Certains appellent cela de l’electro-bio, d’autres plus simplement du minimalisme. Le genre emprunté par Cabaret Contemporain, depuis plusieurs années, rappelle les expérimentations classiques d’un Terry Riley, de John Cage et un peu plus près de nous de l’excellent trio allemand Brandt Brauer Frick, avec lesquels les français se sont produits à plusieurs reprises. L’idée du Cabaret Contemporain est assez simple : il s’agit de composer une musique d’apparence électronique avec des instruments traditionnels. Pourquoi faire, me direz-vous ? Juste pour voir si et comment c’est possible, répondraient les membres et puis parce que c’est une idée comme une autre. A la vérité, les membres de Cabaret Contemporain, qui se sont rencontrés au conservatoire, sont juste des types qui maîtrisent leurs instruments classiques à la perfection et qui ont un goût immodéré pour l’électronique. L’idée de retrouver la musique qu’ils aiment et de l’interpréter à l’aide des instruments qu’ils connaissent le mieux leur est donc venue naturellement. Ce n’est pas innocent si le seul disque qu’on connaît d’eux, avant ce premier album éponyme, est un disque hommage à Moondog, le clochard aveugle et céleste, auteur de micro-symphonies redoutables enregistrées avec les instruments du bord, des boîtes de conserve ou des trucs qu’il inventait. L’électronique acoustique est une affaire sérieuse et qui s’apparente plus à la composition classique (contemporaine) et au jazz (l’improvisation n’est jamais loin) qu’à la composition rock ou pop.
Le résultat pour un coup d’essai est un coup de maître. On sent sur chaque pièce l’unité du groupe et l’expérience de la scène. Les sons sont assez invraisemblables et suggèrent un mimétisme sidérant avec les actuelles constructions électroniques les plus sophistiquées. Par-delà cette réussite formelle qui n’a pas d’intérêt en soi, ce premier album est bluffant pour la qualité et la vigueur de ses pièces. Une des deux est splendide, emmenée par un piano imposant et qui sonne remarquablement bien. Il faut dire que le groupe a intégré à part entière un ingénieur du son et un producteur. Cela s’entend dans la qualité de la mise en son et la façon dont les différentes pistes sont articulées. Sans rien y connaître en technique, on se dit que la mise en espace du son est probablement décisive dans ce qu’on entend, donnant le sentiment que les sons se déploient dans le temps mais aussi selon plusieurs plans ou dimensions. La musique de Cabaret Contemporain semble se déployer selon des codes qui sont autant musicaux et temporels que spatiaux. Entre le motif répété et les rythmiques qui cliquètent sur les deux dernières minutes, la pièce se paie en plus un joli crescendo qui en fait un tube en puissance. Dans un registre plus ingrat et intériorisé, on adore la façon dont l’immense Map se développe sur plus de sept minutes. Le minimalisme de Cabaret Contemporain confine à l’orfèvrerie. S’il est assez difficile d’en parler, il faut se mettre à l’écoute, sur chaque seconde, des surprises et des variations qui secouent la surface d’apparence paisible et répétitive du morceau. Love incorpore, comme il se doit, des motifs plus légers et pop, tandis qu’on craque à nouveau pour la progression imperceptible d’un morceau intitulé Dune. Cabaret Contemporain, malgré quelques « hooks », propose néanmoins une musique moins contrastée que le Brandt Brauer Frick. Le disque est séduisant, très réussi mais rebutera évidemment ceux qui n’ont pas d’intérêt pour la répétition, l’électro et le minimalisme en général.
La musique de Cabaret Contemporain, telle qu’elle est enregistrée ici, donne une folle envie de voir le groupe sur scène et de se confronter de plus près à la matérialité de leurs instruments. Sur The Sun Is Shining In The Dark Night, le groupe incorpore une phrase, chantée, et montée en boucle (le titre répété à l’infini), sans que cela nous émeuve plus que cela. A vrai dire, on n’avait pas besoin à ce stade d’un titre qui nous rappelle à quel point on se situe ici dans un espace assez arty et pointu des musiques contemporaines. Cela ne suffit évidemment pas à gâcher notre plaisir d’être confronté à un groupe tout à fait singulier, français de surcroît, et qui ouvre, par l’originalité de sa démarche, à chacun des perspectives passionnantes.