les hôpitaux se résume à cette unique décision? et que notre salut passe par le sacrifice des boîtes de nuit? Voyons : nous vous savons trop intelligent pour croire cela. N’est-ce pas?

Redevenir vivant

Si ce n’est pas de la naïveté, serait-ce alors du cynisme ? Dès lors, nous ne comprenons plus l’affreux silence des médias, auxquels échappent quelques ras-le-bol de propriétaires, mais qui semblent si résignés qu’ils témoignent d’une fatigue. Ils ont peut-être assimilé la manière dont vous les valorisiez. Exsangues, ils préfèrent laisser faire la SNDLL (Syndicat National des Discothèques et Lieux de Loisirs). Même nos producteurs et DJs à aura internationale se sont peu exprimés à ce sujet (si ce n’est l’excellent message du toujours fidèle Bob Sinclar, défenseur du clubbing à la française – on s’excuse d’avance pour ceux s’étant prononcés et que nous oublions de citer). Paris est de moins en moins gaie, et cette apathie précédait le Covid. Avec les boîtes en moins, jamais la France n’a paru si éteinte. Nous n’évoquerons pas ici le sujet de l’insécurité, souvent connexes avec les lieux interlopes. Mais force est de constater que la plupart des boîtes, ces derniers temps, se rapprochaient plus à des bastions, des alcôves de fun bien plus sûres que des sorties sauvages entre copains-copines sur les quais, les rixes et agressions étant communes.

Mais plus encore, la boîte de nuit avait d’autres vertus. Premièrement, la boîte de nuit nous (ré)apprend, à l’heure du tout-numérique, ce que signifie être vivant. Échanger, danser, plaire, rire, chanter, crier, lever un verre, inviter, se peloter, draguer, s’embrasser, se découvrir, et cætera. En soi, faire l’amour et l’amitié. Le sens de la fête est on ne peut plus français. Nous l’enlever, c’est diminuer encore notre identité, notre art de vivre. On voyait souvent lors du premier confinement l’expression un poil exagérée de « jeunesse sacrifiée » : la période était difficile pour tous. Mais avec ce type de décision perdurant, vous lui donnez malheureusement de plus en plus raison. Alors que celle-ci est déjà moribonde avec tous les excès et erreurs d’anciennes générations sur l’économie et l’écologie, vous accélérez son mal-être, l’isolation, les solitudes, la dépression, mais aussi les acquis et échecs personnels que l’on apprend en discothèque. La discothèque est une école de la vie !

Sans celui-ci, cette jeunesse, déjà asservie au numérique et dont on constate les maux, va devenir de plus en plus molle, dépendante, servile, docile. Écoutez son relatif silence suite à cette interdiction : résignée, elle accepte de subir la vie au rabais sans moufter. Ce silence est aussi choquant que celui de nos élites médiatiques, intellectuelles et politiques, qui ont sans doute oublié ce que c’était (ou alors, qui s’accommodent en soirées privées). Choses inquiétantes. Quant à ceux refusant de s’y résigner, ce n’est pas mieux. Ce n’est pas avec les restaurants et bars ouverts que vous échapperez à l’organisation de fêtes sauvages : celles-ci vont rassembler des milliers de fêtards dans des lieux moins sécurisés à tout égard (ou voyager), au risque de transformer certaines zones en véritables foyers de contagion. Ce choix sera pousse-au-crime!

Avez-vous pensé à tous les couples qui auraient pu se former ? Tous les bébés qui auraient pu naître? Oublier cela, c’est nier le tremblement du vivant. Maintenant que boire un verre dans un bar debout tout comme manger des pop-corns au cinéma sont à présent interdits, à quand l’obligation de faire chambre à part? C’est en temps de crise que l’on mesure la qualité de ses chefs ! Et en cela : vous êtes encore une fois décevant. Les discothèques forment un ensemble d’établissements disparates, entre celles grand public et celles plus sélect, les boîtes hétéros ou gays, de Paris ou de province, citadines ou campagnardes, rustiques ou sophistiquées, celles plus électro, disco ou afro, plus d’jeun ou senior, ou tout à la fois. Valser d’une boîte à l’autre, c’est aussi bien rencontrer Laurent Garnier que Marco, le jeune disc-jockey du patelin, c’est aussi bien saluer Farida la dame pipi que Jean-Roch au coin V.I.P., rencontrer des anonymes venus danser comme exutoire qu’un Beigbeder bourré au Medellín, c’est aussi bien secouer ses fesses sur du French Montana que faire une queuleuleu sur Les lacs du Connemara ! Bref, des gens qui ne sont rien et d’autres qui font tout. Les boîtes sont à l’interpénétration de tant de mondes et faunes! N’est-ce pas cette diversité qui vous plaisait tant?

M. Macron, avez-vous oublié votre premier slow au lycée, cette première étreinte avec votre professeur, lorsque votre toute jeune tête atteignait le bas de son cou, et que cela vous faisait toute chose ? Vous avez eu la chance d’être un surdoué, et d’éviter les boîtes de nuit. Mais nous avons eu cette chance d’être cons, et de les fréquenter ! C’est pourquoi nous vous demandons de reconsidérer non pas votre décision, cela semble impossible, mais votre vision de ces lieux, de ces gens qui y travaillent, de ces clients qui s’y amusent. Il y a encore ce léger relent de… mépris de classe. D’autres décisions ou phrases maladroites tendent à nous conforter dans cette croyance. Et puis, qui sait si vous changiez d’avis… En espérant vous retrouver sur le dancefloor au Duplex (salle dancehall caribéenne), du Gibus ou du Copacabana de Beaune (21200) ; selon vos envies! Et cela dès avril 2022 (ou 2027, connaissant votre veine) !

Cordialement,

Un gaulois non-réfractaire à un remaniement

Crédit : photo par Sam Mar via Unsplash

https://twitter.com/bobsinclar/status/627476848126115840

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