On a tendance à louer chez la nouvelle génération cette capacité innée à faire dialoguer les genres, parfois au sein même d’une piste, le plus naturellement possible. C’est oublier que des artistes de générations antérieures, notamment à travers la musique électronique, avaient commencé à ouvrir la brèche – certes, d’une manière probablement moins frontale, mais par des bifurcations de carrière parfois plus osées encore. On pense notamment à Underworld, qui passa à la fin des années 1980 de la new wave à une techno sans compromis. On peut en dire tout autant des frères Dewaele qui, plus d’une décennie plus tard, passaient de premiers essais post-grunge infructueux à une scène électronique qu’ils marqueraient de leur nom : Soulwax. Pour autant, on s’amuse à remarquer que les ambitions premières persistent sur All Systems Are Lying, cinquième album enregistré dans leur fameux studio.
Soûle qui peut !
La nostalgie des guitares et de la sueur reviendrait donc taper à la porte ? À vrai dire, on doute qu’ils y aient intérêt si c’est pour mimer, par moments seulement certes, ce que des groupes comme The Strokes ou Zoot Woman font depuis des années. All Systems Are Lying ne pèche pas tant par sa volonté (louable) de rallier le rock et la techno que par son résultat en trompe-l’œil… formellement pas folichon. Et si c’est pour rappeler, comme sur Run Free, Tame Impala qui, soit dit en passant, a fait ce mois-ci une embardée inverse vers l’électro toute aussi schmole avec son Deadbeat, c’est d’autant plus … ballot. Ici, les petites mains tendues vers le rock ne comportent aucunement l’intensité de leur premier album Leave The Story Untold (1996), comme si l’embourgeoisement ne permettait de trouver la fraicheur d’antan.
C’est dans les quelques pistes techno que les transfuges de genre s’épanouissent le mieux. À son pic, New Earth Time, Soulwax se fait joueur et taquin, déployant sa ruse du gimmick (le bruit de base de données gémissante) qui titille. S’il fallait leur attribuer un point fort, c’est dans la rythmique et ses ruptures (une certaine arythmie) que résiderait probablement l’originalité de Soulwax, conférant par moments même au duo, pourtant éminemment propret et sage sur lui, un aspect gentiment gonzo à la Crookers. On y pense sur le morceau éponyme à l’album, tout comme le bourdonnement nous rappelle les expériences de Mr. Oizo, comme une fâcheuse arrière-pensée entêtante, prête à l’éclat ; les stridulations électroniques à la The Hacker rendent compte d’un monde de frottements et d’étincelles suscitant notre désarroi contemporain. Mais n’est-ce pas aussi ce même aspect ressenti à l’écoute de LCD Soundsystem et Nine Inch Nails, et ceci bien avant que Soulwax devienne Soulwax ? Dans ses titres plus électroniques, ne rappellent-ils pas, par leur voix doucereuse, les poses du Tiga pop ? L’album reste donc gentiment juché dans ses pantoufles électroclash. Ce n’est absolument pas désagréable, mais on reste quelque peu sur notre faim. Soulwax a toujours, et personne ne semble oser le dire, manqué d’un sérieux grain de folie. Et il suffit d’un album comme ça, un peu plus faiblard, pour rendre cela encore plus évident.
Inspiration en panne
Excusez-nous, on n’est pas encore sorti du traumatisme que constituait le récent harakiri musical de Death In Vegas. Dans une tentative plus proche de celle de Soulwax, d’un retour à l’organique par le digital et non l’analogique, les albums récents de Kid Loco constituent des réussites méritant l’étude. Mais le duo souffre d’une aura (infondée, jugerons certains) de premiers de la classe l’empêchant d’être traversé par le génie, à commencer par celui des autres. Bien que les frères produisent et remixent pour d’autres, All Systems Are Lying aurait gagné à ouvrir sa galette à la collaboration.
L’album s’attarde donc dans l’ennui, étendant au-delà de quatre minutes certaines pistes n’évoquant que trop peu d’images en nous. Gimme A Reason le prouve, trop longue pour ce qu’elle mérite, ne mutant que dans ses ultimes moments. Trop tard. On appréciera néanmoins l’intrication des titres, s’enchaînant d’une même coulée. Mais il faut bien avouer qu’on s’amuse cent fois plus en compagnie de FKA Twigs, SOPHIE ou Two Shell.
Alors que sept ans les séparaient de l’Essential (2018), nous peinons à dire plus de ces pourtant cinquante minutes n’ayant pas plus à dire, elles non plus. C’est d’autant plus dommage que l’objet se pense sincèrement comme album, avec un début et une fin se retournant contre lui, la consistance du corps étant si maigrelette. S’il s’agissait de comparer l’album à ceux d’artistes de même stature, on est très éloigné des réussites que sont + / – par Boys Noize et JPEG de Digitalism. Plus encore que d’inspiration, c’est d’agressivité et de conviction dont manque All Systems Are Lying, n’arrivant pas même à faire mentir son titre.
02. Run Free
03. Meanwhile On The Continent
04. New Earth Time
05. All Systems Are Lying
06. Gimme A Reason
07. Dshungel
08. Constant Happiness Machine
09. Polaris
10. The False Economy
11. Idiots In Love
12. Hot Like Sahara
13. Engineered Fantasy
14. Distant Symphony

