Editors / In Dream
[PIAS]

Editors / In DreamParmi les 1001 légendes et mystères du rock, on compte des groupes disparus, des génies morts nés ou négligés, des albums monstres, des prodiges d’un jour et des guitares à sept manches. Un peu plus loin, sur l’étagère des Inexplicables, et juste à côté de l’autel dressé en l’honneur de Tav Falco, on rangera probablement un jour le costume tiré à quatre épingles de Tom Smith et de ses Editors : l’un des groupes les plus insondables et tristement versatiles de ces dix dernières années. En 2005, The Back Room, leur premier album, constituait l’entrée en matière parfaite et suscitait, dans les rangs du canal historique Cold Wave, des espoirs qu’on n’avait pas connus depuis l’arrivée aux affaires d’Interpol. En 2007 et en 2009, le groupe récidivait livrant des albums où les guitares et l’électronique se tiraient la bourre, imparfaits mais bénéficiant de la voix de baryton royal de Tom Smith et des guitares inspirées de Chris Urbanowicz. Editors, c’était le retour du frère de la revanche de Joy Echo and The U2 Men, un poil de Chameleons et trois d’Interpol, de la gravité à tous les étages, des allures sépulcrales et superbement fashion et en même temps des titres à haut potentiel de mobilisation populaire. Alors ok, il y avait bien un ou deux rabat-joie qui avaient mis en garde contre le « devenir Coldplay » du groupe, cette propension vaguement dormante mais présente sur certains morceaux à vouloir trop en faire et à privilégier la facilité, mais nous ne voulions pas y croire. En 2012, Urbanowicz quittait le groupe pour « divergences artistiques ». En 2013, Editors sortait The Weight of Your Love, son quatrième opus, et probablement l’un des trucs les plus horribles qu’il nous ait été donné… d’attendre… puis de découvrir cette année là. Gonflé à la chantilly électro pompière et aux montagnes russes vocales, l’album était une vraie bouse, d’autant plus effrayante qu’elle débarquait sans s’annoncer. Badaboum : Editors était mort pour la plupart d’entre nous.

Comme il n’y a jamais vraiment de fin pour les braves, In Dream, le cinquième album des natifs de Birmingham, ne devrait pas aider à la réconciliation des pros et anti-Editors. Gageons que le fossé se creusera encore et que, si d’aventure, cet album venait à marcher il scellerait à jamais le split entre les fans d’hier et les fans d’aujourd’hui. Il faut dire qu’In Dream est un album qui joue avec le feu sans aucun calcul et fait se conjuguer l’excellent et le plus que douteux selon un mode alterné qu’on avait rarement rencontré ailleurs. Aussi, on ne dira pas (comme pour d’autres) que l’album est à demi-raté ou à demi-réussi, ou encore qu’on l’a aimé moyennement mais plutôt qu’il nous a ravi à certains instants et, quelques jours plus tard, paru tout bonnement insupportables et bon à jeter à la poubelle. Pour dire la chose, on a eu beau multiplier les écoutes de l’album (au casque, en salon, en voiture) depuis deux mois, il reste difficile de se faire une religion, même si il est clair qu’In Dream n’a rien à voir avec son prédécesseur. Quoi qu’on en dise ensuite, c’est un album intéressant, audacieux et qui, parce qu’il n’a aucune limite, aucune borne stylistique, déconcerte et déjoue ce qu’on attendait du groupe depuis ses débuts.

A l’évidence, on s’était trompés : Editors n’est pas l’héritier de Joy Division et d’Interpol, c’est juste le digne rejeton de U2 et Depeche Mode, un groupe qui mêle refrains imparables, mélodies pop à guitares et synthé avec la volonté de refléter la tristesse du monde (et l’absence d’espoir amoureux), tout en vous donnant envie de danser et de vous exciter (tout seul) dans votre chambre. Editors, comme d’autres avant lui, tente avec In Dream la paradoxale invasion du mainstream par la face indé, sans forcément y réfléchir. On est à peu près certain qu’il n’y a pas ici une tentative de faire un hit ou là une volonté de remplir de futurs stades, mais cela sonne parfois « comme si »… et c’est ce doute, fugace mais tenace, qui rend l’approche de cet album délicate. In Harm qui ouvre le bal est une chanson magnifique qui se déploie lentement autour de la voix de son chanteur. C’est une chanson grave et ralentie, lourde et mélodramatique, mais quelle beauté, quelle efficacité dans l’émotion. Tom Smith est devenu au fil du temps le principal atout du groupe. Sa voix est très mise en avant par la production, au point d’écraser certains titres comme le beau (mais pesant) At All Cost ou d’horripiler à force de démonstration sur Marching Orders. Ailleurs, elle relève avec efficacité la structure d’un morceau plus classique (le beau Life Is A Fear), réussissant presque à tous les coups à s’imposer comme la clé de voûte de l’édifice. Par delà cette omniprésence de la voix, ce qui frappe dans ce cinquième album, c’est la capacité d’Editors à varier les registres. Dès son deuxième titre, Ocean of Night, on a une petite idée de ce qui va suivre : après le dénuement d’In Harm, Editors nous sert un titre à l’efficacité suspecte, classique et puissant, mais dont le refrain aguicheur fait sonner notre alarme anti-mainstream. Il y a des harmonies qui ne trompent pas et sentent un peu trop la construction en atelier. On a cru un temps qu’on pourrait tenir In Dream comme l’équivalent pompier et surécrit d’un Dog Man Star moderne. Mais cela ne tient pas la route. In Dream est plus « décomplexé » et « exhubérant » que romantique, torturé et passionné. La manière cabotine dont il est rendu sur scène (voir les collections live sur youtube) ne fait rien pour nous rassurer. Alors que le duo Anderson-Buttler nous gardait à ses côtés même lorsqu’il en faisait des tonnes, certains morceaux d’Editors nous perdent carrément en route et nous projettent à l’extérieur de l’émotion qu’ils entendent susciter. On souffre ainsi le martyre sur le terrifiant Salvation et son choeur de l’Armée rouge. On peine sur The Law et son duo avec Rachel Goswell de Slowdive, comme on n’accroche que modérément sur Our Love. All The Kings est un autre exemple de ce qui nous révulse, une abomination faite pop.

Il y a des fois où le simple fait de « passer sur ces chansons » rend l’ensemble indigeste et d’autres où elles trouvent presque un sens dans un mouvement global et chaotique vers on ne sait trop quelle forme de passion amoureuse. En baptisant son album In Dream, le groupe justifie presque cette dérivation dans un non-style indéterminé, mi-indé, mi-soupe, mi-romantique, mi-cold. In Dream est un mini-monstre, parcouru de lignes de fracture maousses, qui menacent à tout moment de vous engloutir vivants, vous et votre intérêt pour cette musique. A d’autres moments, on peut se sentir élevés par la puissance vocale de Tom Smith, par sa virtuosité et la petite cathédrale sonore que bâtit le groupe autour de son organe. In Dream est à cet égard un album déconcertant, ni raté, ni réussi, ni aimable, ni répugnant juste une anomalie historique, un album figé à l’état de chrysalide sans savoir s’il va se changer au fil du temps en monstre de foire ou en truc « un peu » sympa. Comme le dit l’adage « si tu doutes, abstiens toi », il faut bien se rendre à l’évidence néanmoins… notre rêve d’Editors a vécu.

Tracklist
01. No Harm
02. Ocean Of Night
03. Forgiveness
04. Salvation
05. Life Is A Fear
06. The Law
07. Our Love
08. All The Kings
09. At All Cost
10. Marching Orders
Écouter Editors - In Dream

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