Honnêtement, nous aurions volontiers accepté une seconde rasade Arms Around A Vision, troisième et meilleur album de Girls Names en 2015. Autrement-dit : une belle collection de tueries post-punk dont l’instinctivité naturelle préservait les Irlandais de l’allégeance béate, de la duplication mélomane. Trop vivant, trop bouillonnant pour plier l’échine face au patrimoine, Girls Names, pour beaucoup, enregistrait soudainement « le meilleur album de l’année ».
Une suite logique, peut-être en plus marginale encore, à cette troisième livraison XXL n’aurait donc pas désarçonné l’aficionado. C’est mal connaître les tourments, les inquiétudes, et surtout le perfectionnisme maladif de son leader Cathal Cully.
Bien plus barré que nous le pensions, ne concevant dorénavant la nécessité d’un album qu’en fonction de ses aléas intimes, Cathal décide aujourd’hui de casser la parure attractive des précédents ouvrages. Nécessité absolue : qu’un disque de Girls Names ne trahisse aucunement la psyché de son auteur. Que chaque nouvel opus soit en accord avec les difficiles catharsis du songwriter en chef.
Le chant et les intonations de Cathal Cully furent souvent comparés à ceux de Nick Cave. Pur hasard, même clairvoyance à ingurgiter l’héritage punk pour ensuite fondre celui-ci dans un magma assez indentifiable à base de blues, de pop, d’indus, de cold-wave parfois. Avec cet aspect crooner qui authentifie les véritables possédés, les aliénés comme les victimes d’une perception trop aigue de la vie.
Et si nous nous amusions à comparer la discographie de Girls Names à celle de Nick Cave & The Bad Seeds (cela ne plairait guère à Cathal, sorry), là où Arms Around A Vision s’imposait comme le plausible Tender Prey du groupe (avec A Hunger Artist en guise de Deanna), Stains On Silence, lui, ne trahirait pas les volutes macabres de Your Funeral, My Trial.
Album très court (Girls Names conçoit pertinemment que la capacité auditive est malheureusement tributaire du speed Internet), album très plombé, Stains On Silence est une cathédrale religieuse bouffée par l’angoisse et la suspicion. Comme si le plus catholique des prêtres doutait soudainement de sa vocation, comme si la crise existentielle obligeait Cathal à se contrefoutre d’une quelconque renommée pour écrire (avec douleur, imaginons-nous) les chansons démoniaques qui lui ressemblent.
Chansons inquiètes, paranos, longues en bouche. Surtout pas hermétiques. Car à l’instar de My Funeral, My Trial (sorry again, Cathal), Stains On Silence est un grand disque qui prend soin de ne jamais s’isoler de l’auditeur. Le groupe traque les abysses, amorce un départ vers une production de plus en plus cérébrale, mais en conservant toujours une place privilégiée pour le public.
Cela s’exprime, en 2018, par des rythmiques cold-wave étirées voire éthérées, par multiples réverbérations vocales qui, paradoxalement, rendent encore plus poignant le chant de Cathal. La brièveté des titres, en priorité, donne toute l’attitude à l’auditeur pour s’y nicher, pour analyser l’actuel état d’esprit de Cathal – Girls Names est un groupe qui se place à hauteur humaine, il s’agit de sa principale qualité artistique.
En pleine poisse commerciale, incertain quant à son avenir, Girls Names, de par cette sincérité dont ne s’habillent que les plus purs, outrepasse, avec Stains On Silence, son étiquette punk-rock supérieure. En 2018, Girls Names, trop intègre, devient, banalement, « le plus grand groupe de rock de l’époque ».