Las Ligas Menores / A Esta Altura
[Autoproduction]

8.9 Note de l'auteur
8.9

Las Ligas Menores - A Esta AlturaL’histoire du rock circus est parsemée de séparations tumultueuses, de musiciens virés sans pincettes, d’égo démultipliés, de polémiques en tout genre ; on pourrait penser naïvement que le rock indépendant est loin de tout ce cirque Gallagherien, il n’en est rien. L’exemple de Las Ligas Menores est là pour nous le rappeler. Découvert sur le tard peu après la sortie de leur second album, on se faisait un plaisir d’accompagner le groupe argentin dans son développement, si possible de ce côté-ci de l’Atlantique mais la donne a changé il y a un peu plus d’un an, jetant sur celle qui apparaissait déjà comme la tête pensante du quintet, Anabella Cartolano, un drôle de voile de suspicion. Que les quatre autres membres fondateurs du groupe aient été virés comme des malpropres ou qu’ils soient partis de leur propre chef indique de toute façon un problème, où qu’il soit. Seulement voilà, de son point de vue, Anabella Cartolano « est » Las Ligas Menores et, comme pour bien d’autres au fond, il n’est pas certain que ce soit à nous de jouer à l’Indie Police qui a déjà fait tant de mal par le passé, au procureur général ou à l’avocat des uns ou des autres.

Si vue d’ici, la polémique qui a embrasé les réseaux sociaux de toute l’Amérique du Sud n’a évidemment pas eu le moindre effet papillon, y compris en Espagne, berceau de son label européen Sonido Muchacho, elle a durablement marqué une fanbase locale entre pro et anti « Ani », suscitant d’innombrables commentaires, podcasts, vlogs et articles de la presse argentine notamment, souvent friande il est vrai de ces scandales people. Car oui, Las Ligas Menores jouissent en Amérique du Sud d’une notoriété qu’on ne peut à peine soupçonner. On préfèrera alors focaliser nos regrets sur le fait qu’A Esta Altura, nouvel album de Las Ligas Menores ne soit disponible à l’heure actuelle qu’en streaming au détriment des fans encore nombreux de belles éditions à tenir entre ses mains ou même d’écoute hors ligne.

Parce que s’il y a une évidence qui saute aux oreilles à l’écoute d’A Esta Altura, c’est bien que l’épisode humain, certainement douloureux quoi qu’il se soit passé en réalité (quelle réalité ?), a été pour Anabella Cartolano une source d’inspiration et de régénération musicale qui envoie ce troisième album vers de nouvelles cimes. Bien entendu, si l’on s’était penché à un moment donné sur le cas des argentins, c’est bien que Las Ligas Menores en 2014 et Fuego Artificial en 2018 puis les singles plus récents Hice Todo Mal en 2020 ou Piedra Del Águila en 2022 valaient, malgré leurs défauts mais avec surtout leurs qualités largement le détour mais ce nouvel album surpasse de loin la plupart de ce que le groupe avait eu à nous offrir jusqu’à présent. Enregistré seule, avec quelques musiciens de studio avant de refonder un groupe 100% féminin pour refaire vivre Las Ligas Menores sur scène, A Esta Altura n’hésite plus à explorer des territoires musicaux que le groupe n’empruntait pas vraiment, cloisonné dans son rock à guitare particulièrement emballant mais jamais forcément inventif. Ici, Anabella Cartolano a de toute évidence repris le contrôle de ses envies et aspirations jusqu’à celui d’une parution en catimini et c’est, artistiquement en tout cas, objectivement tant mieux.

L’album apporte donc beaucoup de nuances dans les compositions d’Anabella Cartolano, toujours portées par son chant si attachant, ne serait-ce que par cet accent argentin si particulier qui porte en lui une mélancolie que les paroles et une rythmique plus posée ne font qu’accentuer. Parler de maturité est sans aucun doute dans ce cas plutôt pertinent tant la profondeur des compositions tranche avec le rock complétement spontané, très pop, plutôt noisy que Las Ligas Menores proposaient dans leur première vie. Evidemment, on retrouve encore de ces salves complétement excitantes comme Eramos Tres et son intro électro-clash ou la très poppy Mi Error et son étonnante superposition de voix claires et de sonorités étouffées mais A Esta Altura nous entraine le plus souvent dans un entre-deux de tempo et d’arrangements, à la recherche d’un son plus diversifié où les éléments électroniques trouvent une place nouvelle.

Tout en gardant une véritable unité, y compris lorsqu’il s’agit de franchement changer de cap, A Esta Altura nous promène sur des chemins parfois très différents, entre l’enjouée Las Pirañas avec son rythme chaloupé qui prend des faux airs de chanson de marin ou d’aventure et El Desierto magistrale de noirceur éblouissante ; entre un Alguien Algo qui semble véritablement s’enfoncer dans la neurasthénie mais finit par se redresser fièrement et Te Quiero qui se présente sans peine comme le tube de l’album, chanson immédiate et évidente qu’une volée de claviers tourbillonnant illumine de tous ses feux. Quand Ritual Encantador nous attrape avec son rythme hyper saccadé, ses guitares noisy compressées et sa basse électronique vrombissante, c’est pour mieux nous dépister avec son refrain ultra poppy porté par un orgue tout mignon. Alors, Dicen prend des allures de Yo La Tengo avec ses guitares flamboyantes quand Quien Es Aquel développée en trois parties s’impose comme une brillante réussite avec notamment sa partie cuivrée de toute beauté. Mais toutes ces évolutions ne font que nous préparer à la superbe fin qui prend la forme d’un 24/7 magistral, conclusion électro d’une profondeur étourdissante, promesse peut-être d’une véritable nouvelle orientation qui ne va pas sans rappeler celle prise par Melenas avec la réussite que l’on connait.

Alors oui, être artiste, c’est souvent avoir une personnalité entière, un égo relativement développé et parfois, en effet, un autoritarisme quelque peu exacerbé et de là où l’on est, de notre modeste place, Anabella Cartolano a beau être, peut-être, une véritable despote mal accompagnée pendant plus de 10 ans, sa (re)prise du contrôle total de son « bébé » Las Ligas Menores est à la lumière d’A Esta Altura une véritable réussite. Après tout, elle est très loin d’être la seule à vouloir dissimuler derrière une apparence de groupe une expression tout en contrôle de sa seule personnalité ; en général, on arrive à faire preuve de mansuétude et à essayer de ne pas (trop) tenir compte de ces à-côtés rocks pas forcément reluisants. Ça n’est pas avec A Esta Altura, album de rupture et de reconstruction que l’on changera d’avis.

Tracklist
01. Las Pirañas
02. Eramos Tres
03. Quien Es Aquel
04. Ritual Encantador
05. Dicen
06. Te Quiero
07. El Desierto
08. Alguien Algo
09. Mi Error
10. 24/7
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