L’animal est de retour. Après sa campagne militante lors du confinement pour le droit de tortiller du cul librement, Bob Sinclar nous balance sa cuvée printemps-été 2021.
N’allons pas par quatre chemins : We could be Dancing est un petit morceau, humble et efficace. Loin de ses meilleurs, soit. Mais il vaut ce qu’il vaut.
Intéressant à bien des égards, il est surtout l’une des premières incursions de Bob dans un électro influencé par les 80’s, excepté l’accident Heart of Glass et ses morceaux influencés par le rap de l’époque type The Sugarhill Gang. À première vue, le clip ne paie pas de mine, tout en illustrations et montages photoshopés. Mais c’est un véritable Où est Bob dans les années 80?. Plus que la musique en soit, qui ne verse jamais dans une retrowave facile (ce qui est une vraie qualité), il est, lui, un hymne à une période faste où Kraftwerk, Bowie et Prince se croisaient dans les Top of the Pops estivaux. Une sorte d’énorme collage de clins d’œil, dans lequel on s’amuse à trouver un maximum de références musicales et filmiques!
C’est Bob pour le moral
Évidemment, l’égo du bonhomme est telle qu’il n’a pu s’empêcher de se maquiller en Visage ou de s’accoutrer en The Buggles. Bob est tellement mégalo que le plus fanatique de ses adorateurs n’aura pu s’empêcher, en 15 ans, d’osciller entre l’irritation de celui qui châtie bien, et l’énorme fou rire, tellement Sinclar est pourvu – inconsciemment ou non – d’un second degré hilarant. Essayez de participer à ce petit jeu et dites nous en commentaires si nous avons loupé les citations du clip (une solution partielle se situe à la fin de l’article). Vous allez voir : c’est amusant. Cela ne nous étonne pas de notre Sinclar, de nature malicieuse.
Pour ce morceau, Sinclar est accompagné de la chanteuse suédoise soul et R’n’B Molly Hammar, sorte de mélange mineur entre Becky Hill et Jessie Ware. Bref, une artiste de second tableau comme seuls les télé-crochets musicaux nous en fournissent (ses titres rappellent tout ce qui se fait dans la soul pop féminine depuis 10 ans), mais capable de rendre un travail propret avec une voix véritablement charpentée. À seulement 25 ans, elle a déjà à son actif une poignée de singles et un EP au nom épuré de… Sex. Rien de mieux pour aguicher bibi.
On peut aimer ou détester Christophe the French Kiss (son premier alias), mais, si l’on observe objectivement l’histoire électronique de ces 30 dernières années, on ne peut contester la position pionnière de celui-ci dans la house française. Cette remarque vaut aussi bien pour le marché mondial mainstream que celui de l’underground. Cet homme est un passeur, un architecte musical bâtissant des jonctions entre les genres. Rappelons ses quelques faits d’armes.
Christophe The French Touch
Bob Sinclar est un touche-à-tout patenté. Artiste étalon de la french touch, ce dernier n’a cesser de tenter des mélanges très audacieux entre house et disco-funk, mais aussi la country ou le reggae, respectivement avec ses albums concepts Western Dream et Made in Jamaica. Mais surtout, on a tendance à oublier ses premières années expérimentales : son travail précurseur sur le trip hop jazz – sous le pseudonyme The Mighty Bop – et pour la musique africaine, avec le sublime projet collectif Africanism, peut-être la plus belle chose qu’il eût à nous offrir. Si le fin connaisseur de musique électronique résumait Bob Sinclar à des titres (excellents, car à la fois grand public et expérimental dans leur hybridation) comme World Hold On [Children of the Sky] ou Love Generation, alors il n’en est pas un. Car ce serait oublier le label Yellow Productions fondé avec DJ Yellow, la conception de l’album de jazz brésilien de Salomé de Bahia, ou l’entreprise Africanism, qui invitait des producteurs européens à collaborer avec des artistes locaux du continent noir. Une musique non « métissée », mais, privilégions un terme plus adéquat, « multicolore », au sens le plus noble, enracinée et ne cédant à rien si ce n’est l’envie de télescoper genres et gens pour en faire émerger un son neuf. Sinclar est un pilier parmi des figures comme les copains Martin Solveig, Dimitri from Paris, DJ Gregory… et évidemment, David Guetta, que la presse a toujours eu la fâcheuse tendance à opposer. Ils ont dépassé ce stade à présent. Ayant caracolé tous les deux à la fin des années 2000, ils font ce qu’ils veulent, et il faut dire que le fâcheux virage EDM qu’a pris ce dernier depuis bientôt 10 ans, on penche plus pour la musique de Sinclar, à la fois simple, complexe et élaborée (même si We could be Dancing n’est pas la plus à même à vous le démontrer). Parisien de souche et chauvin au dernier degré, il est à l’image de sa ville, un carrefour du monde.
Salace de pop, sauce synthée
Fils spirituel de Cerrone, Bob troque cette fois la coupe afro pour les épaulettes. Avec sa capillarité, la coupe mulet devenait inévitable. C’est amusant, car beaucoup de la musique de membres de la french touch (nés à la fin des années 1960) transpire le disco des 70’s, mais aussi, dans une moindre mesure tout de même, la new wave et la pop des débuts 80’s. Or Bob Sinclar (tout comme un The Supermen Lovers, par exemple), malgré ses multiples pérégrinations à travers les genres, n’a jamais exploré frontalement ces années dont presque toute l’industrie se réclame aujourd’hui. C’est donc une première, arrêtant de sauter de la case 70’s à celle garage 90’s à cloche-pied.
Et connaissant sa tentation pour l’excès quand celui-ci se décide de faire un « gros titre », on aurait pensé que le titre allait dégouliner de kitscherie. Nous redoutions un clone du détestable Heart of Glass pour Giselle Bündchen, emprunté à… Blondie, évidemment. La synthwave ayant fleurie depuis ce morceau de 2015, le croche-pied était difficilement évitable, d’autant plus quand le clip va dans ce sens. Eh bien, même pas. We could be Dancing a évidemment les sonorités étoilées de l’italo disco, son sens mélodique, mais dans une sobriété toujours contrôlée.
D’ailleurs, quand on détecte les références du clip, on se situe vraiment au tout début des années 1980. Une période où le funk le plus luxurieux succédait à la fin du disco. Nous aurions aussi pu parié sur un morceau funk des familles qu’il apprécie tant, influencé par des groupes tels Mtume ou les Pointer Sisters. Eh non. Durant les deux confinements, Bob Sinclar, sensible au collectif et au sens de la fête, a enchaîné les sessions de mix quotidiennes par Facebook Live et Instagram sur des thèmes musicaux divers, prestations complètement gonzo et désopilantes. Ne pouvant plus bourlinguer de Paris à Ibiza (où il est résident avec ses soirées Paris by Night), Bob, dès les premiers jours du confinement, s’est assis sagement devant son énorme collection de vinyles, calmement… et les a ré-écoutés. Le dernier mix qui accompagnait la sortie de son single s’entourait de morceaux de Frankie Goes To Hollywood, The Human League, Yazoo ou même Liaisons Dangereuses. Il semble qu’il s’en soit nourri comme il fallait : avec modération. Nonobstant le fait de ne pouvoir mixer au milieu de travestis ou de faux seins, Bob conserve ses vertus éducatives.
Lorgnant du côté de la synth pop, We could be Dancing se gobe comme une praline : c’est agréable, certes, assez délébile, mais on en redemande sans risquer l’embonpoint. Sa ganache nous rappellera au bon souvenir de cette décennie dorée. Devrait suivre une série d’autres singles. Probablement les prémices d’un album qui se laisse attendre.
Bonus : N’hésitez pas à écrire en commentaires les références non trouvées par l’auteur ! L’heureux gagnant… nous poussera à publier encore plus d’articles sur SBO !
Soluces | Musique : Kraftwerk – The Man Machine (1978) ; Visage – Fade to Grey (1980) –Lipps Inc. – Funky Town (1979) ; The Buggles – Video Killed The Radio Star (1979) ; Bronski Beat – Smalltown Boy (1984) ; Kasso – Walkman (1982) ; Electric Light Orchestra – Discovery (1979) ; Bruce Springsteen – Born In The U.S.A. (1984) ; Michael Jackson – Thriller (1982) ; Rod Stewart – Baby Jane (1983), etc. | Films : Blade Runner (1982), Flashdance (1983), Rien que pour vos yeux (1981), etc.