Comment se renouveler ? Comment chercher et surtout trouver son son, sa signature musicale, ce qui fera à terme d’un groupe lambda sinon une référence, du moins une entité capable de se différencier, d’imposer une marque, un style dans un paysage musical débordant de productions souvent anodines, médiocres voire, un tant soit peu objectivement, complétement à côté de leurs pompes ? Il y a ceux qui n’ont pas l’intention de chercher quoique ce soit et s’enferrent dans un rôle de copistes un peu fainéant qui leur sied bien. Après tout, c’est largement suffisant pour s’amuser, s’octroyer une première partie à l’occasion, ambiancer foires aux disques, soirées d’anniversaire ou 21 juin, se faire payer des coups à boire, briller devant des parterres de proches subjugués par tant de talent et accessoirement s’avérer bien plus efficace que Tinder. Les génies eux, ne se posent pas la question ; classe et talent ne se négocient généralement pas au détour des salles de répétition d’une SMAC. Et puis il y a tous les autres, les laborieux, celles et ceux qui cherchent, évoluent, digèrent leurs influences, s’en approprient de nouvelles en sortant de leur zone de confort par désir profond de ne pas reproduire sans cesse les mêmes choses et de trouver une expression musicale leur correspondra vraiment, en tout cas à ce qu’ils sont à un moment, pas tout à fait le même qu’hier, ni que demain. Avec Osa Polar, l’étonnante et particulièrement réussie adaptation du classique post-punk Eisbär des suisses de Grauzone, les quatre espagnoles de Melenas s’ouvraient, à peine quelques mois après la sortie de leur excellent second album Dias Raros, de nouvelles perspectives musicales pleines de promesses aujourd’hui confirmées.
Ahora qui sort toujours chez les américains de Trouble In Mind mais aussi pour l’Europe sur le label madrilène qui monte fort de l’autre côté des Pyrénées, Mushroom Pillow, est la concrétisation de ces promesses, de tout ce travail en profondeur d’un somme toute jeune groupe qui publie son 3ème album en seulement six années. Les navarraises se cherchent ; non pas au sens approximatif de l’assertion mais bien à entendre dans l’idée qu’elles expérimentent des directions non pas radicalement opposées mais en creusant des idées déjà aperçues mais pas autant développées. Soyons clair : Melenas, présentées à leurs débuts comme un groupe de rock garage ont su faire évoluer leur univers musical vers plus de clarté jusqu’à offrir aujourd’hui avec Ahora un album puissamment synthétique et lumineux. Déjà largement présents dans une formule classique à quatre instruments, le groupe se présente désormais (et depuis Osa Polar donc) sur scène avec deux claviers frontaux pour traduire au mieux cette évolution aujourd’hui fondamentale de leur musique. Fondamentale car en centrant tout cet album autour des claviers, elles s’ouvrent de nouvelles perspectives dans cette quête d’une identité musicale forte et bien marquée.
Pour autant, Melenas n’a pas modifié son ADN : elles jouent toujours dans le garage, mais la porte est dorénavant grande ouverte. Les compositions bien que plus aérées sont toujours rêches et sans fioritures, mélodiquement abouties mais se développant en des structures classiques qui vont droit au but, à l’image d’une rythmique tout aussi minimale qu’elle est omniprésente avec ses délicieux atours directement hérités d’un krautrock joyeux et dansant. Et le tableau de se dessiner petit à petit autour de titres qui s’emballent autour d’influences déjà connues (Stereolab ou Broadcast ne sont toujours pas très loin) et d’autres que l’on devine à travers l’usage intensif de ces claviers qui remisent presque les guitares en arrière-plan, si ce n’est pas la plupart du temps carrément au placard. Dans cette révolution synthétique, seule Mal conserve le perfecto rock de Dias Raros tandis que Tú Y Yo semble chercher une sorte d’équilibre tranquille en habillant sa pop à guitare de synthés FM et de déflagrations analogiques qui transpercent cette belle chanson bien enlevée comme autant d’éclairs électroniques.
Le reste du temps, les navarraises explorent à l’envie les infinies possibilités que leur offrent des claviers dont les sonorités, des pionniers des années 1960 jusqu’à l’usage intensif qui en est fait de nos jours en passant par l’âge d’or des années 1980 ont largement façonné notre approche de la musique. Les circonvolutions planantes d’Ahora en introduction nous renvoient au Simple Minds juvénile de Sons & Fascination et on chemine ainsi dans l’histoire de ce rock qui s’est synthétisé, des Cars à Suicide en passant par New Order jusqu’aux plus récentes sonorités électronica d’une école Warp peut-être plus aussi incontournable mais dont la trace laissée au tournant des années 2000 n’a rien perdu de son importance. Mais plus qu’un quelconque catalogage d’influences, Melenas s’attèle avant tout à mettre les claviers au service de compositions toujours aussi captivantes et l’on a beau retourner Ahora dans les tous les sens, impossible de lui trouver le moindre temps faible. Si on les savait sur leurs albums précédents capables de nous tenir en haleine par de belles architectures variées, Ahora ne faiblit pas non plus sur cet aspect et, au contraire, s’avère remarquablement construit et équilibré. Dans le rôle des hits singles en puissance, le remarquable et remarqué Bang que l’on n’a pas fini de fredonner trouve dans le sommital K2 un élégant pendant tandis que Flor De La Frontera et Promesas s’accommodent à merveille de leur passionnant rôle de petit bonbon au poivre un peu plus complexe. Et puis, comme sur chaque disque de Melenas, c’est une douceur très féminine qui traverse les magnifiques balades Dos Pasajeros et 1.000 Canciones, instants suspendus portées de la plus aérienne des manières à quatre voix sur fond de claviers d’une légèreté délicieuse.
Les Melenas de Maintenant se découvrent dans cet Ahora jubilatoire. Elles n’ont pas changé, juste un peu différentes de celles qu’elles étaient hier ou qu’elles seront demain. Enrichies de mille rencontres au gré de ces tournées qui forgent des personnalités et des collectifs, d’un succès grandissant notamment à l’international, ce qui n’est jamais anecdotique pour un groupe non anglophone, les quatre navarraises souvent drôles et pleines de vie telle qu’elles se montrent sur leurs réseaux, unies comme un groupe tant musical qu’amical telle qu’elles apparaissent sur la pochette de l’album, entendent avant tout explorer leurs envies tout en maintenant le cap d’une écriture directe et carrément passionnante, affriolante même.
02. K2
03. 1986
04. Dos Pasajeros
05. Flor De La Frontera
06. Bang
07. Promesas
08. Tú Y Yo
09. Mal
10. 1.000 Canciones
06.02: Angers Joker’s Pub
07.02: Le Havre Tétris
28.03: Bordeaux iBoat
29.03: Lyon Sonic
30.03: Volvic Les Vinzelles
11.04: Grenoble Le Ciel
12.04: Perpignan El Mediator
13.04: Toulouse Le Metronum
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