Quand Céline Dion suçait René : Let’s Talk About Love, baby !

7.9 Note de l'auteur
7.9

Carl Wilson - Let’s Talk About LoveQuand on écrit pour un magazine ou webzine culturel branché, la question du bon et du mauvais goût est souvent au centre du jeu. Est-il de bon ton d’aimer tel ou tel ? Est-ce que machin est surcoté ou l’objet d’un mouvement de mode ? La hype pour le nouveau groupe en vogue va-t-elle passer l’été ? Qu’est-ce qui fait la supériorité du rock indé sur les autres genres pop ? Ces questionnements sont au cœur du livre essai (le regroupement d’articles disséminés et réassemblés en un ouvrage unique et cohérent) signé par le journaliste canadien Carl Wilson et consacré, malgré lui, à l’œuvre de Céline Dion. Let’s Talk About Love, pourquoi les autres ont-ils si mauvais goût se présente ainsi comme un questionnement vital : comment est-il possible d’aimer Céline Dion ? C’est évidemment un truc que les amateurs de musique se demandent souvent. Comment se fait-il qu’on puisse écouter : M Pokora ? Jenifer ? Pascal Obispo ? Black M ? Pourquoi est-ce que ces types vendent autant de disques alors que leur musique est « vile » et leurs textes aussi creux qu’une coquille de bernard l’hermite après la mue ? Wilson se pose la question depuis le meilleur point d’observation qu’il est possible de se donner : C’line ou Céline Dion. Pour un canadien et lorsqu’on sait que l’idée lui est venue en 1997, année de la sortie de Let’s Talk About Love, l’album porteur entre autres merveilles de My Heart Will Go On (Titanic) et Immortality (un duo fiévreux avec les Bee Gees). Dès cette date, Wilson entreprend de disséquer le phénomène Céline Dio pour mieux le comprendre et essayer de s’en sortir vivant. Son livre est une exploration méticuleuse et compréhensive (puisqu’il en arrivera à pénétrer les secrets du Célinedom et à pleurer sur certaines chansons) des mécanismes à l’oeuvre derrière l’amour que vouent ses fans à la star la plus résolument maladroite et plouc de l’histoire de la pop. Brillants souvent, agaçants parfois, les articles de Wilson parlent identité québécoise, kitsch pop, surimi langagier, expression des sentiments, lutte des classes pour dresser une radiographie tout à fait pertinente des ressorts du business qui soutient la canadienne. Il retrace son évolution dans l’histoire des crieuses pop, assiste à un concert à Las Vegas, interroge des fans transis, explore le blog celine dreams où les fans racontent leurs rêves avec la star, ou analyse froidement ses rapports avec René.

On retrouve chez Wilson l’humour d’un Nick Hornby ou la sagacité savante d’un Simon Reynolds, l’actuel critique référence du genre, ce qui rend globalement la lecture de son bouquin vive et éminemment divertissante. Les articles traînent parfois en longueur mais l’intelligence des angles et leur variété permettent d’aller au bout sans trop de mal, fournissant, de fait, une analyse plutôt complète et convaincante de ce qui fait la singularité des cultures « populaires » (qu’il distingue un peu consensuellement des cultures basses). Wilson, et c’est le seul reproche qu’on lui adressera, pêche cependant par excès de tendresse envers Céline et ses fans, se refusant à voir le succès de la star comme le couronnement d’une œuvre machiavélique ourdie par les forces du marché et se traduisant par un affadissement politique et idéologique des masses. Nul doute qu’une vision plus combative aurait pu dégager une théorie plus à la hauteur que ce que cette analyse esthétique entrevoit. La violence politique émanant de la musique de Dion est évoquée de manière un peu cabotine comme étant à l’origine de l’initiative mais disparaît assez vite pour se changer en un agacement épidermique et une forme de contrariété sans (paradoxalement) d’importance ou de portée létale.  Mais ce n’est pas si grave. On se distrait, on s’amuse et on apprend un tas de choses désespérantes et délirantes.

Ainsi, de ces « révélations » (on avoue n’avoir jamais écouté le morceau avant) relatives à The Reason, l’un des morceaux à succès de l’album précité dont il constitue l’ouverture. Écrit par Carole King (initialement pour le groupe Aerosmith) et surtout produit par George Martin, le producteur historique des Beatles, ce morceau est une purge totale, qui est sorti en France sous forme d’un single double en duo avec la chanson thème de Titanic. The Reason est une power balad emblématique du style sans style de Céline Dion, générique et tellement sans âme ni aspérité que l’émotion seule y est comme concentrée et libérée avec la force d’une bombe à neutrons. Seule véritable incongruité là-dedans (et une anomalie insensée qu’on peut renvoyer aussi au phénomène 50 nuances de trou du cul), une bribe du texte qui est la suivante :

In the middle of the night
I’m going down ’cause I want you
I want to touch you
I want to floor you
You are the reason, baby You are the reason
You are the reason I wake up every day
And sleep through the night
You are the reason, the reason

Soit littéralement : « Au beau milieu de la nuit, je glisse sous les draps car je te veux/ Je veux te toucher/ je veux te plaquer au sol/ Tu es la raison ultime, bébé ». Je glisse sous les draps, en descendant, pour te sucer la bite. Mon dieu ! Mais c’est caribou…. voilà la C’line qui fait une fellation à feu le René Angelil. Gloups. J’avale/ j’avale pas. Quelle indécence ! Dis comme cela la scène est difficile à imaginer (mais oui), même si les arrangements du titre dégagent bien cette sensualité exacerbée et cet érotisme qui paraissent pourtant si antithétique du personnage de la chanteuse canadienne. L’irruption de cette saillie porno au cœur de l’œuvre de C’line renvoie paradoxalement à l’expression réaliste d’une artiste qui s’adresse aussi bien aux mères de famille romantiques et idéalistes qu’aux mères de famille ancrées dans la vraie vie et sexuellement actives. Une pipe chez Céline Dion, qui l’eut cru ? C’est le genre de bons moments que nous fait passer Wilson et qui valent (entre autres) la lecture de cet ouvrage. Sans doute est-il un peu putassier de résumer un tel ouvrage à une anecdote sordide (qui ne prend que quelques dizaines de lignes) mais à pute marketing, pute marketing et demi.

Une chose est certaine, contrairement à Carl Wilson, on ressort de notre lecture plus remonté que jamais et pas du tout convaincu par cette tentative d’explication œcuménique. Ce n’est pas parce qu’on peut expliquer, qu’on peut comprendre. Lorsque le moment sera venu, les ayatollahs du bon goût ne feront pas de prisonniers. On sera alors parmi les premiers à vouloir la tête de la sorcière de Charlemagne (ville natale de C’line).

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