Emilie Sait. Plage de deux minutes et quelques secondes, cette chanson est sans doute l’une des plus belles entendues en France cette année. Une de celles dont on abuse sans l’user. Emilie Sait ouvre d’un double EP éponyme microcultivé, un disque généreux et chiadé proposé au printemps dernier par Pauline Drand. A l’écoute répétée d’icelui on se dit que l’on se trouve face à une jeune femme affirmée (par son songwriting) et profonde (par sa voix). Et même si nous ne sommes pas du genre à parier nos vieux t-shirts des Smiths, on miserait tout de même sans compter sur la capacité de cette jeune pousse à prendre racine dans le paysage musical français. Et ce de la plus belle des façons, c’est à dire en composant de très belles chansons, folk parfois, érudites toujours. Avec ou sans le compagnonnage de Nick Drake. Comme nous sommes curieux mais un peu loin, nous avons fait partir quelques questions auxquelles Pauline répondit sans afféteries. Des mots et des chansons, de quoi mettre du bleu au noir.
Crédit photos : Dan Pier et Thibault Saladin
On t’entend jouer de la guitare. On te voit poser assise sur un piano. Avec lequel de ces deux instruments te sens-tu le plus d’affinités ?
La guitare est l’instrument que j’utilise le plus actuellement, pour jouer et composer. C’est un allié et un compagnon de route formidable, ou plutôt une, car c’est un instrument qui porte si joliment un nom féminin… Le piano était le premier, et même si j’en suis plus éloignée pour l’instant, j’y suis très liée affectivement, et pense en faire quelque chose, à l’avenir.
Dès qu’on remarque une chanteuse qui joue de la guitare, on convoque systématiquement Cat Power. Chan Marshall est-elle une référence qui permet vraiment de te situer ou est-ce une ainée un peu encombrante ?
Chan Marshall a ouvert des voies, et a touché toute une génération de chanteuses, c’est vrai. Encombrante, certainement pas, mais essentielle, inclassable et inimitable, oui. S’y référer ne veut pas dire se comparer.
Et Françoiz Breut – qu’on évoque aussi assez régulièrement quand on écrit sur ta musique – c’est quelqu’un qui compte pour toi ?
Françoiz Breut, je n’ai découvert sa musique que récemment, et certaines chansons m’ont séduite, par leur charme et leur intelligence ; mais il ne s’agit pas vraiment d’une influence, pour la raison tout juste évoquée !
A quel moment as-tu su que la musique serait le fil conducteur de ta vie d’artiste ?
J’attends encore ce moment ! (rires) Ou bien, il est chaque jour renouvelé, par exemple, récemment, en studio d’enregistrement… À mon âge il est difficile de parler de fil conducteur, mais c’est apparu comme une nécessité assez tôt, oui. Je ne parlerais pas non plus de vie d’artiste, mais de vie tout court, que l’on tisse avec les fils que l’on peut.
Quand on te suit sur les réseaux sociaux, on te sent animée par la littérature et le cinéma. Jusqu’à quel point ces deux mondes s’engouffrent-ils dans ton propres univers artistique ?
Comme n’importe quels matériaux – mots, images, sons, impressions… – qui me touchent et semblent trouver résonance. À vrai dire, et surtout pour le cinéma, je n’ai pas une position de savante ! J’aime les images de façon sensible, sans disposer de connaissance ou technique, et adorerais rencontrer quelqu’un qui puisse mettre en forme ces connivences que je perçois entre les mots, les sons et les images…
Sur le beau Aux Jours de Juillets, comme sur les Faits Bleus et l’introduction du magnifique Pont Neuf, on ne peut s’empêcher de penser à Nick Drake. A quel moment as-tu croisé l’étoile filante britannique ?
Je l’ai découvert avec l’album Five Leaves Left, un choc de sensibilité et de beauté. Je crois que sa musique est importante pour beaucoup de gens, et que sa figure fascine, avec ce qu’elle peut représenter de mystérieux et d’attachant, une rare figure romantique… Mais sa musique se suffit à elle-même, une voix et une guitare, une évidence…
Quelles autres figures de la musique contemporaine accompagnent ta vie ?
Ceux qui l’accompagnent vraiment, c’est-à-dire parfois délaissés et redécouverts, il y a bien sûr Bashung, Gainsbourg, Radiohead, Leonard Cohen, Nina Simone et les précédemment cités Cat Power et Nick Drake… Souvent des parcours avec des changements de cap, des choix radicaux, ce qui fait qu’il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir…
Tu proposes en double EP composé de huit titres. Pourquoi n’est-ce pas un album ?
Il me semble qu’un album est quelque chose de longuement mûri, avec une direction et une cohérence, porteur d’une intention dont je ne me sentais pas tout à fait prête. Ainsi, le double EP se présente comme une collection de chansons, qui avaient existé sur scène jusqu’alors, et dont je voulais à la fois témoigner et me séparer. Ça a été un processus très joyeux, cet enregistrement, car pour la première fois, je n’étais plus seule avec mes chansons.
Tu transformes les mots en impressions, le noir en bleu. Cette couleur d’ailleurs semble être ta favorite. Peut-on imaginer entendre un jour ta version de Mots Bleus de Christophe ?
Je connais surtout cette chanson par l’interprétation que Bashung en a faite ! Vous voyez, j’ai beaucoup de lacunes en chanson française… (rires). Comme en littérature et dans beaucoup de domaines, je ne connais que ce à quoi je m’attache, et que je creuse ensuite parfois jusqu’à l’obsession…
Tu sembles aussi à l’aise en français qu’en anglais. A quel stade de la composition tu optes pour l’une des deux langues ?
Maintenant, le français a pris toute la place.
Quelle suite vas-tu donner à ton généreux premier EP ?
Un album ! Je suis en plein dedans, avec fébrilité et exaltation… Une belle histoire qui s’écrit, j’aimerais vous en dire plus.
Comment vis-tu la scène ? Es-tu à l’aise avec ce moment particulier ?
C’est une expérience à part, que j’aime plus que tout et déteste à la fois ! (rires). Là encore, tout dépend de l’endroit et du contexte, quand il y a un lieu propice et une écoute, ça peut être magique… J’ai hâte de découvrir de nouvelles scènes et de nouvelles configurations.
Demain on te donne tous les moyens possibles et inimaginables pour enregistrer le disque de tes rêves. Que t’offrirais-tu ?
La possibilité de passer du temps en studio et d’offrir les meilleurs conditions aux personnes qui travaillent à mes côtés, ce serait déjà beaucoup… Et puis, si le studio pouvait être sur une île méditerranéenne un peu isolée, avec des roches grises et brûlantes et la mer pour s’y plonger… Mais c’est déjà un paysage de chanson ! (rires)
Quelle est la chanson que tu écoutes en douce ?
Je n’écoute jamais très fort…
Prochains concerts de Pauline Drand :
- le 22 aux Balades Sonores (Paris)
- le 27 à Chanson Française en Sorbonne (Paris)